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Maman, qu’est-ce qu’elle me dit la maîtresse ?
À travers une approche psychologique, il s’agit de s’intéresser à ces enfants démunis de leur capacité à communiquer dans leur langue maternelle avec les personnes de son entourage. Le récit de T.[[Récit fictif, construit à partir d’observations.]], petite fille mongole de trois ans inscrite à l’école maternelle hongroise en est un exemple. Elle ne parle pas un mot de hongrois ; elle est dite allophone[[C’est-à-dire qui a pour langue maternelle une autre langue que la ou les langue (s) officielle (s) et qui réside habituellement dans ce territoire.]].
« Debout devant la porte de la classe, maman et papa parlent avec la maîtresse. Je regarde les enfants qui jouent et je me demande ce que je vais faire ce matin. Ça fait quelques jours que j’ai commencé l’école. Maman me parle sans arrêt. Papa fait des blagues pendant qu’elle me recoiffe. Elle m’a déjà soigneusement coiffée ce matin mais elle refait ma queue de cheval. Quand je suis prête, ils se baissent, me font un dernier bisou et me poussent doucement dans la classe. J’avance lentement en cherchant le regard de la maîtresse. Je me retourne pour voir s’ils sont encore là. Ils me regardent en souriant et je leur souris en retour : c’est rassurant de les voir. J’entends la porte se refermer. J’essaye d’avancer mais mes pieds sont cloués au sol. Je me sens seule.
La maîtresse s’avance vers moi et me salue en me caressant le dos. Sa douceur me fait plaisir et je lui fais un petit sourire. Elle repart sans rien dire. Je la suis du regard pendant qu’elle accueille les autres enfants. Je tourne la tête, regarde les enfants. Trois petites filles jouent dans le coin poupée. Elles rient et commentent leur jeu. Je ne comprends pas ce qu’elles disent pourtant j’aurais bien envie d’aller vers elles. Je regarde à nouveau la maîtresse. Elle m’aperçoit et m’appelle par mon prénom. Mes pieds se détachent du sol, son appel me donne la force d’avancer. Elle me guide et pointe les boites de jeux en me parlant sans arrêt. Je ne comprends pas ce qu’elle dit. Je souris en la regardant. Elle repart. J’aimerais l’appeler mais je ne sais pas comment faire. Heureusement, elle revient vite vers moi. Elle sort une boite de jeux, s’installe et m’invite à côté d’elle. Je me sens moins seule, je suis bien avec elle. Je lui fais un grand sourire.
Dès qu’on s’installe, des filles viennent vers nous : je pense qu’elles aussi veulent jouer au jeu de cartes que je connais déjà. Elles prennent toute l’attention de la maîtresse et je me sens délaissée, abandonnée. La maîtresse se tourne enfin vers moi et me tend un étui avec un dé. Elle me parle sans arrêt mais je ne comprends toujours pas ce qu’elle dit. Elle prend ma main et retourne l’étui en libérant le dé qui retombe sur la table. Elle me parle en pointant le dé et le tas de cartes. Je pioche : il y a un petit chat sur la carte. La maitresse répète plusieurs fois “ Miaou, miaou ”. Je la regarde d’un air interrogateur mais elle ne réagit pas et finit par passer le dé au prochain. J’observe les enfants et essaye de comprendre les règles du jeu, mais tout le monde parle dans tous les sens et j’aimerais me boucher les oreilles, m’échapper. C’est à nouveau mon tour, j’attrape l’étui et lance fièrement le dé. Il s’immobilise. La maîtresse s’écrit « Violet » et je répète « Violet » plusieurs fois. Elle me félicite. Je pioche : cette fois-ci la carte représente un chien. Je dis timidement « Haou, haou » comme j’ai l’habitude d’imiter le bruit des chiens. Tout le monde rit, y compris la maîtresse qui répète : “ Wouf, wouf ”. Je ris avec eux sans vraiment comprendre le sens de nos rires… »
Comment aider à comprendre et penser ce qui pourrait apaiser les angoisses et sentiments de confusion de T ? Comment ne pas être perturbé, enfant, enseignante, parents, pairs, devant la prise de conscience qu’on ne partage pas les mêmes références culturelles ?
Or, il y a tant de choses que nous percevons chez l’autre qui ne passent pas par la parole : les gestes, les mimiques, la posture des enfants peuvent aider les enseignants à comprendre comment ils se sentent. En mettant des mots sur ce qu’ils observent, la communication avec les élèves semble être plus fluide et il est plus facile aussi de les inviter dans la relation. On peut imaginer le soulagement d’un enfant qui perçoit la lumière dans les yeux de son enseignant qui l’observe, qui cherche à le comprendre et qui essaye par tous les moyens d’entrer en relation avec lui.
Et que dire d’une absence de partage entre parents et enseignants ? Que dire des sentiments d’étrangeté, de méfiance, de crainte et de suspicion dans la relation enseignants-parents et des répercutions sur la relation à l’enfant ? Si la coiffure de T se doit d’être parfaite aux yeux des parents, c’est qu’il faut que leur enfant ait une belle apparence. Il est encore plus important pour eux qu’elle fasse bonne impression à l’enseignante car ils ne partagent pas la même langue.
Les parents peuvent encore éprouver un sentiment d’inconfort par le fait d’être confrontés à des systèmes administratif et scolaire étrangers, inconnus et dans lesquels ils ne sont pas sûrs de réussir à se faire comprendre et à s’exprimer librement. Ils peuvent alors craindre d’être mal jugés dans leur capacité à aider leur enfant et se retirer de ce rôle face à l’école. On peut supposer que l’enfant a non seulement à affronter une transition pleine d’inconnus, mais aussi à gérer l’angoisse de sentir ses parents et son enseignante incertains et dépourvus face à ce qu’il vit.
Angelika Toth
Doctorante et assistante de recherche et d’enseignement à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, université de Genève