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« Le jeu sans temps mort »

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Lorsque nous avons prévu de proposer en 5° un itinéraire de découverte (IDD) reposant sur le principe du jeu, nous ne pensions pas rencontrer des réactions embarrassées comme celles de certains parents d’élèves à qui le projet était présenté. Il fallait se rendre à l’évidence : le jeu est mal vu. Si le sport a une bonne image, le jeu au contraire est devenu synonyme de divertissement bon marché et méprisé. S’il en est besoin, on pourra en fournir une preuve : la méfiance des parents d’élèves vis-à-vis de l’enseignement par le jeu surtout si l’on mêle à la chose une matière sérieuse comme le Français.
Notre itinéraire de découverte voulait lutter contre l’échec scolaire et la démotivation en proposant aux élèves d’autres moyens d’apprendre, d’où le jeu à plusieurs, pour qu’ils trouvent sens, qu’ils adhèrent au savoir. L’interdisciplinarité devait permettre aux élèves de faire des liens entre les différentes disciplines, d’apprendre des connaissances générales avec différents supports et de réinvestir leurs acquis.
Notre postulat de départ pour cet itinéraire de découverte était de créer des situations variées, où les élèves cheminent à leur rythme et dans une direction qui se définit progressivement grâce à leurs travaux ; à cela s’ajoute le caractère concret de la réussite (à la différences des matières plus abstraites).
Notre réflexion sur enseignement et jeu à travers un itinéraires de découverte s’organise autour de trois aspects : la théorie, la mise en place et la production.

Un itinéraire de découverte interdisciplinaire sur sport et jeu

Notre IDD avait pour projet l’invention d’un sport collectif réalisé en toute sécurité, adapté aux installations et aux pratiquants et attractif, choisi par tous et avec un règlement facilement compréhensible. Il s’est étendu sur 12 semaines avec des séances de 2 heures continues (voir fiche descriptive et calendrier en annexes).
Pour le Français comme pour l’EPS, nous avons voulu mettre en œuvrer les acquis de l’enseignement par le jeu.

une réussite concrète et instantanée où l’élève est acteur de sa réussite :
La première phase du jeu en collectivité est la prise de connaissance des règles. Ainsi au cours de notre IDD, les élèves devaient rédiger le règlement de leur sport collectif fraîchement inventé. Ce texte explicatif a été préparé par une étude d’un règlement du football. Ils ont observé la présence de termes techniques et l’organisation du règlement avec les différents éléments pour ajuster par la suite leur texte. En ce qui concerne le Français, un bon moyen pour que l’élève connaisse les règles est de l’amener à contribuer à définir celles qui vont servir à l’évaluer. De même que le joueur voit objectivement s’il a tiré la bonne carte à la bataille, on bâtit avec l’élève des critères de réussite les plus objectifs possibles.
Si on y ajoute l’auto-évaluation, on ajoute un facteur de motivation intrinsèque qui permet aux enfants de s’inscrire dans une démarche d’apprentissage différente. Dans le sport collectif, l’élève voit si il a frappé trop fort ou non le ballon, comme dans une partie de jeu de l’oie où on voit objectivement combien de points sont sur la face du dé jeté. L’élève se dit qu’il peut analyser seul son échec en Français ou en EPS et rebondir. Pour l’EPS, on peut prendre en exemple les tableaux sur les variables d’un paramètre du sport collectif à compléter en une heure, en autonomie, en se déplaçant sur les installations sportives et en expérimentant. Il est aussi possible de proposer d’écrire une rédaction et, en seconde partie d’heure, permettre à l’élève de s’auto évaluer : on peut créer une équipe de deux élèves pour relire leur travail et l’évaluer grâce à une grille.

une forme ludique qui permet à l’élève de percevoir différemment le cours :
L’aspect ludique lié à des changements a pu encore apparaître lorsque l’on a proposé une mise en scène de l’évaluation : la « cible » (qui rappelle le jeu des fléchettes ou le tir à l’arc) rend la réussite visible comme dans cet outil d’évaluation qui est utilisé au début et à la fin de l’IDD. On demande à l’élève de définir le sport collectif par un mot. Chaque mot est placé sur la cible à l’endroit qui lui correspond. La conception du sport collectif que se fait chacun devient plus claire aux yeux de tous .

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Dans l’enseignement, la modification du contexte du cours à travers la modification des supports sera bénéfique : le dépaysement constitue souvent une surprise qui peut générer une écoute différente. Pour le cours spécifique de Français, deux exemples : l’élève compose une rédaction à partir de supports de magazines, ou il réécrit un texte littéraire à sa façon : il n’est plus en position de contemplation des œuvres littéraires du passé mais il a le droit de « rajouter des moustaches à la Joconde ». On peut ainsi lui demander de réécrire un récit de bataille épique en le parodiant : le chevalier Lancelot affronte à présent un autre type d’adversaire : un prof de maths armé de ses instruments de géométrie. Cette liberté apparaîtra peut-être choquante mais n’est pas plus absolue que celle du joueur contraint par des règles. Ces règles sont juste différentes. On peut aussi partir de supports de la vie réelle : des extraits de règlements existants pour écrire un règlement comme dans l’itinéraire de découverte. L’écriture est différente et motivante par là.

le rythme
Pour jouer, le rythme est capital. Il motive les participants mais a ceci de spécifique qu’il est induit par les joueurs. L’élève apprécie de pouvoir inventer et de surcroît à son rythme et le travail est dynamisé. Ainsi dans l’itinéraire de découverte que nous avons encadré, l’élève élabore lui-même sa partie de règlement sportif en plusieurs temps. Chaque groupe d’élève proposait une durée (temps de jeu et arrêts) pour son projet de sport collectif. Les phases d’expérimentations et d’écriture ont également alterné pour éviter un rythme de travail trop soutenu.

Restaurer une bonne image du jeu

L’EPS sait emprunter au jeu les modalités d’un apprentissage dynamique. D’une part, grâce aux critères précis et à la présence d’observateurs, les résultats sont concrets. L’élève peut s’évaluer sur l’instant par le degré de réussite. L’analyse a lieu, et toujours « à chaud » : juste après la performance ce qui permet à la prochaine réalisation d’être modulée.
D’autre part, les échanges, les situations collectives avec des partenaires et des opposants, donnent au sport collectif une dimension ludique, où chacun progresse à son rythme, où les rôles sont différents pour permettre à tous de s’exprimer.
Enfin, dans l’effort physique, être en compétition avec soi-même pour se dépasser ou avec les autres favorise l’émergence de progrès.
Il s’agit là d’une approche systémique de l’action où ce que l’élève apprend provient d’un dialogue avec le monde extérieur par l’intermédiaire d’une construction. L’enseignant, médiateur, chemine avec l’élève.

Le produit fini pour cet itinéraire de découverte se concrétise sous la forme :
– d’un journal de bord qui fait état de toutes les étapes,
– d’un règlement rédigé avec un traitement de texte et qui sera explicité à l’autre classe,
– d’un sport pratiqué et expérimenté pour ensuite réaliser une rencontre sportive.
Le jeu ne débouche donc pas sur le seul plaisir éprouvé lors de la réalisation du projet.

En définitive, le jeu nous a permis d’expérimenter lors de cet IDD un certain nombre d’actions pédagogiques qui ont trouvé leur prolongement en EPS comme en Français. Le caractère concret et travaillé du résultat final a permis de rassurer les familles un peu inquiètes à l’idée de nous voir employer des heures de cours à jouer. Reste que l’image de ce que doit être un cours est encore figée : le plaisir que l’on y prendrait est suspect. Les itinéraires de découverte sont peut-être un des moyens de changer cette représentation de l’école.

Patrick Lebigre, professeur de Français,

Fabienne Ledys, professeur d’EPS, Lycée A. Dumas, Port au Prince, Haïti.


ANNEXES

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ANNEXE 2 : CALENDRIER DE L’IDD

SEQUENCE IDD : « Inventer un sport collectif »

Classe de 5°

réalisé en toute sécurité, adapté aux installations et aux pratiquants, attractif, choisi par tous et avec un règlement facilement compréhensible

Chaque séance = 2 heures continues pendant 12 semaines

S1 – Présentation de l’IDD : objectifs, organisation, ce qui est à réaliser et à apprendre autrement, carnet de bord, fiches de travail et d’évaluation…

S2 – Phase d’observation – recherche :

S3 – Lecture par chaque groupe des informations et synthèse sur la définition du mot « sport » et de ses paramètres.

S4 – Evaluation de deux sports (l’un apprécié, l’autre nom) pour chacun des paramètres par binôme avec accès à des sources d’information si besoin (CDI, BCD, Internet).

S5 – Synthèse des points positifs en fonction des paramètres puis travail par groupe de 6-7 sur la mise en œuvre pratique de ceux-ci

S6 – Expérimentation pratique de ce qui est réalisé, des bilans, ajustements…..

S7 – Faire vivre son expérimentation à un groupe avec la co-observation du 3ème groupe, auto évaluation

S8 – Unifier les expériences pour créer un sport commun à toute la classe

S9 – Rédaction du règlement et des schémas

S10 – Mise en pratique, expérimentation pour affiner les choix

S11 – Terminer la rédaction du règlement et des schémas

S12 – Mise en pratique filmée et évaluation