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La relaxation pour gouter la saveur du temps
Premières minutes d’un cours d’histoire géographie en grande banlieue parisienne. Je donne les consignes à mes élèves de 3e : « Aujourd’hui, nous allons approfondir la notion de totalitarisme. Lisez les documents et les questions qui les accompagnent. Ensuite, vous fermerez les yeux et compterez vos sept vagues, alors vous pourrez commencer à répondre au brouillon ». J’ajoute : « C’est compliqué, il y a des débats entre historiens sur ce sujet, mais nous avons tout le temps. »
Vendredi après-midi, vers le milieu de la séance. Les élèves s’agitent ou s’affaissent sur leurs chaises, l’attention se disperse. Je déclare « Oui, moi aussi, je trouve que c’est vraiment long aujourd’hui… ». Puis en les invitant à m’imiter, je m’étire, « joignez les mains et élevez les bras, paumes vers le ciel, baillez, trois fois », avant de reprendre le fil de la leçon.
« Prenez tout votre temps, car le travail que je vous demande est difficile. » Ces quelques mots semblent incongrus, c’est le contraire de ce que les élèves entendent habituellement. L’installation de quelques petits temps de détente lorsque des signes de fatigue et de nervosité apparaissent garantit également l’effet de surprise, car il n’est pas si fréquent de donner et se donner du temps dans une classe.
Pourtant, nous savons que l’acte d’apprendre nécessite du temps pour rendre l’esprit disponible dans une présence au monde, une ouverture à ce qui peut advenir. Nous savons aussi que cette mise en disponibilité de l’esprit est indissociable de celle du corps. Des enfants dont le corps est crispé et tendu s’agitent, ne peuvent se concentrer.
C’est à partir de ce constat d’une double nécessité, d’une part tenir compte du continuum entre l’état du corps, les facultés mentales et l’apprentissage, d’autre part structurer le temps, construire de la temporalité avec les élèves, que j’ai décidé de me former[[« Du stress et anxiété », faculté de médecine de Lille III ; formation professeur de yoga ; formation aux techniques de relaxation à l’école par le RYE (Recherche sur le yoga dans l’éducation) qui propose une approche laïque d’une pratique spirituelle associant la dimension corporelle à l’apprentissage.]] pour proposer ensuite de courts exercices de relaxation dans mes classes.
La saveur de l’immobilité
C’est bien connu, nos élèves vivent sous le règne de l’immédiat, immédiat des informations, immédiat du désir dans le zapping, immédiat des médias sont de plus en plus stressés. Mais on ne peut pas obliger quelqu’un à se relaxer ! Pour que les élèves s’associent à la démarche que je propose, ils doivent rapidement en apprécier les effets.
« Laissez tomber la tête doucement vers l’avant. En inspirant, relevez la tête et penchez-la doucement vers l’arrière… Recommencer trois fois. Replacez le cou dans l’axe, puis penchez la tête vers la droite. Elle veut rejoindre l’épaule droite, mais celle-ci ne va pas à sa rencontre. Ramenez la tête au centre, puis penchez vers la gauche… Trois fois de chaque côté. Enfin, dessinez un grand cercle en imaginant que vous avez un feutre au bout du nez. Bâillez. Comment vous sentez-vous ? »
Ces mouvements effectués consciemment (on peut proposer une musique rythmée et suffisamment lente pour les accompagner) sont bien reçus par les élèves qui se les approprient souvent pour leur usage personnel, car ils en ressentent immédiatement les bienfaits. Défatigants et dynamisant en douceur, ces exercices permettent une élimination des tensions parasites accumulées pendant le cours précédent ou en récréation, et incitent à un retournement vers une intériorité qui favorisera l’apprentissage dans la suite de la séance.
Dès que les élèves sont un peu familiarisés avec ces relaxations en mouvement, je leur donne l’occasion d’apprécier la saveur de l’immobilité durant de courts moments.
« Posez les mains sur la région du nombril et sentez leur mouvement en même temps que vous respirez… à l’expir… à l’inspir… Portez votre attention à l’entrée des narines… Sentez l’air qui entre… qui sort… sa température… Mettez toute votre attention dans vos oreilles… Écoutez les bruits qui viennent de l’extérieur, du plus lointain que vous pouvez… de la rue… de la cour… plus proche, dans la salle… Écoutez maintenant trois petits bruits (Papier froissé, tapotement sur le bureau…) Réécoutez ces trois bruits dans votre tête… Écoutez maintenant le bruissement de l’air à l’entrée des narines… puis, retrouvez dans l’ordre les trois bruits que j’ai faits tout à l’heure… retrouvez les bruits de l’extérieur… de la cour… Respirez bien en comptant sept respirations comme sept vagues… Sentez vos pieds sur le sol… restez les yeux fermés un instant… puis mettez-vous au travail. »
Attention ou tension ?
Sensibles à la détente procurée par ces sortes de « sas », les élèves constatent leurs effets sur l’ambiance plus calme de la classe et la qualité de leur écoute. Bien sûr, ces brèves relaxations ne suffisent pas à elles seules, mais, répétées régulièrement, elles laissent une empreinte sensorielle. Les élèves s’habituent à se sentir simplement vivants de l’intérieur grâce à la conscience du souffle. Ils découvrent que prendre le temps d’être présent, ça fait du bien !
Des « rituels corporels » scandent ainsi le temps de mes leçons et marquent les passages entre différentes activités. Que ce soit pendant le déroulement de la leçon, avant de se concentrer sur l’apprentissage d’une nouvelle notion, avant une interrogation ou un exercice, ou alors à la fin pour enregistrer et réviser ce que nous avons appris, de courtes relaxations guidées précédées d’une prise de conscience du corps et de la respiration apprennent aux élèves à se détendre vers l’objectif, et non pas à se tendre vers lui. Trop souvent, ils confondent attention avec tension, faute qu’on leur ait expliqué concrètement comment faire pour être plus attentif bien qu’on le leur demande constamment.
La patience nécessaire
Nos élèves veulent « Tout, tout de suite ! » Des travaux sans brouillon, des interventions orales sans attente, la réussite sans tâtonnements, des bons résultats sans travail dans la durée. Leur apprendre à sursoir à leurs impulsions et à supporter des temps de latence devient une urgence. Et cela passe d’abord par une maitrise physique.
Un exemple. Chacun debout près de son bureau, je propose de pratiquer l’enchainement du héros en trois temps. Au début, les élèves font en même temps que moi, puis avec un léger différé, et ensuite seuls.
– D’abord, le héros réfléchit – bras devant soi, mains l’une sur l’autre paumes vers soi – il pèse le pour – main droite sur main gauche – et le contre – main gauche sur main droite (4 alternances).
– Puis il prend sa décision – J’inspire et sur l’expir je fais un grand pas vers l’avant en avançant un pied.
– Et il passe à l’action – Je prends la posture finale.
– Enfin, il est content du travail accompli – Je reviens et reste un petit temps immobile, à apprécier…
L’immédiat est dans le réactionnel, dans l’émotion. Quand je les interroge, beaucoup d’élèves disent à peu près cela : « Si c’est long, ça prend la tête », « ça doit me plaire et aller vite ». Ils tolèrent difficilement la frustration, les tâtonnements inévitables dans un premier temps d’apprentissage, la patience nécessaire pour qu’une nouvelle notion s’intègre à ce l’on sait déjà, soit enregistrée à long terme. Ainsi, lorsqu’on décide de faire attention, on doit s’efforcer de garder à l’esprit la chose à apprendre pendant un moment qui, s’il se prolonge, mène à la concentration et permet la compréhension et la mémorisation.[[Yves Lecoq, « Créer un imaginaire d’avenir », article des Cahiers pédagogiques n° 474, juin 2009.]]
La posture du héros nous aide à le comprendre « par corps ». Cet exercice décompose les temps de l’action et insiste sur le prélude – le sursis, le ralentissement qui permet la réflexion – et le final – la récompense du travail bien fait qui vient achever l’action.
Mémoriser les étapes de l’exercice ne va pas de soi. Nous devons recommencer plusieurs fois, et expérimenter ainsi le temps de la répétition qui enracine la connaissance. Bien sûr, c’est difficile, mais qu’est-ce qu’un héros si ce n’est quelqu’un qui réussit des choses difficiles ? Filant la métaphore du héros, nous réfléchissons ensemble à ce qui est nécessaire pour réussir, et concluons à la nécessité de suspendre le temps pour construire et fortifier sa détermination et sa volonté. Enfin, nous imaginons un transfert possible de ce que nous avons appris dans des situations scolaires. Par exemple, ne pas se précipiter sur sa copie dès que le contrôle est distribué, se dire sa phrase dans sa tête avant de lever la main en cours.
Quels bénéfices ?
Les élèves sont généralement d’accord pour s’investir dans un apprentissage. Ce qui est difficile pour eux est de maintenir cet engagement dans la durée sans recevoir de gratifications immédiates. Pour les aider à conserver leur détermination, on peut leur apprendre à se projeter dans l’avenir en se représentant de manière très concrète les bénéfices qu’ils tireront de leurs efforts. Il est nécessaire qu’ils se représentent aussi des bénéfices un peu moins éloignés dans le temps (dans l’année, dans un mois) comme autant de jalons dans leur parcours.
S’inscrire dans un long terme
C’est en heures de vie de classe consacrées à l’orientation, les effectifs étant réduits, que j’ai pu expérimenter des relaxations un peu plus longues, visant à inscrire le projet des élèves dans une temporalité à trois échelles. Après avoir installé la détente physique par des étirements, la conscience du corps et du souffle par des exercices de recentrage, j’ai proposé aux élèves de visualiser des images derrière leurs yeux fermés.
– Première image : se voir hors du milieu scolaire, lorsqu’on aura réalisé son projet. « Je me vois lorsque je serai pompier. »
– Deuxième image : se voir en train de réussir à l’école cette année. « Je me vois en train de recevoir mon bulletin avec une moyenne générale de 13. »
– Troisième image : se voir en train de faire quelque chose tout de suite pour aller vers mon objectif. « Je me vois en train d’apprendre mes leçons de français et d’aller me renseigner sur le recrutement des pompiers et les possibilités de stages. »
Chaque image doit être la plus précise possible : voir le lieu, les couleurs, imaginer les bruits, les paroles, se voir soi-même, comment on est habillé, ce que l’on fait.
Puis au sortir progressif de cette relaxation, les élèves sont invités à décrire ou dessiner leurs images sur une « ligne du temps », qui pourra être reprise et évoluer au cours de l’année.
Ces relaxations, très appréciées par les élèves, ont pour bénéfice premier de donner du sens à l’attente. Elles relient des gratifications proches, à court et moyen terme, à une action tout de suite, en vue d’un projet concret, mais trop éloigné dans le temps pour soutenir seul et efficacement une volonté défaillante. J’incite les élèves à retrouver leurs trois images régulièrement dans leur tête lorsqu’ils manquent de confiance et se découragent.
Déprise de l’urgence
Enseignants confrontés des tâches multiples et morcelées, nous nous sentons souvent débordés et entrainés dans une course contre la montre en cinquante-cinq minutes de cours. L’immédiateté devient alors pour nous aussi le seul horizon temporel dans l’objectif de garder les « spectateurs » présents, alors qu’une part de notre rôle éducatif devrait consister à provoquer une coupure dans ce temps de l’instant où vivent nos élèves et à introduire de la durée sous la forme de « pauses structurantes »[[Hélène Trocmé-Fabre, J’apprends donc je suis, Éditions d’Organisation, 1994.]] pour que les élèves construisent leurs connaissances.
Dès les débuts de ma carrière, pratiquant la relaxation à titre personnel, j’éprouvais ses effets bénéfiques sur mon stress de jeune professeur en collège « sensible » de grande banlieue parisienne. Découvrant l’agitation physique et émotionnelle des élèves, leur difficulté à se poser pour apprendre, l’idée me vint que ce qui me réussissait pouvait aussi leur réussir. L’acquisition de techniques de relaxation pourrait, à mon sens, devenir une des pistes de formation pour les professeurs débutants. L’exercice du métier d’enseignant gagnerait en efficacité du fait même d’une déprise de l’urgence, d’une pratique du « laisser agir » avec confiance dans les effets du temps de maturation nécessaire à toute croissance.
« Doucement, je suis pressé », disait Talleyrand. Si l’on veut que les fruits de l’apprentissage murissent, prenons le temps de planter des graines et de les laisser croitre.
Véronique Mainguy
Professeure d’histoire-géographie à l’IUFM de l’Université Paris-Est Créteil