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La pirate au bord du bassin

Apprendre à nager est essentiel, un rappel d’actualité en ce début d’été. Mais comment apprivoiser l’eau sans crainte ? Par exemple, en théâtralisant pour captiver les attentions et dédramatiser l’apprentissage de la natation. Mélinda Guery, maitre-nageuse sauveteuse au Pontet, dans le Vaucluse, nous raconte sa méthode, où se mêlent patience et fantaisie.

Elle voulait être comédienne ou artiste-peintre, elle a tenté des études en droit et en histoire et finalement, lors d’un séjour d’un an en Australie, elle s’est familiarisée avec le métier de maitre-nageuse. « C’était fun, car les publics étaient différents avec des objectifs différents. Il y avait des femmes enceintes, des personnes âgées, des personnes en situation de handicap. Cela m’a permis de faire plein de rencontres différentes. » Son père, ancien rugbyman professionnel, était éducateur sportif, elle était donc déjà sensibilisée à ce type de profession.

De retour en France, Mélinda Guery se perfectionne en natation pour passer les brevets nécessaires et prend son premier poste à Carpentras, là où, enfant, elle avait appris à nager. Elle se souvient de la difficulté vécue petite dans cette initiation, de la boule au ventre à l’idée de sauter dans l’eau. Ses parents, à l’écoute, ne l’ont pas obligée à continuer.

« Tout le monde apprend un jour à nager. Toi aussi tu y arriveras, en attendant, joue à la sirène. » Elle fera sien ce conseil de patience formulé par un maitre-nageur. Elle l’a toujours en tête lorsqu’à son tour, il y a quatorze ans, elle se retrouve au bord du bassin en tant qu’éducatrice. Elle se place du côté de l’enfant, de son stress dans cette ambiance chlorée et bruyante de la piscine, de son angoisse possible aussi dans les vestiaires au milieu de ses camarades d’école. Elle échange avec les professeurs des écoles qui se sentent parfois démunis, les rassure, partage et adapte avec eux sa méthode pédagogique.

Une cabane avec un trésor

L’idée est de développer les apprentissages sensoriels, le plaisir de l’eau, plutôt que de se focaliser sur l’objectif de savoir nager au bout de dix séances. Ce chemin détourné emprunte le jeu, la théâtralisation. « Mon envie d’être comédienne a toujours été là, je suis maintenant une actrice au bord du bassin. Je me déguise en pirate. » Avec l’aide de parents, elle a bricolé une cabane avec dedans des trésors, des jeux, une ambiance pour se recentrer, se concentrer sur sa respiration.

Les enfants sont libres d’y aller ou non, comme ils sont libres de décider du moment où ils se sentiront prêts pour apprendre à nager en empruntant le circuit des pirates. À ceux qui ne se lancent pas de suite, elle confie des tâches, les garde près d’elle pour qu’ils l’aident à tenir la perche, par exemple. « Pendant ce temps-là, ils observent leurs camarades dans l’eau, c’est aussi une manière d’apprendre. Ils sentent que je leur fais confiance. Cela me permet de comprendre pourquoi ils ne veulent pas aller dans l’eau. Des enfants m’ont dit “ma tante s’est noyée”, ou encore “on m’a jeté dans l’eau ”. »

Pour apprivoiser l’eau, elle propose des jeux, des défis qu’elle lance dans son personnage de pirate en racontant des histoires de trésors protégés par des animaux marins. Pour réussir, les enfants doivent s’entraider, se guider en faisant des signes de la main pour ne pas faire de bruit. « J’ai commencé ce jeu avec un groupe dans lequel il y avait un enfant sourd, pour qu’il puisse participer. Cela fonctionne bien aussi avec des enfants autistes que le bruit effraie. »

Des poubelles dans l’eau

Pendant la semaine de sensibilisation à l’environnement, elle accueille les groupes au bord d’une piscine jonchée de déchets en plastique. La séance est conçue avec la complicité des enseignants qui ont auparavant travaillé avec leur classe sur le thème de la biodiversité et de l’environnement. « Je joue la comédie en demandant qui a jeté les poubelles dans l’eau et où vont aller les déchets pour que les enfants m’expliquent. » Les élèves parlent du « septième continent de plastique », du tri sélectif, de tout ce qu’ils ont appris en classe et passent à l’action en trouvant des solutions pour repêcher les plastiques.

Elle se dit inspirée par l’éducation positive qu’elle a découverte lorsqu’elle est devenue maman. Elle est allée puiser du côté de Maria Montessori, s’est demandée comment elle pouvait appliquer ce type de méthode dans son métier. Elle s’est formée pour devenir éducatrice Montessori. Elle s’est intéressée aussi au fonctionnement du cerveau, aux façons d’apprendre. « Je m’occupe d’enfants en pleine construction sans avoir le mode d’emploi. Comment laisser une trace positive des apprentissages du milieu dans lequel je les ai accompagnés ? ».

Elle dialogue beaucoup, rassure, échange sur ce que chacun sait faire, prône la patience face à la difficulté. Elle a supprimé les évaluations individuelles pour alléger le stress. Elle mise sur le groupe, sur le fait que chaque enfant trouve sa place. Elle travaille elle-même en collectif, avec une méthode qu’elle a discutée avec les autres maitres-nageurs de la piscine du Pontet et qu’ils utilisent aussi. Le lien se tisse avant le début des séances.

Les enseignants sont également sensibilisés à l’approche qui peut leur sembler décalée. « Ils craignent que les enfants ne profitent pas du nombre limité de séances pour apprendre à nager. Je leur demande en plaisantant s’ils se sentiraient à l’aise d’arriver au boulot, de se mettre nus devant les autres pour aller en réunion puis de passer un par un pour être évalués. »

Accident de baignade

Son souci de partage est monté d’un cran lorsque son fils encore petit a eu un accident de baignade. Passé l’effroi, elle se préoccupe de le réconcilier avec l’eau. « Chaque fois que je lui demandais de retourner dans l’eau pour apprendre à nager, il me disait qu’il n’était pas prêt. » Sa fille plus jeune et plus téméraire apprend rapidement. Le garçon l’observe sans parvenir à s’y mettre.

« Un jour, il me demande que je lui raconte, avant de s’endormir, une histoire pour ne plus avoir peur dans l’eau ». Au fil des soirs, un conte se construit, celui d’une ancienne pirate, de sa fille qui rêve d’être une sirène pour parler aux poissons et de son garçon magicien qui a peur de l’eau. « Ils partent à la découverte de l’esprit de l’eau, que l’on ressent mais que l’on ne voit pas, qui ne comprend pas le langage parlé mais comprend celui du corps. »

Le conte prend la forme d’une bande dessinée. Les enfants choisissent le titre : La Magie de l’eau. Mélinda Guery dessine les illustrations à l’aquarelle. Le conte est un prétexte pour partager des outils pédagogiques sous forme ludique. Par exemple, « petit à petit on voit qu’on peut mettre la tête sous l’eau, soit en soufflant, soit en apnée, en expliquant comment font les animaux marins ». Trois tomes sont prévus, chacun sur un thème différent (la respiration, l’équilibre dorsal et ventral et le déplacement) et dans un décor différent permettant d’évoquer la biodiversité.

Aider à éviter la noyade

« La noyade est la première cause de mortalité infantile par accident de la vie courante en France. L’accident de mon fils a été une prise de conscience. Je me suis demandé ce que je pouvais faire pour aider les parents. » Elle propose cette aide avec La Magie de l’eau dont le premier tome a été imprimé grâce à une cagnotte participative. Elle s’est entourée d’une pédiatre et d’une doctorante en lettres pour une relecture critique. Elle a reçu le soutien d’Alain Bernard, champion olympique de natation. Le livre est traduit en anglais, et le sera prochainement en russe et en italien. La presse locale et France Bleu relaient l’initiative.

Mélinda Guery défend son projet avec l’énergie d’une optimiste. Elle a décroché l’appui de la Fondation Princesse Charlène de Monaco, qui promeut l’apprentissage de la natation dans le monde. Le livre sera distribué aux élèves de grande section monégasques. Il a déjà été distribué pour Noël auprès des enfants d’Entraigues-sur-la-Sorgue à l’initiative de la mairie.

Des partenariats se dessinent dans le cadre des « Terres de Jeux 2024 » à Avignon. Un contact a même été pris avec une metteuse en scène pour créer un spectacle. Revêtira-t-elle sur scène, son habit de pirate ? Ce serait une belle alliance entre son souci d’aider à prévenir les noyades et son rêve d’adolescente de devenir actrice.

Monique Royer
Le site de Mélinda Guery : https://lamagiedeleau.com/