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Thomas Legrand :  » Le facteur humain compte énormément »

Thomas Legrand est éditorialiste politique sur France Inter. Régulièrement, il parle des enjeux des politiques éducatives dans ses éditoriaux, avec nuance et sans occulter la complexité des problématiques, chose plutôt rare dans les médias. Cela nous a donné envie de lui poser quelques questions.
Est-ce à l’école qu’est née votre vocation de journaliste ?

Non. J’ai eu une scolarité très compliquée : je suis très dyslexique. J’ai fréquenté une école privée catholique, ouverte et postsoixante-huitarde, où les enseignants ne mettaient pas de notes, fonctionnaient par contrat et essayaient de s’intéresser aux processus individuels d’apprentissage des enfants plutôt que de les faire rentrer dans des moules. Ça m’allait bien. En classe 7e, j’ai dit à un pédopsychiatre que je voulais être journaliste. Il a éclaté de rire. Ça m’a mortifié, mais je l’ai pris comme un défi et j’ai persévéré. Durant mes études, j’ai passé mon temps à expliquer aux professeurs qu’ils allaient être catastrophés par mon écriture, mais qu’à l’oral je me débrouillerais s’ils voulaient bien passer outre. Je m’étais organisé pour les examens : trois heures pour rédiger puis une heure pour corriger. Cela ne veut pas dire que je n’aime pas écrire, mais il y a une difficulté mécanique. Ce n’est probablement pas un hasard si je suis devenu un homme de radio !

Il y a pas mal de journalistes qui étaient ou sont dyslexiques, mais c’est une sorte de tabou. Je crois que la dyslexie développe un état d’esprit de contournement qui fait qu’on regarde les choses sous un angle un peu différent, pour voir les divers aspects. C’est assez utile pour les journalistes.

L’éducation peut écraser, notamment en France, par l’uniformité, les règles très classiques et autoritaires. En France, on peut passer toute sa scolarité sans oser lever le doigt pour poser une question et personne ne s’en rend compte. Aux États-Unis, personne n’a peur de poser une question idiote.

Nous avons l’impression que de nombreux journalistes connaissent finalement très mal l’école de l’intérieur et qu’ils en restent à du superficiel. Vous semblez échapper à cet à-peu-près et ce faible intérêt pour la pédagogie ?

Aujourd’hui, les journalistes sont une caste de bons élèves. Il faut être passé par des écoles qui sélectionnent de façon très scolaire. Il y a encore quelque temps, les parcours étaient plus divers. Il y a de ce fait une forme de vénération de la voie classique, de l’excellence, parmi mes confrères.

En tant qu’éditorialiste politique, j’essaye tous les jours d’expliquer que, dans tous les domaines, un slogan est beaucoup trop court pour appréhender la complexité. Il faut lutter pour la complexité et contre les simplifications, ça tue la politique. Et s’il y a un domaine où les slogans deviennent insupportables, c’est bien celui de l’éducation. Derrière chaque slogan, il y a de la complexité et des interprétations différentes. Quand on revendique l’égalité, parle-t-on d’uniformité ou de différenciation ? Dans une période d’inégalités spatiales dans l’urbanisme, l’uniformité n’est pas du tout garante de l’égalité. Le débat sur l’éducation est très symptomatique du débat politique en France tel qu’il devrait se mener. On parle beaucoup d’horizontalité en politique : en matière d’éducation aussi il faut passer du vertical à l’horizontal. Les solutions ne se trouveront plus dans les schémas classiques, mais dans la capacité d’adaptation.

Récemment, vous avez fustigé le trop grand jacobinisme dans l’école française et plaidé pour une école nordique à la fois bienveillante et efficace. Mais l’autonomie absolue, pratiquée ces dernières années en Suède par exemple, peut aussi renforcer les inégalités.

Je ne sais pas s’il faut une autonomie absolue. Mais je constate que personne n’est content de notre école actuelle et je ne crois pas que ce soit seulement une question de moyens.

Les systèmes qui trustent le haut des classements PISA sont les écoles asiatiques (très autoritaires) et nordiques (plus libertaires et égalitaires, prônant l’épanouissement). En France, on a le culte de l’égalité et je l’ai aussi. Je pense que notre société aspire plus à la deuxième solution qu’à la première. Quand on regarde les écoles très autonomes des pays du Nord, on voit que même dans les endroits socialement en difficulté, elles ont de bons résultats. Mais je ne dis pas que cette méthode est la meilleure. Je ne hiérarchise pas les méthodes d’enseignement, je ne veux pas substituer une grille à une autre grille, je veux que chacun puisse expérimenter et enseigner de façon cohérente avec ce qu’il est et estime meilleur. Peu importe la méthode, si elle est le fruit d’une volonté et du travail d’une équipe pour s’adapter à un territoire et à la sociologie des élèves. On voit tellement de différences entre les établissements où il y a une bonne ambiance, un bon directeur, et les autres. Le facteur humain compte énormément !

Pour autant, je ne promeus pas le choix de l’école ou de l’établissement, je suis favorable à la sectorisation. Je choisis le fait que les chefs d’établissement et les enseignants puissent être qui ils sont et fassent comme cela leur convient.

Il semble pourtant que dans la réforme des rythmes et celle du collège, c’est précisément cela que refusaient les opposants, cette autonomie, cette adaptation.

Ils refusent en disant qu’ils n’ont ni les moyens ni le temps. C’est vrai que dans beaucoup d’endroits, ils ne les ont sans doute pas et peut-être que le Gouvernement s’y est mal pris dans les deux cas, mais on aurait aimé entendre plutôt des réponses du genre « sur le principe c’est super, donnez-nous les moyens ! », là où on a plutôt entendu : « On ne veut pas de cette réforme et de toute façon on n’a pas les moyens. » Le manque de moyens comme défense ultime… On ne peut pas critiquer et l’orientation et le manque de moyens, c’est suspect, cela ressemble à un argument prétexte parce qu’on n’ose pas dire qu’on n’a pas envie que ça bouge. Dans l’Éducation nationale, on a un peu l’impression qu’on n’a le choix qu’entre réactionnaires et conservateurs. Il y a une nostalgie de l’école telle qu’elle était avant, c’est un anachronisme.

Il y a certes un certain confort, dans un monde de plus en plus ouvert et incertain, à recevoir des grilles toutes faites imposées d’en haut. Je perçois un syndrome de Stockholm chez les enseignants qui résistent aux réformes : tout le monde a peur de la structure, mais quand on offre plus d’autonomie, ils ont encore plus peur et se réfugient derrière l’autorité tutélaire des inspecteurs. Ils résistent à la proposition « faites cours comme vous voulez, organisez-vous entre vous, voyez avec la mairie ce qui est possible  ». Je ne comprends pas que beaucoup d’enseignants plébiscitent le film Demain, mais ne réclament pas plus d’autonomie et d’horizontalité dans leur domaine. Ils vont faire des jardins partagés le dimanche, mais continuent à vouloir que l’État leur dise comment éduquer des enfants qu’ils connaissent, eux.

Cela étant, je comprends que quand les enseignants sont pris à partie par des parents, ils se confondent avec l’institution et se mettent dans une position un peu conservatrice. La société ne va pas bien, il y a beaucoup d’agressivité dans l’air, ça se ressent à l’école. Et les parents ont tellement peur pour l’avenir de leur progéniture : on a l’impression qu’il n’y a plus que l’école pour sauver les enfants. Ça enkyste tout le monde. Chacun veut que l’autorité soit exercée par l’échelon supérieur, dans un exercice de défausse générale, ça donne que tout un tas de politiques veulent le retour de l’autorité, autoritarisme. Ce n’est pas de cela dont on a besoin, me semble-t-il, mais de responsabilité.

Propos recueillis par Cécile Blanchard


article paru dans notre n°531, S’embarquer dans les apprentissages, coordonné par Maëliss Rousseau et Céline Walkowiak, septembre-octobre 2016.

Comment embarquer les élèves dans les apprentissages, pour qu’ils aient l’envie et le plaisir d’apprendre ? Comment développer leur implication et leur engagement dans leurs apprentissages ? Certains dispositifs pédagogiques favorisent-ils la motivation et la mobilisation des élèves ? Pour quelle efficacité et quelles exigences ?

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