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La vidéo : un moyen pour analyser sa didactique
La forme d’analyse des pratiques que je présente ici relève du champ de la didactique disciplinaire en EPS ; il s’agit d’un travail réalisé dans le cadre de la formation initiale des stagiaires EPS en deuxième année d’IUFM. Ce module « Analyse didactique des Pratiques » est organisé autour de la réalisation d’une cassette vidéo par le stagiaire et son conseiller ; il tente de développer la compétence à analyser la pratique d’un point de vue didactique en se centrant sur l’activité de l’enseignant ainsi que sur celle des élèves en EPS. Il s’appuie d’une part sur nos observations lors des stages de formation continue (Loizon, Terrisse, 2002a) et d’autre part sur les résultats d’une recherche portant sur l’analyse des pratiques d’enseignement du judo (Loizon, Terrisse, 2002b). Il ressort de ces différentes analyses que les enseignants ont beaucoup de mal à faire évoluer les tâches proposées aux élèves ; ils n’arrivent pas à augmenter la difficulté de ces tâches en jouant sur les variables didactiques.[[Les variables didactiques peuvent être définies comme des éléments caractéristiques des situations d’apprentissage dont l’enseignant peut choisir la valeur afin d’influencer fortement ces apprentissages (Brousseau, 1986).]] Il est possible d’identifier ce jeu sur les variables en analysant les contraintes données aux élèves dans la formulation des consignes.
J’illustrerai mon propos sur les variables en choisissant une tâche simple en sports collectifs : monter la balle à deux en direction du but adverse. L’enseignant peut choisir d’introduire certaines variables sous forme de consignes pour augmenter la difficulté de cette situation d’apprentissage classique en sports collectifs. Il peut en fonction de ses objectifs rajouter des contraintes à l’élève sur la forme des passes (tendues, en cloche, à rebond), sur les actions autorisées pour les joueurs (dribbler, marcher), sur la durée de la séquence (5 secondes pour monter la balle), l’introduction de défenseur sur une partie du terrain.
J’ai donc demandé au binôme constitué par le stagiaire et son conseiller, de montrer grâce à la vidéo, l’effet d’une consigne particulière sur l’apprentissage des élèves en EPS. Pour les aider dans leur réalisation, j’ai souhaité voir apparaître à l’écran quelques points nécessaires à la compréhension de l’action du professeur : l’énoncé de la tâche avec l’activité motrice produite par un ou plusieurs élèves, puis l’évolution de cette tâche avec la nouvelle consigne et les effets sur les élèves. Cette réalisation était ensuite présentée à tout le groupe en présence de quelques conseillers pédagogiques.
Au fil des années, j’ai développé une méthodologie qui sert de cadre de réflexion et d’analyse. À partir du deuxième trimestre, après avoir déterminé leur sujet, le stagiaire et son conseiller réalisent le film en utilisant leurs élèves. Lors de la visualisation de la cassette en février ou mars, c’est généralement le stagiaire qui présente au groupe le contexte (la classe et l’activité physique) et la variable sur laquelle ils ont mis l’accent à travers des consignes particulières comme les actions du défenseur. L’expérience nous apprend que le binôme oublie parfois de relever d’autres variables dans les consignes comme ici la durée de la séquence ; le groupe est donc invité à identifier de manière très précise les Variables Présentes dans les consignes et les Variables Manipulées, c’est-à-dire celles qui font l’objet d’un changement de valeur dans l’évolution de la tâche. Ainsi, en hand-ball, pour la variable « forme de la passe », l’enseignant peut demander au joueur de passer la balle comme il veut, puis uniquement avec des passes en cloche, puis uniquement avec des passes à rebond. Sur le film, on observe et on écoute celui qui dirige la classe qui a servi de support à ce travail ; en fonction de l’activité sportive, c’est le stagiaire ou le conseiller qui est filmé. Enfin dans un troisième temps, l’ensemble du groupe tente de trouver d’autres variables possibles pour faire évoluer la tâche vers d’autres apprentissages.
À la fin de chacune des séquences de formation nous demandons systématiquement au binôme qui a produit la cassette, de remplir un questionnaire afin d’identifier ce qui est appris lors de la réalisation et la présentation de ce document vidéo. Le choix de la (ou des) variable est souvent laissé au stagiaire à partir de l’identification d’un problème d’observation des élèves dans une activité donnée comme par exemple : « je n’arrivais pas à voir ce que faisaient mes élèves en football ». Les effets de ce type de production nous ont ainsi permis d’élargir nos objectifs de départ : il s’agissait bien sûr de développer la compétence à observer l’activité des élèves face à certaines tâches, mais aussi de favoriser la relation stagiaire-conseiller autour d’une tâche commune à visée didactique. À l’unanimité, tous reconnaissent avoir développé une meilleure observation des élèves (ex : la façon de réceptionner la balle en courant). La réflexion sur la nature des variables présentes et manipulées permet à chacun d’évoquer ses pratiques. La sélection des variables qui provoquent de véritables transformations chez les élèves est souvent l’objet de nombreuses discussions entre le stagiaire et son conseiller. Après la séquence de présentation et de discussion à partir des cassettes, les stagiaires comme les conseillers repartent souvent en s’interrogeant sur le choix et la mise en œuvre de certaines variables qui sont manipulées de manière consciente alors que d’autres échappent à tout contrôle. La réflexion dans le troisième temps au sujet des variables possibles permet à chacun de s’enrichir en découvrant l’utilisation d’autres variables.
Cette collaboration étroite entre stagiaires et conseillers lors de la réalisation de la cassette, ainsi que les échanges lors de la phase d’analyse en groupe, produisent des effets sur le développement des compétences professionnelles liées à l’observation, à l’analyse et à la régulation de l’action. Il faut souligner le fait que dans la phase d’analyse, il n’y a pas de prédominance particulière ; l’expertise des stagiaires ou des conseillers dans certaines activités sportives permet à chacun de faire part de son expérience acquise soit en EPS, soit en club. Certains conseillers ajoutent même que ce travail se poursuit au-delà de la réalisation de la cassette vidéo. La réflexion qui porte sur le point précis des variables didactiques intéresse donc tous les acteurs, stagiaires, conseillers et formateurs, mais il serait prématuré d’affirmer que cette action utilisant la vidéo favorise à elle seule le développement d’une attitude réflexive. Au regard du dispositif mis en place à l’IUFM de Bourgogne en EPS, je peux dire aujourd’hui à partir des bilans de fin d’année, que c’est l’ensemble des productions [[Il faut citer le mémoire professionnel, le rapport sur l’activité en UNSS, le travail réalisé dans le cadre du stage de pratique accompagnée ainsi que les séquences pratiques dirigées par les jeunes collègues dans certaines activités sportives.]] réalisées en deuxième année d’IUFM et leur pertinence par rapport aux besoins de nos jeunes collègues qui est à l’origine du développement de cette attitude réflexive.
Loizon Denis, Professeur EPS IUFM Dijon
– Loizon D., Terrisse A. (2002a) « EPS et compétences déclarées en combat de préhension. La formation continue des professeurs d’EPS », communication orale aux 7èmes Journées de Réflexions et de Recherche sur les Sports de Combat et les Arts Martiaux à Toulon, 11 et 12 avril.
– Loizon D., Terrisse A. (2002b) « Recherche et formation : la transmission des savoirs et ses incidences sur la formation des professeurs de judo », Actes du colloque inter IUFM de Bordeaux, avril 2002.