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Où en sont les belles intentions de la « Lettre aux éducateurs » ?

La Lettre aux éducateurs de 2007 du président de la République exprimait clairement la volonté d’un projet de transformation de l’école et plus largement de refondation de l’éducation. Cette lettre se terminait en affirmant : « Le monde a besoin d’une nouvelle Renaissance, qui n’adviendra que grâce à l’éducation. À nous de reprendre le fil qui court depuis l’humanisme de la Renaissance jusqu’à l’école de Jules Ferry, en passant par le projet des lumières. Le temps de la refondation est venu. C’est à cette refondation que je vous invite. Nous la conduirons ensemble. Nous avons déjà trop tardé. »

Liberté pédagogique ?
Cette belle intention précisait et garantissait la règle de la liberté pédagogique tout en affirmant que « l’évaluation sera partout la règle et les moyens seront répartis en fonction des résultats et des difficultés des élèves. » Nous constatons aujourd’hui que la pression de plus en plus évidente du souci de l’évaluation et la diminution du temps scolaire ne favorisent pas l’innovation pédagogique. Les directives de la rentrée 2011 encouragent l’usage des manuels scolaires et par la même une pédagogie du programme dictée par l’institution et les maisons d’édition, et non par l’enseignant. Nous pouvons voir là, l’expression d’une angoisse éducative plus qu’un progrès éducatif. Ce ne sont pas les manuels scolaires qui vont nous sortir de la situation actuelle et encourager la recherche des équipes pédagogiques.
Déjà en 2007, la Lettre exprimait clairement la difficulté de penser le projet éducatif dans le contexte d’aujourd’hui : « A l’époque de la vidéo, du portable, d’internet, de la communication immédiate, nos enfants n’ont pas moins besoin de culture générale, mais davantage. Ils ont davantage besoin de capacité d’analyse, d’esprit critique, de repères. Plus le monde produit de connaissances, d’informations, de techniques, plus est forte l’exigence de culture pour celui qui veut rester libre et maitriser son destin. » Nous sommes tous d’accord sur ce point qui est le fondement même de l’éducation d’un pays démocratique. Mais pour autant, qui, aujourd’hui, parmi les enseignants, prend le temps de cela ? Quelle place véritable a l’expression de l’enfant, du jeune dans nos classes et dans nos établissements ? Quelle formation avons-nous pour accueillir cette expression et penser des réponses objectives avec le monde tel qu’il est aujourd’hui ? Aucune.

À quel cout ?
À cela s’ajoute la question des budgets éducatifs. La Lettre précisait que, pour rendre le savoir plus vivant, nous devions ouvrir nos écoles, nos collèges et nos lycées aux autres mondes : « Les mondes de la culture, de l’art, de la recherche, de la technique et, bien sûr, le monde de l’entreprise qui sera celui dans lequel la plupart de nos enfants vivront un jour leur vie d’adulte. Il faut que nos enfants rencontrent des écrivains, des artistes, des chercheurs, des artisans, des ingénieurs. […] Il ne faut pas que les enfants restent enfermés dans leur classe. Très tôt, ils doivent aller dans les théâtres, les musées, les bibliothèques, les laboratoires, les ateliers. […] Ce sont dans les forêts, dans les champs, dans les montagnes ou sur les plages que les leçons de physique, de géologie, de biologie, de géographie, d’histoire, mais aussi la poésie auront souvent le plus de portée, le plus de signification. »
S’il est vrai que nos établissements scolaires s’ouvrent de plus en plus vers l’extérieur grâce à la participation active des médiathèques, des saisons culturelles et autres institutions ou associations partenaires, cela a un cout. Dans l’école où j’exerce, nous avons dû batailler pour garder la gratuité du transport à la piscine de nos élèves. Le maire avait décidé que le transport serait à la charge des écoles (300 euros par classe pour dix séances), à la suite de la réduction du budget des affaires scolaires attribué par l’État à la municipalité. Plusieurs écoles étaient concernées. L’annulation des projets piscine, de par l’impossibilité des coopératives à financer, a décidé le maire et les affaires scolaires de revenir sur leur décision en supprimant un autre budget, celui de la participation aux voyages scolaires des classes primaires. Voilà la réalité pour des communes qui ont peu de revenus propres. Cela doit être clairement anticipé dans le projet de refondation de notre système éducatif.

Travailler moins ?
Le projet du président et du gouvernement précisait qu’il n’allait pas s’agir pour refonder l’école « d’alourdir encore les horaires d’enseignements déjà trop lourds, d’ajouter de nouveaux enseignements à une liste déjà trop longue, mais au contraire de redonner aux enfants le temps de vivre, de respirer, d’assimiler ce qui leur est enseigné, […] mais bien par une remise à plat des rythmes et des programmes scolaires pour un projet éducatif cohérent… avec des principes, des objectifs et des critères simples […] afin d’élever le niveau d’exigence, non pas en quantité, mais en qualité. » Si l’exemple des trois heures hebdomadaires supprimées à l’ensemble des élèves des écoles élémentaires pour les consacrer à des besoins d’aides plus personnalisés tout au long de l’année partait d’un bon sentiment, la réalité sur le terrain montre une très grande insatisfaction pour des résultats peu concluants. En effet, dans la plupart des écoles, le temps d’aide personnalisé allonge le temps de travail quotidien des élèves concernés et ne permet pas aux enseignants d’installer un vrai cadre pédagogique spécifique à cet accompagnement, trop accaparés par la vie de la classe et de l’école.

Quel projet éducatif ?
Lorsque l’on construit un projet, on sait d’avance qu’il y aura des écarts entre les objectifs fixés et la réalité. Comme le répétait sans cesse Célestin Freinet, tout passe par le tâtonnement expérimental. Rien n’y échappe. Le travail consiste alors à ajuster les objectifs avec la réalité de la vie. Qu’en est-il du projet présidentiel ? « Dans l’école que j’appelle de mes vœux, où la priorité sera accordée à la qualité sur la quantité, où il y aura moins d’heures de cours, où les moyens seront mieux employés parce que l’autonomie permettra de les gérer davantage selon les besoins, les enseignants, les professeurs seront moins nombreux. Mais ce sera la conséquence de la réforme de l’école, et non le but de celle-ci. » Quatre ans après la présentation de cette Lettre, l’objectif quantitatif est toujours d’actualité. La Lettre posait et pose toujours de belles intentions, de belles réflexions et de belles questions, mais auxquelles nous ne trouvons pas de réponses qualitatives concluantes. Ainsi sur la formation, qui n’apparait nulle part dans le projet : comment peut-on demander à des enseignants, et particulièrement aux jeunes qui débutent, de faire mieux en étant moins nombreux, de faire mieux sans aucune formation solide du métier d’enseignant et d’éducateur ? Pouvons-nous parler de refondation de l’éducation sans même vouloir poser ce projet sur une formation solide de ces acteurs principaux ?
À cela nous pourrions dire que la réponse était déjà dans la lettre puisqu’elle affirmait dans sa conclusion : « Chacun d’entre vous comprend que la révolution du savoir qui s’accomplit sous nos yeux ne nous laisse pas le temps pour repenser le sens même du mot éducation. » Je pense au contraire nécessaire de bâtir un projet éducatif nouveau, fondé sur la connaissance de soi, nourri par l’ensemble des disciplines et se construisant grâce à d’autres manières de vivre l’école, le collège et le lycée et pourquoi pas l’université.

Benoit Choquart
Instituteur, militant Freinet et Cémea
Auteur de Une autre École 1+1+1+… =1 – Réponse d’un enseignant à la « lettre aux éducateurs » du Président de la République »
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