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Le livre du mois du n° 576 : Vers une école éco-logique

Daniel Curnier. Éditions Le Bord de l’eau, 2021

L’auteur, enseignant en sciences de l’environnement à l’université de Lausanne, écrit là un ouvrage militant qui plaide pour une école plus soucieuse d’écologie et fait des propositions intéressantes, tout en interpellant vigoureusement notre système éducatif (qu’il soit français ou suisse) et en s’appuyant sur des analyses sociétales qui peuvent faire débat. On peut regretter cependant que le livre ne s’appuie pas davantage sur des études précises d’une part, et sur des expériences pratiques d’autre part. Sur le premier point, l’auteur se justifie par son souhait d’être plus accessible et renvoie pour ces références à sa thèse, dont est issu le livre, disponible en numérique. Il n’empêche qu’on aurait aimé parfois que soient étayées des affirmations que l’on peut contester.

En fait, pour Daniel Curnier, il est essentiel de resituer les relations entre école et environnement dans un contexte global. C’est pourquoi la moitié du livre décrit à grands traits la marche désormais suicidaire du monde vers un effondrement quasi inéluctable, mais qui peut ne pas être apocalyptique si on parvient à réagir, en « changeant de paradigme ».

Nous nous intéresserons ici davantage à l’analyse qui est faite de l’école « produit de la modernité  ». Celle-ci est perçue comme très cloisonnée et au service d’un hypercapitalisme qui empêche les enfants de devenir des citoyens engagés et soucieux de leur environnement. L’auteur salue toutefois quelques tentatives allant dans le sens contraire et rend hommage aux pédagogies nouvelles.

Propositions

Ce qui fait l’intérêt principal du livre, c’est l’inventaire de propositions pour transformer l’école et changer ainsi de « paradigme ». Ainsi, page 146 et suivantes, sont inventoriés des « savoir-faire citoyens », des capacités transversales, inspirées notamment d’un rapport de l’Unesco, nécessaires pour « devenir des agents de transformation sociale » : l’acquisition de la pensée critique, en n’évacuant surtout pas les controverses, de la pensée complexe (se mesurer aux dilemmes et paradoxes), de la pensée prospective (bâtir des scénarios du futur), de la pensée transformative (quels moyens pour atteindre des buts souhaités ?), de la réflexion critique (interroger ses propres valeurs, introduire le questionnement éthique), et enfin, rendre les élèves capables de « passer à l’action », qu’elle soit individuelle ou collective. Et l’auteur de prôner une démarche intégrée, basée sur l’enquête, qui permettrait de « sortir de l’inculcation d’écogestes et du formatage des comportements par l’enseignant ».

Tout cela repose sur un projet éducatif en rupture avec un productivisme qui mène à l’épuisement des ressources et à un monde invivable. Un projet émancipateur qui définit des priorités telles que : « replacer l’espèce humaine au sein de l’écosystème planétaire », ce qui conduit à déconstruire le mythe du progrès, repenser l’être humain dans ses interactions avec « les équilibres écologiques globaux », à travers par exemple des échanges philosophiques entre élèves et, enfin, changer le rapport au savoir et à la science, en redonnant de la place aux dimensions symbolique et subjective.

Le livre, qui constamment donne à réfléchir et m’a fait dialoguer intérieurement avec l’auteur, peut à la fois séduire, rendre perplexe, voire réticent, mais intéressé. Il s’achève par une annexe qui aurait mérité une place plus grande : une série de propositions précises que l’auteur qualifie de « petits pas », ce qui surprend, plutôt agréablement, puisqu’il avait semblé récuser une option trop graduelle et « réformiste ».

Jean-Michel Zakhartchouk

Questions à Daniel Curnier

Pourquoi le tiret « éco-logique » dans le titre ?

Cela vise deux objectifs. Premièrement, se distancer de l’adjectif « écologique », aujourd’hui omniprésent, sans que soit précisé s’il est fait référence à l’écologie scientifique, à l’écologie politique, à l’écologie partisane, à un système de valeurs ou encore à des comportements. Deuxièmement, le tiret permet de préciser le projet contenu dans ce livre : penser une institution scolaire qui soit en cohérence avec ce que les sciences de l’environnement et les humanités environnementales nous apprennent de nos interactions avec notre maison commune – oikos en grec – et de son état de dévastation.

Comment faire prendre conscience aux jeunes des dangers qui nous menacent sans développer ce qu’on appelle « l’éco-anxiété » ? Comment à la fois rassurer et mobiliser ?

Tout d’abord, il me semble totalement irresponsable d’évacuer ces dangers de l’enseignement en raison des émotions négatives qu’ils génèrent. Il s’agit donc de s’interroger sur les différentes options qui s’offrent à nous pour accompagner les élèves. La piste la plus souvent évoquée consiste à présenter des solutions aux problèmes, ainsi qu’à mettre les élèves en action : réaménagement de leur établissement, actions de restauration d’écosystèmes, jardinage. Le risque consiste toutefois à créer l’illusion que des écogestes et des petits pas sont à la hauteur des enjeux. Or, c’est une transformation complète de nos sociétés qu’exige le dépassement des limites planétaires. Il faudrait donc inviter les élèves à définir et mettre en œuvre de nouvelles structures politiques, économiques, sociales et culturelles, sans évacuer les rapports de pouvoir qui freinent cette transformation.

Vous opposez pensée rationnelle et pensée symbolique, comme si cette dernière s’opposait à la science, qui serait instrumentalisée, pouvez-vous préciser ?

Je me considère comme un chercheur et crois dès lors que les sciences forment le moins mauvais système de représentations pour comprendre le monde. Cela ne signifie pas pour autant que la production de savoirs scientifiques soit neutre et exempte de limites. Ma critique est peut-être sévère, mais elle vise notamment à nuancer la foi en la toute-puissance scientifique pour résoudre les problèmes humains. Il n’y a là aucun relativisme, uniquement une invitation à penser ce sur quoi le savoir scientifique a prise et quelles sont les autres dimensions de la pensée à prendre en compte pour justement ne pas laisser certaines croyances devenir hégémoniques.

Vous critiquez l’école et le « formatage  » qu’elle opère. Comment éviter un formatage inverse avec des enseignants présentant les « solutions technologiques » comme dérisoires ?

C’est à nouveau une question de nuance. L’exemple des solutions technologiques pour résoudre le désastre environnemental est excellent. Il ne s’agit pas de dire que l’innovation technique fait systématiquement fausse route. L’enjeu ici est celui du développement d’une pensée critique. Quelles innovations sont pertinentes et lesquelles ne le sont pas ? Quelles sont les conséquences de la mise en œuvre de telle ou telle solution (par exemple la numérisation et son empreinte écologique cachée, ou l’électrification du parc automobile européen et les conflits sociaux liés aux projets d’exploitation du lithium nécessaire aux batteries en Serbie ou au Portugal) ? Quels sont les peuples et les classes qui sont responsables des dégradations passées et présentes ? Et quels autres facteurs expliquent les impacts environnementaux ? Présenter des solutions technologiques sans porter un regard critique sur la croissance et sans évoquer la variable démographique (en lien avec l’empreinte écologique par habitant) correspond à un projet politique forcément orienté idéologiquement : celui des réponses de l’hypercapitalisme aux préoccupations environnementales. Enseigner le programme officiel, c’est militer pour ce projet, souvent sans le savoir. Pour s’extirper du formatage sans être accusé de militantisme, il s’agit d’apprendre aux élèves à se poser des questions critiques tout en leur laissant le soin d’y répondre eux-mêmes.

Vous présentez de nombreuses propositions. Lesquelles vous tiennent le plus à cœur ?

En écho à ma critique du fonctionnement dominant des sciences, l’enseignement par modules interdisciplinaires où dialogueraient différentes disciplines scolaires me tient particulièrement à cœur. Le décloisonnement de l’enseignement, pour être plus en contact avec l’environnement non-humain, mais également avec les institutions politiques et économiques me semble aussi être une piste intéressante. Tout comme l’est celle d’une école démocratique où les élèves auraient un grand pouvoir de décision, afin de les préparer à endosser leur habit de futurs citoyens dans les meilleures conditions.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

Article paru dans le n° 576 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie :

 

 

Former les élèves à la coopération

Coordonné par Sylvain Connac, Cyril Lascassies et Julie Lefort
Il ne suffit pas que quatre élèves travaillent ensemble pour qu’ils en tirent un bénéfice. Sans précautions spécifiques, la coopération peut même décourager les plus fragiles. Un des leviers pour que la coopération soit profitable à tous est la formation des élèves à la coopération, pour leur expliciter les attendus.