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Nouvelle école, nouveau métier ?
Après avoir décrit le « kit de survie » donné actuellement aux professeurs stagiaires, j’aurais voulu insister sur le fait que leurs difficultés à faire des choix pédagogiques et didactiques se doublent d’une difficulté accrue, comme pour tous les enseignants, à se situer parmi les multiples injonctions qui leur sont données, liées en partie à des aspects nouveaux du métier. Au lycée, par exemple, le professeur peut se trouver pris entre des logiques contradictoires :
- d’abord sa mission d’enseignement, avec en ligne de mire la réussite de ses élèves au bac, avec une pression croissante d’année en année, par l’analyse des résultats le jour de la pré-rentrée, les statistiques données aux parents, les classements, etc. ;
- mais il peut se heurter au refus de travailler, affiché et revendiqué par certains élèves et se trouver dérouté par des comportements d’adolescents qui dorment en classe et semblent imperméables à toute remarque ;
- enfin, l’institution, pour développer les liens avec les familles, multiplie les réunions avec les parents, prône les entretiens individuels avec les élèves et met en place, à tous les niveaux, des dispositifs de soutien et d’accompagnement.
Cette complexité du métier donne plus que jamais le sentiment de ne pas pouvoir tout faire, de ne pas y arriver et fragilise beaucoup d’enseignants. Il faut de plus en plus faire des choix et se positionner : rester fixé avant tout sur les programmes et les résultats au bac, avec un style plus ou moins élitiste, ou accorder sa priorité à l’humain, avec des difficultés à définir les limites du travail en lien avec les autres personnels, CPE, AS, infirmière. Ces choix se font actuellement de façon implicite, souvent par défaut, ou en fonction de stratégies locales (on contourne, qui le cahier de texte électronique, qui la réunion de parents, on refuse d’être professeur principal, etc.) ou en se raidissant sur les « bases » du métier. Les priorités ne sont que trop rarement définies de façon collective et, pour qu’elles le soient, il faudrait non pas accumuler sans cesse de nouveaux dispositifs ou de nouvelles préconisations, mais repenser l’ensemble, en commençant par les examens et les programmes qui y préparent.
Il est évident aussi que cela nécessiterait une formation beaucoup plus approfondie, avec comme priorités les échanges, le tissage des savoirs, l’analyse de pratiques et la connaissance du système éducatif.
- Le collectif, le groupe d’échanges : les jeunes professeurs stagiaires indiquent tous en fin d’année qu’ils ont apprécié la formation comme espace d’échanges. Le paradoxe est, actuellement, de prôner le travail d’équipes dans les établissements et de ne pas y former les enseignants ou de ne pas leur en donner le gout et le besoin. Cela va de pair avec un travail sur les relations avec les élèves et entre les élèves : dans une société de l’individualisme, la classe est un lieu de socialisation et doit le rester. Le travail de groupe est une modalité qu’il faudrait donc pouvoir expérimenter en formation (entre collègues et avec les élèves).
- Le métier d’enseignant est avant tout un métier de relations entre les personnes et, nouveauté peut-être, de mise en relation des savoirs. Les élèves sont assaillis d’informations, branchés et captés par des écrans et ils croient ainsi apprendre plein de choses. Le métier d’enseignant, me semble-t-il, consiste de plus en plus à faire du lien entre des savoirs éparpillés et à leur donner sens. Ainsi, dans les gestes professionnels identifiés par l’équipe de Dominique Bucheton, (gestes de pilotage, d’étayage, d’atmosphère et gestes de tissage), ce sont ces derniers les plus importants à travailler pour tisser du lien entre les savoirs d’une discipline à l’autre, entre les savoirs scolaires et les savoirs extrascolaires, entre les écrans et les livres. La question du sens de l’école en découle.
- Un travail sur des situations de classe, en analyse de pratiques, semble plus que jamais nécessaire pour déterminer, quand c’est problématique, ce qui relève des compétences de l’enseignant et ce à quoi il peut être attentif mais qu’il doit déléguer à d’autres (on pense à la panique des jeunes enseignants qui croient devoir se transformer en psy ou en assistante sociale).
- En amont, il faudrait donner des repères historiques et sociologiques sur le métier (cela se fait déjà dans certains masters). La connaissance de l’histoire du système éducatif, de l’évolution sociologique des élèves et, plus précisément, dans chaque discipline, de l’histoire de son enseignement ainsi que de l’histoire de l’évaluation en France et dans d’autres systèmes éducatifs peut aider à éclairer les choix et les positionnements d’un enseignant, ses choix éthiques comme ses choix pédagogiques.
Hélène Eveleigh
Professeure de lycée et formatrice