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La mode passe, la nécessité reste

Un Cahier sur les Z.E.P, alors que le problème ne semble plus au centre des débats dans l’Education Nationale, quand c’est l’heure en principe de la rénovation des collèges, et aussi – hélas – de l’austérité et des suppressions de postes… ? Dans ces conditions, parler de moyens supplémentaires pour les plus défavorisés, de lutte conjointe contre les inégalités !…. vous n’y êtes plus.
Pourtant, les Z.E.P. doivent rester un objectif décisif. Un de ceux pour lesquels la Gauche doit se battre, a pour mission d’agir. La Gauche n’étant pas seulement « ceux qui sont au pouvoir », mais tous ceux qui s’en réclament.
Aux Cahiers, au C.R.A.P., on a soutenu l’idée de Z.E.P. parce qu’elle représentait à elle seule beaucoup de nos aspirations :
– une Ecole ouverte sur l’extérieur, s’ouvrant à l’extérieur, s’intégrant à son milieu tout en donnant des outils pour le transformer ;
– un combat acharné contre l’échec, en revalorisant les dévalorisés, en favorisant les défavorisés, non pas en termes de « combler les handicaps socio-culturels », mais en remettant en cause tes hiérarchies existantes, en redonnant un statut différent à des pratiques sociales et culturelles si souvent méprisées ;
– un lien étroit entre demande sociale, besoins objectifs réels et projet, démarche collective, mise en œuvre de solutions positives, qui soient autre chose que la simple revendication de moyens supplémentaires.
Pourtant, cette idée a été souvent mal comprise. Pour les uns, gadget qui fait oublier qu’il n’y a pas de solution pédagogique à l’échec scolaire (ce discours terrorisociologisant qui intimide et paralyse).
Pour d’autres, sceau d’infamie qui va enfermer certains établissements dans un ghetto.
Pour d’autres encore, supercherie qui vise à masquer la pénurie, quand « tout est prioritaire », incitation à faire du bricolage et du bénévolat quand il faudrait du « toujours plus »… Aussi a-t-on vu des projets-mascarades pour avoir quelques miettes supplémentaires (Z.E.P. comme étiquette pour être parmi les heureux élus d’un saupoudrage parcimonieux), beaucoup d’incapacité à dépasser le stade du quantitatif, de l’accumulation des demandes, à faire preuve d’imagination, à inventer des solutions neuves pas uniquement scolaires…
Des moyens, oui, mais pas forcément des postes d’enseignants. Parfois demander un deuxième conseiller d’éducation, un documentaliste est plus important que de sacrifier à la religion de la « baisse d’effectifs » (par l’augmentation du nombre de profs). Parfois, la priorité c’est la concertation avec des personnes extérieures, ou sur les franges de l’Ecole (assistante sociale, pédiatres, éducateurs). Là, c’est la formation continue des enseignants, et en particulier la connaissance du milieu – avec l’aide d’organismes et de chercheurs, qui peut être le facteur d’avancée dans le projet.
Chercher aussi ces moyens en dehors de l’Education Nationale. Citons les départements des autres ministères (cela peut aller de la Culture à – pourquoi pas ? – la Défense Nationale – cas dans une Z.EP. de recours à des appelés pour seconder les enseignants, qui scandalise les uns, intéresse les autres). Et puis, les associations, les clubs de prévention, mais aussi du troisième âge. Les parents, qui proposent parfois leurs services de façon bénévole, et qu’on éloigne trop souvent par dogmatisme, corporatisme ou peur du regard extérieur. En somme briser les logiques bureaucratiques. Les Z.E.P. s’opposent à certaines idées chères à notre grande machine qu’est l’Education Nationale : « tous ensemble et en même temps », « tout est important », « oui à l’égalité des chances, tous doivent avoir les mêmes moyens ». La discrimination positive, l’inégalité à l’envers, cela ne pouvait que choquer certains.
Alors, des circulaires audacieuses, mais qui ont eu du mal à se traduire dans les faits pour de multiples raisons :
– absence de circulation de l’information ;
– lacunes dans la concertation, d’où le caractère parachuté de l’idée de Z.E.P. dans certaines académies ;
– blocages, voire sabotages d’administrations de fait hostiles dans de nombreux cas ;
– manque de fermeté pour affronter l’inertie corporatiste, dont certains syndicats se sont – hélas – fait les porteurs ;
– manie du faux consensus, de l’unanimisme de façade, qui interdit de saisir les vrais enjeux.
Ce Cahier se veut non pas constat amer, bilan désabusé (les Z.E.P. sont restées souvent sur le papier, on n’en parle plus beaucoup, une déception de plus…), mais au contraire outil dynamisant, instrument pour avancer.
Les idées neuves ou toujours neuves malgré leur ancienneté. Les propositions d’actions, à partir de ce qui a, quand même, marché. Là où il y avait projet initial, ébauche d’équipe, embryon d’ouverture sur le milieu. Là où on a su faire preuve d’originalité. Là où on a conçu que les Z.E.P. n’étaient qu’un élément d’un dispositif global, d’une part de réduction des inégalités (pas de lutte contre l’échec en lecture, sans prise en charge globale par la société de ce problème dramatique par exemple), d’autre part de rénovation de l’Ecole (ce n’est pas un hasard si le dossier Z.E.P. se situe entre le Cahier sur un meilleur lien Ecole /Collège et un autre sur la nécessité de travailler en commun pour mieux faire maîtriser la langue par les élèves…). Les Z.E.P. sont ce maillon, ou du moins devraient l’être. Plus que jamais, relier l’Ecole à son milieu (« zone »), ne pas couper enseignement et socialisation (« d’éducation »), établir une hiérarchie dans les urgences (« prioritaires »). Plus que jamais les Z.EP. doivent continuer et prendre consistance.

La rédaction des Cahiers, 1984