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La réforme de l’enseignement du français à l’épreuve du bac
De 1996, date à laquelle ils ont été introduits en 6e, jusqu’à aujourd’hui où ils atteignent la classe de première, les nouveaux programmes de français ont profondément changé la discipline à la fois dans ses contenus, qui se sont diversifiés et dans ses méthodes.
Les nouveaux programmes de français résultent en partie des réformes successives qui ont accompagné les évolutions de la société française et de son École [[Cf. l’article de Monique Macaire : « L’évolution de la demande institutionnelle », paru dans la Collection Lettres ouvertes : Vers la maîtrise des discours, février 1998, CRDP Bretagne, p.27 à 45. La réforme n’avait pas encore touché le lycée. L’analyse proposée permet néanmoins une mise en perspective intéressante.]].
D’un inventaire de notions, œuvres et textes à connaître, qui caractérise encore les IO de 1977, nous sommes passés à la formulation de domaines de compétences à acquérir déclinées en trois grands domaines : lecture, écriture et oral (IO de 1985, puis de 1996).
Une autre approche de la culture
L’accès de tous les élèves au collège unique a conduit dans un premier temps à une volonté de démocratisation « élitaire » : « le modèle lettré humaniste » était la référence. Trop éloigné de l’univers culturel et linguistique du plus grand nombre, il a engendré l’échec. La nécessité d’un élargissement du champ culturel est vite apparue : la littérature pour la jeunesse, la bande dessinée, les œuvres étrangères, la presse, les genres dits mineurs (policier, anticipation…) ont trouvé droit de cité dans les programmes. Le patrimoine y a retrouvé une nouvelle légitimité : facteur d’intégration dans une histoire, dans des modes de pensée et d’être, il est un des éléments de la construction identitaire des élèves de toute origine.
Une autre approche de la langue
D’abord normative, imposant le « bon usage », puis descriptive, l’étude de la langue a subi de nombreuses fluctuations, accumulant des éléments hétéroclites venus des recherches des diverses écoles linguistiques, introduisant beaucoup de confusions…
La description de la langue en dehors de son fonctionnement en situation a cédé le pas à l’observation raisonnée des écarts et des variations (usages locaux, sociaux, etc.) permettant un travail de formalisation plus riche de sens, et également une relativisation de la notion de « faute ».
Une nouvelle organisation de l’enseignement
– L’étude de la langue s’est progressivement détachée des apprentissages formels (grammaire, orthographe) pour être intégrée dans les pratiques d’écriture, de lecture et d’oral.
– Ce décloisonnement a entraîné l’organisation des apprentissages en séquences permettant d’intégrer les perspectives diverses sur un même objet d’étude.
– La lecture d’œuvres intégrales en nombre suffisant (15 d’abord sur les quatre années de collège, puis 36 préconisées dans les IO de 1996) est privilégiée pour permettre aux élèves de multiplier les « rencontres » avec des auteurs ou de situations de communication diverses entraînant une limitation de la durée d’étude d’une même œuvre.
– L’oral devient objet d’enseignement et d’apprentissage à part entière.
– L’activité des élèves en classe est privilégiée et la parole magistrale minorée.
Et au lycée ?
Cette évolution, inachevée encore, ne s’est pas faite sans incohérences, ni excès, entraînant parfois des résistances.
C’est au lycée qu’elles ont été et sont encore les plus fortes.
À tous les niveaux la polémique fait rage et ne semble pas près de se calmer. La Commission nationale des programmes qui a pensé la philosophie d’ensemble du projet, et le Groupe technique disciplinaire chargé d’en préciser les contenus ont abouti après de difficiles discussions à des compromis qui ont fait perdre de sa cohérence et de sa pertinence à l’ensemble. La crispation est d’autant plus forte que les modalités de passation des épreuves de L’EAF ont tardé à paraître, conséquence sans doute de ces conflits.
Ainsi l’introduction de l’« écriture d’invention », tolérable au collège, a été jugée par certains incompatible avec le sérieux attendu d’un lycéen. Pour la faire accepter il a fallu en préciser le caractère strictement « argumentatif » – au moins pour les épreuves du bac. Nous voyons ainsi se restreindre dangereusement le petit espace de liberté et de créativité accordé.
La dissertation et le commentaire sont maintenus mais les exigences attendues sont moins nettement définies. Chacun y voit matière à discussion…
Quant à l’oral, il laisse perplexe : l’élève aura à commenter un texte étudié dans l’année, mais « à partir d’une question posée par l’examinateur ». Cette façon de conjurer le danger de psittacisme si souvent condamné à propos de l’ancienne « liste » semble peu convaincante. L’entretien « préparé » par une ou deux questions contient aussi en germe la résurrection de la fameuse question d’ensemble qui avait été supprimée pour des raisons similaires.
Si l’on peut comprendre et soutenir la philosophie qui sous-tend les nouveaux programmes, on doit reconnaître la lourdeur de leurs contenus (il a bien fallu donner des gages aux tenants de la vénérable Antiquité comme aux défenseurs de la Modernité) et les demi-mesures qui en découlent. Les didacticiens ont certes fait un travail remarquable : mais en voulant donner à la discipline des fondements plus scientifiques, ils ont fini par oublier la réalité de l’élève, censé « construire » son savoir.
Rien n’est envisagé pour donner le temps nécessaire à une réelle différenciation des apprentissages prenant en compte ne serait-ce que les compétences très disparates de lecture des élèves. Et, en définitive, le professeur ne peut guère éviter d’avoir à imposer la cohérence disciplinaire à l’élève.
Que l’on en tienne pour la modernité ou pour l’antiquité, la question restera toujours de savoir comment l’élève apprend…
Marie-Christine Chycki