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Mes écoles
J’ai gardé peu de souvenirs concrets, de l’école de mon enfance, j’habitais l’école maternelle, laïque, d’une petite ville proche de Roubaix. De mes deux écoles il ne me reste que la cour avec ses quatre marronniers, la grand porte qui isolait l’école de l’extérieur, la nouvelle salle de jeu de l’école maternelle, l’encre violette et la cire lorsqu’en fin d’année on encaustiquait les tables après les avoir grattées. Comme celle de Pierre Madiot, elle était certainement poussiéreuse et ennuyeuse mais l’école était tellement chargée symboliquement que je l’ai oublié. Dans ma famille, dans l’environnement majoritairement industriel, l’école était le symbole d’une promotion sociale possible, d’une certaine liberté.
Tout le monde ne partageait pas cette vision, une de mes collègues récemment retraitée racontait comment l’institutrice avait fait le siège de sa famille – des Polonais du pays minier – pour qu’elle consente à l’envoyer au lycée. Combien de fois ai-je entendu mon grand-père qui avait quitté l’école à douze ans, dire qu’il n’avait pas eu la chance d’aller à l’école ? Tous les élèves ne voyaient pas l’école comme une chance, bons ou mauvais, certains préféraient quitter l’école à quatorze ans pour aller travailler même dans des conditions difficiles. Néanmoins des parents menaçaient « Si tu ne travailles pas bien à l’école t’iras à l’usine. » Chacun savait implicitement que la différence sociale venait d’abord de la possession de l’argent, mais l’école permettait une promotion sociale par la petite porte, avec des paliers : la troisième, le bac, l’idée de l’université n’arrivaient qu’avec la réussite scolaire et les sacrifices financiers des parents.
Pour moi, pour nous, l’école ne reproduisait pas les inégalités sociales, elle ne rendait pas conforme et résigné, bien au contraire puisqu’elle rendait différent du milieu d’origine… Les inégalités sociales celles de l’argent, nous les connaissions mais les luttes se faisaient sur un autre terrain. Nous savions qu’il y avait des écoles de riches et des écoles de pauvres mais nous pensions prendre une revanche en accédant au « savoir universel ». Devenue étudiante j’ai appris que les choses étaient plus complexes, que la culture pouvait avoir des habits sociaux et que la générosité de la Troisième République pour ses enfants ne relevait pas uniquement d’un bel humanisme.
Je ne veux pas faire une analyse exhaustive de l’école actuelle, comme pour l’école de mon enfance je veux juste donner des impressions. On ne cesse de parler de la violence à l’école et beaucoup en accusent l’école elle-même, pourtant la plus grande part de cette violence a lieu dans les quartiers pauvres. Pourquoi ne pas parler de violence sociale plutôt que de violence scolaire ? On essaie de comprendre pourquoi cette violence se tourne d’abord vers l’école, mais n’est-ce pas le seul lieu qui soit officiellement affecté à la jeunesse et à elle seule ? Et que développe cette école ? Involontairement sans doute, le même leurre que la publicité. La publicité dit que tous sont égaux dans la possession des biens, seule compte la force du désir de les posséder. Jamais l’inégalité de richesse n’est mentionnée. Personne n’est dupe mais chacun peut s’identifier aux possédants virtuels… ou parfois transgresser. Sauf à s’en prendre à son poste de télévision, il n’y a personne à qui demander des comptes. En ne disant pas aux enfants des quartiers pauvres que ce sera bien plus difficile pour eux, qu’un lycée de banlieue n’est pas Louis-le-Grand et que l’égalité des chances est un idéal et non une réalité, on crée de la même façon un leurre. On laisse croire à l’égalité des résultats, à l’égalité d’orientation comme si seule la force du désir (projet) personnel était en jeu. Personne n’est tout à fait dupe, mais nous restons dans le non-dit, ce non-dit qui est à l’origine d’une partie de la violence. Violence d’autant plus grande que l’école est chargée d’attentes inconscientes et qu’elle a fait des promesses.
La société, contre la générosité des principes, a créé une école à son image.
Édith Miquet, documentaliste.