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La note de vie scolaire : règne de l’arbitraire ?

On voit mal comment le dispositif de la note de vie scolaire n’ouvrirait pas le règne de l’arbitraire. On sait combien la notation chiffrée est un instrument d’évaluation très imparfait, y compris lorsqu’elle doit mesurer des résultats apparemment objectifs, comme en mathématiques par exemple. La note est relative : inconsciemment, quelle que soit sa discipline, un enseignant ne note pas de la même façon un élève considéré « bon » ou un « mauvais », une fille ou un garçon, voire une copie située en haut ou à la fin du paquet… On imagine donc sans peine les difficultés déjà prévisibles qui apparaîtront lorsqu’il s’agira de noter la « vie scolaire » de l’élève. La subjectivité liée à toute notation est particulièrement nocive lorsqu’elle s’applique au comportement des élèves : on dérive aisément vers la normalisation, voire le contrôle social…

Cette disposition, dont parents et élèves pressentent les difficultés de mise en oeuvre, ne sera-t-elle pas qu’une éphémère solution de facilité, sous la discutable forme de la menace (« Si tu ne tiens pas tranquille, je te baisserai ta note de vie scolaire ») ? Elle pourrait bien alors déraper en situations de marchandage et de négociation malsaines, où il s’agira pour l’élève de faire des promesses de bonne tenue… pour rattraper des points ! Elle pourrait aussi provoquer une succession de contestations et de conflits entre élèves, professeurs et parents, dans la perspective du brevet.
A l’inverse, la menace sera-t-elle efficace à l’encontre d’élèves déjà très en difficulté pour qui ce diplôme ne représente pas grand-chose, pour ne pas dire rien ?
D’autant qu’il n’a par ailleurs aucune conséquence sur la poursuite des études : on peut obtenir le diplôme et ne pas être autorisé à passer dans la classe supérieure, on peut aussi passer dans la classe supérieure sans posséder le diplôme !

Des barêmes disparates, des calculs fantaisistes

L’arbitraire s’étale déjà à mesure que sont connues les modalités de calcul de cette note dans les établissements. Ici l’élève se voit attribuer un capital de 20 points qui est amputé plus ou moins lourdement pour toute omission, retard, absence ou manquement ; là il se voit attribuer 10 points qui pourront faire l’objet de bonifications et de minorations.
Les barèmes peuvent être d’une précision scientifique redoutable : 1 point en moins au 1er retard, 2 au 2ème, 3 pour le 3ème et les suivants et donc 9 points retirés pour 4 retards ; en revanche, le tarif est unique pour l’absence avec un retrait d’1 point. Mieux vaut donc sécher plusieurs demi-journées que d’être plusieurs fois en retard de 5 minutes…
Outre que l’établissement d’un barème automatique viole le principe de l’individualisation des sanctions, on ne peut qu’être perplexe devant l’échelle proposée. Quant au jeu des majorations et minorations, il faudra un petit Nicolas pour nous dire comment il s’est retrouvé avec une note inférieure à zéro tandis qu’Aignan a obtenu 35/20 !

Plus grave, la note de vie scolaire instaure une double peine, puisque les comportements des élèves seront susceptibles de faire l’objet d’une sanction de la part du principal ou du conseil de discipline et aussi d’une note défavorable pour l’obtention du diplôme national du brevet. Elle porte également en germe une aggravation des inégalités : les élèves les plus en difficulté sont précisément ceux qui sont le plus tentés par l’absentéisme et les plus éloignés des « codes » en vigueur à l’Ecole.

Questions des parents

La litanie des questions que se posent les parents est bien le signe qu’ils perçoivent parfaitement le danger de dévoiement que présente cette note.
Comment arrivera-t-on à apprécier par une seule note des domaines aussi divers que l’assiduité, le respect des personnes, du matériel, l’engagement au sein et en dehors de l’établissement, voire, comme c’est envisagé, l’obtention de l’attestation de sécurité routière ? Et pourquoi pas les cours de secourisme et le coup de main donné pour essuyer le tableau ?
Selon quels critères objectifs et transparents sera établie la grille de notation, pour justifier une augmentation ou une baisse de cette note ? Y aura-t-il même une grille de notation qui préserverait de l’arbitraire et garantirait l’égalité entre les élèves de différents établissements ?
Quelle légitimité et quelle compétence auront enseignants, conseillers principaux d’éducation, chef d’établissement pour évaluer et intégrer dans cette note les éléments relatifs à l’engagement de l’élève hors de l’établissement scolaire ?
Sauront-ils à eux tous recomposer une vision globale de chaque élève pour évaluer son comportement sans partialité ?
Comment résoudre sur ce point l’inégalité entre les élèves qui auront le temps, ou les moyens, ou les capacités de s’engager, et les autres ?
Comment sera évalué l’engagement d’un élève qui serait amené à signaler un dysfonctionnement ou un défaut d’entretien, à contester une décision ou à s’opposer à l’administration ?
Comment distinguera-t-on un élève insolent d’un élève utilisant des termes dont il n’a pas conscience qu’ils peuvent blesser (l’inverse, de professeur à élève, pouvant aussi exister) ?
Comment éliminer la marge de subjectivité qui existe dans la façon dont chacun reçoit les paroles, les mimiques ou les gestes de l’autre ?
Comment, enfin, faire en sorte qu’un élève ayant connu des difficultés de comportement au cours de l’année de troisième mais qui les aura surmontées en fin d’année ne soit pas pénalisé par les notes des premiers trimestres qui ne refléteront plus son attitude de la fin d’année ? A contrario, comment convaincre cet élève que les jeux ne sont pas faits et qu’il peut encore valoir la peine de changer d’attitude si l’unique enjeu est celui de la note et du diplôme et non une visée éducative ?

Peut-on vraiment évaluer un comportement ?

Au-delà des effets de la partialité, qui inquiètent parents et élèves, la note de vie scolaire est problématique car elle représente une confusion des genres dangereuse entre l’évaluation du comportement et celle des progrès scolaires. Et cela, en contradiction avec les textes existants, et notamment la circulaire du 11 juillet 2000 qui stipule qu’«… il convient de distinguer soigneusement les punitions relatives au comportement des élèves de leur travail personnel… », tandis que la fiche d’accompagnement pédagogique précise qu’«…un comportement en classe, inadapté perturbateur, ne peut être sanctionné par une baisse de note ou par un zéro entrant dans la moyenne de l’élève… ». Ce sera bien ici le cas, puisque la note de vie scolaire entrera dans le calcul de la moyenne pour la délivrance du diplôme national du brevet. La France sera donc le seul pays où l’on délivrera un diplôme non pas sur les seules compétences du candidat mais aussi sur la vision qu’aura l’institution scolaire de son attitude.

Véritable régression pédagogique, faute d’une réelle réflexion sur l’éducation à la citoyenneté, ce palliatif pourrait alors produire l’effet inverse de celui recherché et donner aux collégiens l’image d’une société où rien n’est gratuit et où toute valeur est relative.
Quelle drôle de leçon pour de futurs citoyens !

Cette conception utilitariste, infantilisante et méprisante de la mission éducative de l’Ecole est aux antipodes de celle que défend la FCPE.

Nous ne sommes pas opposés à ce que l’engagement des élèves en faveur de leurs pairs au sein de l’établissement soit reconnu : par exemple en accordant des facilités aux élèves élus pour remplir leur mandat sans que leur travail personnel en pâtisse. Et même, éventuellement, par une évaluation positive de cet engagement, selon des critères préalablement définis.
Mais ils ne s’engagent pas pour obtenir « une bonne note », mais parce qu’ils estiment nécessaire de prendre toute leur place dans le fonctionnement de l’établissement, qui est aussi le leur. Et ce moteur-là est tellement préférable ! Quelle valeur aurait d’ailleurs un engagement qui ne serait motivé que par la perspective d’en retirer un « bon point » ?
D’autres, s’engageant ailleurs et autrement, n’ont nullement envie d’en faire état.
Beaucoup, qui voudraient le faire, ne le peuvent pas, trop absorbés qu’ils sont par la somme de travail ou les difficultés scolaires qu’ils rencontrent.

La mission de l’Ecole

Le collège devrait être un lieu qui facilite l’engagement des élèves, grâce à un projet d’établissement qui rende possible l’apprentissage de la vie citoyenne et de la démocratie.

La mission de l’Ecole, ce n’est pas de noter le degré de civilité de tel ou tel élève, c’est de susciter chez chacun l’envie de s’engager et d’avoir pour tous la même ambition d’accès à l’état de citoyen responsable et agissant. Cette mission doit s’accomplir dans la durée, et au travers de toutes les activités de l’établissement. Or, des dispositions existent et sont peu pratiquées : l’heure de vie de classe, l’éducation civique, juridique et sociale. Des activités impliquant des méthodes de travail qui permettaient l’exercice effectif de l’entraide, de la coopération, du dialogue structuré et réfléchi, ont été supprimées ou largement négligées : les TPE en classe terminale ou les IDD au collège.

Lorsque l’élève commet une faute ou une infraction au règlement de l’établissement, il doit être justement sanctionné : la sanction doit être proportionnelle à la faute commise, elle doit être justifiée, acceptée, et réparatrice. Dans ce cas, les parents ne contestent pas les punitions et les sanctions et les considèrent au contraire comme des mesures éducatives. Et, bien entendu, le règlement intérieur doit être respecté par tous, adultes y compris : l’équipe pédagogique, qui prétend promouvoir et faire respecter un comportement civique, doit être irréprochable en la matière.

Au-delà de la question particulière de la note de vie scolaire, les parents d’élèves sont inquiets devant une forme de déshumanisation de l’Ecole. La communauté éducative a trop souvent tendance à convoquer un conseil de discipline de manière émotionnelle et de sanctionner également sous le coup de l’émotion, alors qu’avec un peu plus de recul, on pourrait adopter d’autres mesures que disciplinaires. Il existe des alternatives : les travaux intérêt général, bien sûr, mais aussi la désignation d’un tuteur pour « canaliser » l’élève, l’établissement d’une feuille de route reprenant les principaux problèmes et imposant de faire le point régulièrement avec l’adulte référent ou une commission de suivi.

Il n’est pas rare que le manque de dialogue et de prise en compte de la situation de l’enfant rende la sanction inefficace parce qu’incomprise — pour l’élève comme pour sa famille. Notamment au collège, en 4ème et 3ème, ou en seconde de lycée professionnel, on ne prend pas toujours en considération le fait que l’élève se sent en échec scolaire parce qu’il n’a pas eu une orientation valorisante. L’orientation par défaut associée à la problématique de l’adolescence est souvent cause de la révolte contre l’institution. Bien souvent, dans ces cas, une sanction plus progressive et éducative se révèlerait autrement plus efficace.

En outre, ce qui — encore une fois, sous le coup de l’émotion — est retenu par l’établissement comme une faute ne l’est peut-être pas réellement. Ainsi, si les familles qui font appel d’une décision de conseil de discipline sont très peu nombreuses, à plus de 70 %, dans certaines académies, la décision est réformée sur la forme ou sur le fond, ce qui démontre la fragilité de l’objectivité du conseil de discipline et la relativité de la faute sanctionnée.

Farid Hamana, Président de la FCPE.