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Nos jours ordinaires?
Vers 7 h 35, certains matins, dans l’ombre froide, ça me prend, en croisant les silhouettes maladroites des élèves, sacs au dos, marchant dans la même direction : l’envie de ne pas y aller, de faire autre chose, de ne pas retrouver le casier, la porte de la salle, le tableau à préparer, le cri de la sonnerie, les bousculades et finalement le moment où ça commence, une nouvelle heure, un temps à remplir de sens.
Ou alors c’est en sortant d’un conseil de classe très ordinaire, un collègue dit « Allez, encore un de fait », on sort par la porte de derrière, il est tard, je raccompagne dans leur cité les délégués qui ont encore du travail à faire pour demain, je reviens à la maison avec le sentiment que les conseils pourraient être tout autre chose mais qu’on n’y arrive pas, je me remets à préparer quelque chose d’intéressant pour le lendemain, pour oublier.
C’est encore au milieu d’un paquet de copies catastrophiques, bâclées, du non-sens, alors que j’avais cru motiver les troupes ; je ne veux pas y croire, je cherche à sauver les notes, pour moi plus que pour les élèves, mais là, à la douzième, c’est l’évidence, c’est raté, même les fidèles ont fait le questionnaire à la va-vite, j’essaie de comprendre mais le moral chute, j’envie le collègue sans état d’âme qui colle tous ceux qui n’ont pas la moyenne ; est-ce que je devrais faire ça moi aussi ?
Moments bêtement ordinaires, conscience de travailler en aveugle, doutes sur presque tout : c’est alors que je me réjouis d’avoir lu ceux qui ont mis noir sur blanc, comme une chose très professionnelle, nos peurs et nos non-dits, nos paradoxes, nos jours ordinaires, nos envies de tout planter là, fût-on formateur et même suppôt des Cahiers… Thank you M. Perrenoud, mais aussi Philippe Lecarme, Mireille Cifali et quelques autres : alors c’est normal, à certains moments, de connaître routine et ennui, d’avoir peur de se tromper, d’être submergé par la complexité, de s’imaginer parfois qu’on est meilleur que d’autres, et le lendemain de se trouver démuni, de n’avoir parfois aucune aune pour juger de ce qu’on fait ?
Oui, c’est normal, c’est même le signe qu’on est bien vivant, et qu’on n’est pas obligé d’en rester là, qu’on peut encore chercher à nommer et circonscrire ce qui nous assaille, à penser le détail, à être plus malin que les obstacles, à les attaquer par un petit côté, David contre Goliath, définitivement.
Sans oublier, parce qu’on n’a pas la référence épique tous les jours, l’humour réaliste du « Chat » de Gelück qui avoue, installé sur sa bicyclette : « Si je devais rouler à mon rythme… je ne roulerais pas. ».
Florence Castincaud