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Les SES et l’entreprise : une double méprise
L’article de L’Expansion résume bien l’enjeu en une phrase : « Une polémique farouche oppose les enseignants et les éditeurs aux milieux économiques : ces derniers déplorent que l’enseignement de cette discipline diabolise l’entreprise et propage une vision unilatérale de la mondialisation. » On dénonce donc à la fois le manichéisme, la référence à des théories dépassées (i. e. la théorie keynésienne), ou encore le manque de diversité des sources. L’article du Monde enfonce le clou en citant Renaud Dutreil, secrétaire d’État aux PME ou Michel Pébereau, P-DG de BNP Paribas, qui l’un comme l’autre déplorent que l’enseignement économique dans les lycées en France ne fasse aucune place à l’entreprise.
En fait, cette attaque est le reflet habituel d’une double méprise mais aussi le produit d’une volonté clairement affichée de remettre en question l’enseignement des SES.
La première méprise tient à la méconnaissance des programmes. Les manuels évoqués dans l’article de L’Expansion sont ceux de terminale. Or, l’entreprise est principalement étudiée en seconde (un quart du programme) et en première. Même en terminale, si l’entreprise n’est pas, en tant que telle, une tête de chapitre, cette notion traverse plusieurs chapitres du programme. Les professeurs de SES sont, par ailleurs, bien conscients que ce thème est essentiel et transversal puisque l’APSES (Association des professeurs de sciences économiques et sociales) en a fait le sujet de son université d’été à Bordeaux à la fin du mois d’août 2002. Le stage national qui se tiendra en janvier 2003 à Paris reprendra lui aussi ce thème.
La deuxième méprise tient à la nature même de l’enseignement. Les professeurs de SES ne sont pas des « profs d’éco ». L’enseignement des sciences économiques et sociales veut être un enseignement pluridisciplinaire qui combine plusieurs approches pour saisir la complexité d’un « objet-problème ». L’entreprise est un de ceux-là et, à ce titre, son étude est faite sous différents angles. On y étudie aussi bien la diversité des entreprises que leur logique économique, mais aussi l’organisation du travail ou bien encore les conflits du travail. En résumé, on peut reprendre un extrait des instructions officielles : « L’objectif de l’enseignement des SES consiste à aider les élèves à devenir des citoyens conscients et responsables en leur fournissant des outils théoriques et méthodologiques, empruntés aux différentes sciences sociales, pour comprendre la société dans laquelle ils vivent. » C’est aussi pour cela que les SES combinent des sources diverses et plusieurs approches théoriques.
En fait, ces deux articles ne seraient qu’anecdotiques s’ils n’étaient le produit d’une action concertée provenant de l’Institut de l’entreprise, émanation du MEDEF. Celui-ci a fait de l’éducation un enjeu majeur de son action cherchant à faire évoluer les programmes vers un enseignement d’économie de l’entreprise. Cela s’est traduit aussi par la création d’un site Internet baptisé « Melchior » et proposant aux enseignants des visions « alternatives » du programme. Enfin, cet institut a engagé un partenariat avec l’inspection des SES qui propose des stages en entreprise aux enseignants de SES.
D’une certaine manière, ces attaques montrent bien l’importance de l’enseignement des sciences sociales, qui offre aux élèves, futurs citoyens, un enseignement pluraliste et critique. Un enjeu important pour des entrepreneurs qui veulent occuper le terrain de l’éducation.
C’est aussi un bon sujet d’études pour les lycéens qui passent le bac ES. Les « groupes de pression » sont au programme.
Philippe Watrelot