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Laurence Marthouret : « J’attache beaucoup d’importance aux enfants qui n’osent pas »

Qu’est-ce qui pousse une chorégraphe à monter des projets artistiques avec des classes ? Laurence Marthouret nous parle de son plaisir à travailler avec des enfants et de ce qu’elle veut leur transmettre lors des ateliers qu’elle propose du côté de Nice.
Quel souvenir gardez-vous de l’école ?

Il y a eu de très belles années, et une très difficile à vivre, en CM2. J’ai connu plusieurs deuils familiaux successifs cette année-là, et l’institutrice n’a pas su m’accompagner. L’année suivante, j’ai eu un maitre qui a été très important. Il plaçait le sport et les activités manuelles au même rang que le calcul mental, la poésie, sans hiérarchie. Sinon, je ne me souviens pas trop de la maternelle, mais ma mère m’a raconté que je pleurais le jeudi parce qu’il n’y avait pas école.

Ensuite, j’ai souvent eu des profs d’EPS très engagés, avec une belle pédagogie. Le rapport au corps était transmis, avec différentes pratiques, un rapport à l’autre, le sens du collectif, tout ce qu’on retrouve dans la danse contemporaine et que je mets en pratique dans ma compagnie et dans ma transmission.

Aujourd’hui, à quelles occasions retournez-vous à l’école ?

Je mène plein de projets en primaire. J’y attache énormément d’importance, j’implique toute mon équipe de danseurs dans la construction des projets, c’est un véritable travail de compagnie. On est dans une collaboration étroite avec les professeurs des écoles, ils participent à l’atelier, ils ont le projet en amont, on échange beaucoup, en interaction constante.

Ce que je propose aux écoles fonctionne autour d’un travail de création. J’immerge les enfants, je les fais venir dans le studio de danse où je suis en résidence, pour la présentation d’une pièce chorégraphique, je les plonge dans l’art chorégraphique, et après je fais des ateliers avec eux, où ils vont pratiquer.

Ce sont des projets longs, entre douze et seize heures au total, et chaque séance dure deux heures. Il faut un temps suffisamment long pour que tombent la peur, la timidité, le mauvais trac, qui empêchent de faire, pour lâcher prise. On commence avec une préparation du corps assez conséquente, puis on aborde à chaque fois le travail en solo, en duo, en collectif, et aussi le travail de spectateur, avec un groupe qui danse, un groupe qui regarde. On va ensemble traverser différents états, regarder, être regardés, et ensuite il y a un échange et une réflexion sur ce qu’on a ressenti, un travail sur les émotions et les mots. Ça permet de découvrir aussi l’état de spectateur.

J’ai ajouté un élément dans ma pratique en travaillant avec une classe très difficile. Comme les écoles ont des tablettes, je demande aux enseignants de venir avec, et deux ou trois enfants prennent des photos de ceux qui dansent. C’est encore un autre regard que celui de spectateur. Très souvent, quand il y a de la compétition, le fait d’être en alternance photographe, danseur puis spectateur évacue concurrence et jalousie. Une relation de complicité s’instaure, quelque chose de constructif.

Enfin, j’aime bien aussi que toute la classe puisse présenter son travail, tout le parcours, à une autre classe. Ça n’est pas vraiment un spectacle, mais on choisit différents moments de l’expérimentation à montrer.

Qu’est-ce que cela apporte aux élèves, selon vous ?

C’est démocratique, parce que très peu d’enfants vont voir de la danse contemporaine. La pratique de la danse est une ouverture, ça redistribue les cartes au sein de la classe. Avant de démarrer, j’ai un entretien avec les maitres et maitresses, où ils parlent de leur classe. J’y tiens beaucoup. Quand on fait le bilan, la façon dont ils parlent de leur classe après notre parcours est complètement différente. Ils découvrent leurs élèves d’une autre façon. Il y a une nouvelle facette qui émerge des enfants. C’est le plus intéressant. Dans une classe, les choses se figent, à un moment. Cette rigidité a besoin d’être perturbée, ce que permet un projet artistique, et la danse d’autant plus que c’est une discipline qui implique un travail collectif, avec le corps, qui change le rapport des enfants entre eux et au groupe.

Quelle relation avez-vous avec les enfants ?

Ce qu’ils me renvoient est très positif. Ils expriment un plaisir immense d’avoir eu cette expérience. Ils sont surpris, ils ne savaient pas que la danse c’était « ça », ils pensaient que c’était « pour les filles ». J’emploie très peu le mot danse. Je ne leur dis pas « on va danser », mais « on va travailler l’espace », ou « le corps », « le contact », « se mettre dans une bulle ».

Je donne des consignes très claires sur la vitesse, sur le corps (par exemple, utiliser uniquement la main, ouvrir ou fermer le corps), pour qu’ils puissent explorer avec leur propre corps. Il n’y a pas un modèle de référence, on ne peut être que dans le plaisir de faire et de réussir, on ne peut pas échouer à partir du moment où on accepte de faire. Le projet se fait en dehors de l’école, dans un espace tout blanc, très lumineux, et neutre. Sortir de l’école est un atout, tous les automatismes disparaissent.

J’attache beaucoup d’importance aux enfants qui n’osent pas. Il y a des classes où ils sont nombreux. Je mets beaucoup l’accent sur l’expérimentation et le fait d’oser, et je ne leur laisse pas la possibilité de ne rien faire. Le plus souvent, les inhibitions tombent très vite, dès la deuxième ou troisième séance.

Cette année, avec une classe de CM1, durant notre premier échange, les élèves ne me parlaient que de ça, certains parlaient même d’angoisse. Mais ensuite, lors de la séance, tout le monde a montré quelque chose, aucun n’est resté bloqué. Le fait d’en avoir parlé, certainement, et puis j’avais prévu qu’ils montrent en petits groupes, pas longtemps. Tout de même, ça m’a frappée, c’est la première fois que des enfants me parlent d’angoisse, aussi bien les garçons que les filles.

Et vous, que vous apportent ces ateliers ?

J’ai énormément de plaisir à voir des enfants danser. Il y a une spontanéité, une créativité, un imaginaire, sans filtre. Comme un état de grâce. On a tout de suite le résultat de notre demande. Si la consigne n’est pas comprise, on le voit tout de suite aussi. Ces ateliers sont un endroit où je peux être à fond dans l’empathie, l’humanité, dans ce que je veux transmettre de plus beau.

Les artistes sont soumis à beaucoup de pression, de rivalité, ce sont des métiers difficiles humainement. Je vois ces ateliers comme un petit cocon où, tout à coup, on n’est que dans la bienveillance, le soutien ; des espaces de bonheur, d’échanges avec enfants et équipes enseignantes. À chaque fois, je suis sidérée par l’humanisme de ces équipes. Ça me fait du bien, aux danseuses également. Elles sont très demandeuses de ces projets. Et je pense qu’on fait du bien aussi aux enseignants, vu leurs retours. On leur apporte aussi une bulle. Ils dansent avec les enfants, qui voient le maitre ou la maitresse danser, et leur regard change aussi.

J’aime bien quand les choses peuvent se rejouer. J’aime apporter une chance de se redécouvrir.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

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