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Les incivilités en milieu scolaire. Entre perte de citoyenneté et quête d’identité
Dans ce petit livre, Alain Badets, ancien formateur sur les champs de la psychologie des adolescents, de la gestion de crise en établissement, etc. revient sur le concept d’incivilités et tente d’en proposer une analyse tout à la fois historique, sociologique, que psychologique afin de proposer dans un second temps des pistes d’action pour l’ensemble des éducateurs (enseignants, CPE, etc.). Pour avoir la chance de travailler dans la même académie (Rouen) que lui, je sais combien son propos sur la question est pertinent et reconnu. Signalons que, si la littérature sur les faits de violence, incidents grave, etc. et les manières de tenter d’y répondre, ne manque pas, plus rares sont les ouvrages qui reviennent sur ces « petites » attitudes et transgressions du quotidien dans nos établissements : chahut, bavardages, bousculades, insolences, etc. L’auteur montre très bien pourtant, comment leur multiplication peut entrainer une escalade conduisant à une véritable dégradation du climat scolaire de tout un établissement. Le phénomène est connu : c’est bien souvent à partir d’un manquement mineur que nait une escalade qui va conduire au conflit ouvert. Alain Badets se propose de donner des clés pour le quotidien pour éviter ce passage de l’incivilité au conflit.
A partir de l’histoire du concept d’incivilités et de l’analyse de la montée de ces phénomènes dans la société, l’auteur dresse un constat saisissant et pertinent pour analyser nos établissements. Prenant appui tant sur les réflexions de philosophes, de sociologues, de psychologues, que sur des exemples tirés d’établissement (analyse de rapports d’incident, etc.), ce livre très bien documenté propose une série d’outils simples et opérationnalisables pour la pratique de tous.
Le postulat de l’auteur est qu’avant de devenir citoyen il faut devenir civilisé. Le théâtre des relations humaines suppose en effet, au-delà du droit et des normes juridiques qui ne peuvent tout réglementer, d’avoir été codifié en normes sociales qui permettent de se rencontrer de manière sécurisé. Lorsque je ne suis pas sûr du comportement et des réactions d’autrui, je suis dans un climat d’incertitude qui me conduira soi au repli sur moi-même soi à des comportements imprévisibles. L’effacement actuel des frontières entre espace public et espace privé ajoute une difficulté certaine : l’espace privé, celui de l’intimité est celui qui permet mon identité en dehors de celle des autres. S’il n’est pas clairement garanti alors je ne suis qu’un anonyme dans un groupe public. Cet anonymat est particulièrement générateur d’incivilités.
Difficulté supplémentaire au-delà de ce contexte : les adolescents sont par définition en quête d’identité. C’est ce qui les conduit à tenter de s’affirmer contre les adultes. Marquer sa différence pour définir son identité. Ils ne doivent pas pour autant se sentir abandonnés. Il s’agit effectivement pour les parents comme les éducateurs de savoir trouver la bonne distance : celle qui respecte la volonté de différence mais qui dans le même temps témoigne d’une présence rassurante. Une bonne partie du livre est consacrée à la notion de compétences psychosociales qui permettent de construire l’estime de soi et l’identité de chacun.
L’un des intérêts majeurs du livre d’Alain Badets réside dans l’idée qu’il n’y a à la fois ni recette pour lutter contre les incivilités et permettre des relations pacifiées entre élèves et entre élèves et adultes, pas plus qu’il ne faudrait inventer de nouveaux dispositifs particulièrement innovants. L’auteur montre comment les outils existent déjà et ne méritent que d’être exploités. Avant tout il s’agit d’une prise de conscience collective bien sûr et d’une volonté d’harmoniser nos pratiques. Il faudra donc penser collectivement ce que l’on tolère et ce que l’on ne tolère pas dans le groupe puis mener un travail « transdisciplinaire » afin de permettre aux adolescents de se (re)connaître, par tout une série de dispositif leur permettant de se découvrir, de découvrir l’autre, le rôle que chacun peut jouer dans un groupe, etc… De ce point de vue heures de vie de classe, accompagnement personnalisé, etc. peuvent être très précieux. L’auteur ne fait pas pour autant l’impasse sur les exigences que nous devons avoir envers les élèves et nous-mêmes tout comme sur le respect et l’écoute des émotions de chacun (tant élèves que professionnels) qui peuvent nous rendre la tâche plus difficile.
On pourrait résumer ce livre lumineux tout entier par cette belle pensée d’Alain Badets : il ne s’agit pas que les élèves se sentent à l’école comme chez « eux », mais bien comme chez « nous », un « nous » englobant toute la communauté.
Thomas Dequin