Le manuel : un soleil ?

Alors qu’un épisode de Nipédu titrait, provocateur, « La fin des manuels scolaires ? », force est de constater qu’ils restent largement en majesté. Phare des premiers pas enseignants, lueur fixe et rassurante en cours de carrière quand tout change et s’accélère, ils éclairent aussi les parents en les informant sur ce qui est enseigné à l’école.

Historiquement, la massification scolaire a imposé un choix de contenus d’enseignement et d’activités pédagogiques compatibles avec l’industrie dominante de diffusion de la connaissance qu’est l’imprimerie. Or, dès lors qu’il y a objet et méthode pédagogiques, se pose la question de l’impact sur les apprentissages. S’agissant des manuels scolaires, certaines études en montrent un, d’autres ne mettent en lumière qu’une incidence faible, voire nulle. N’empêche qu’on n’a pas arrêté de produire, promouvoir et vendre des manuels : ils font partie du système scolaire.

Aujourd’hui, c’est le numérique qui s’est imposé comme vecteur dominant de diffusion de la connaissance. Notons que la question de l’impact et de la plus-value des outils et usages numériques se pose de manière bien plus soutenue que pour les outils traditionnels, manuel, tableau noir ou stylo-bille.

Mais c’est une autre question qui nous intéresse. Si les manuels papier ont jusqu’ici dicté et structuré les contenus et compétences enseignés à l’école, à l’heure du numérique, quel instrument pour remplacer ou compléter le manuel, et pour quelles nouvelles connaissances à transmettre aux élèves ?

Le débat est biaisé par un tropisme de la recherche, avec des études qui privilégient un examen du potentiel du numérique dans le cadre de pratiques qui existaient déjà sans lui. Par exemple, on peut lire des études qui indiquent que le manuel papier restera incontournable, dans la mesure où ce dernier permettrait un meilleur ancrage mémoriel. Mais ne s’agirait-il pas de poser la question autrement ? Est-ce que le meilleur ancrage mémoriel est dû au papier, ou au contenu qui est spécifiquement pensé pour lui ? L’ancrage mémoriel ne peut-il être équivalent, voire supérieur, avec un contenu pensé spécifiquement pour le numérique ?

À cela s’ajoute le fait que l’usage des outils numériques engendre une source potentielle de conflit instrumental¹. Cette notion désigne le fait qu’un des artéfacts (didactique, pédagogique ou technique) fait obstacle à l’appropriation d’un ou des deux autres. Ainsi, la simple numérisation de ressources d’enseignement ou de formation peut provoquer ces conflits. Par exemple, l’appropriation d’une notion grammaticale (artéfact didactique) via la version numérisée d’un manuel scolaire (artéfact pédagogique) sur une tablette (artéfact technique) peut provoquer un conflit dans la mesure où il faut maitriser cette dernière qui peut faire écran au savoir.

Une possible façon d’éviter les conflits instrumentaux serait de faire avec le numérique ce qu’il n’était pas possible de faire sans. On pourrait imaginer des « manuels numériques » avec possibilités d’apprentissage en réseau, où les apprenants se mettraient en contact, contextuellement autour d’un contenu.

Mais avouons-le, la bonne formule n’a pas encore été trouvée, le manuel scolaire traditionnel a encore de beaux jours devant lui. D’ici là : « fake it until you make it² » !

Article paru dans le n° 578 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie :

Écrire pour être lu

Coordonné par Ben Aïda et Jean-Michel Zakhartchouk
Ce dossier s’inscrit dans une réflexion critique menée sur les « fondamentaux » à l’école énoncés dans les discours injonctifs (« lire, écrire, compter, respecter autrui »). Il s’agit de s’interroger à la fois sur le sens à donner à l’écriture des élèves (qu’écrivent-ils, pourquoi, pour qui ?) et sur l’apprentissage du geste.

1. Pascal Marquet, « e-Learning et conflit instrumental », Recherche & Formation, 68, 2011 (en ligne : https://bit.ly/3MprX0f).
2. Fais semblant jusqu’à ce que ça marche. Écouter Nipédu S9E8 : La fin des manuels scolaires ? https://bit.ly/Nipedu_S9E8.