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La même rage de faire réussir les enfants

Neuf ans après Sur le chemin de l’école, de Pascal Plisson, qui racontait les périples quotidiens de quatre enfants, dans diverses contrées du monde, pour atteindre leur école, le film Être prof nous montre l’autre côté, celui des enseignants. Ce n’est pas un hasard s’il est sorti le 5 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale des enseignants, organisée par l’Unesco. Nous avons interrogé Émilie Thérond, réalisatrice de ce documentaire stimulant et émouvant.
Comment avez-vous choisi et pris contact avec ces enseignantes, travaillant dans des situations très loin de notre quotidien scolaire ?

J’ai voulu choisir des situations très distinctes, celles de professeurs qui luttent contre des freins très différents, pour me retrouver devant un échantillon des problèmes rencontrés par des professeurs dans le monde. J’ai cherché à filmer des professeurs ordinaires, des professeurs qui font simplement leur travail et dont je vais chercher à comprendre et à montrer les méthodes. Des personnes auxquelles on donne rarement la parole. Je souhaitais aussi que ce soit un voyage dans plusieurs continents et environnements. Forts de ces critères, on a cherché des situations qui ont chacune leur spécificité : le Bangladesh face au réchauffement climatique et aux inondations avec ses « bateaux-écoles », le Burkina Faso et ses difficultés à recruter des profs pour répondre à la démographie galopante, avec des enseignants envoyés loin de chez eux…

Et pourquoi le choix exclusif de femmes ?

Ce n’était pas un choix délibéré. J’avais d’ailleurs, au départ, choisi un enseignant au Liban dans un camp de réfugiés syriens, mais hélas le programme n’a pas été reconduit, il a donc fallu que j’abandonne cette idée. Mais si l’on se place à l’échelle mondiale, on constate que l’enseignement est assuré à 75 % par des femmes, pour lesquelles c’est souvent beaucoup plus compliqué, à l’image de Sandrine envoyée dans un village en pleine brousse africaine. L’éducation est vraiment, dans le monde, un combat que portent les femmes pour se libérer, comme en Iran ou en Afghanistan. J’ai trouvé ça fort de montrer que ces femmes pouvaient être inspirantes pour les jeunes filles. Et j’avais consacré un précédent film à un homme : mon ancien maitre d’école1 !

La plupart du temps, on oublie qu’il y a une caméra et que quelqu’un est en train de filmer. Comment y parvenez-vous ?

Cela fait partie des fondamentaux du métier de documentariste : savoir se fondre dans l’environnement. Personne n’oublie la caméra, mais celle-ci fait partie du décor. C’est important de se faire accepter et que les personnes comprennent pourquoi on est là, qu’elles me fassent confiance. C’est pour cette raison que je passe du temps à expliquer ce que je filme et le sens que ça a pour moi.

Ce qui frappe aussi, notamment dans la situation au Burkina Faso, c’est la capacité de l’enseignante à faire une sorte d’accompagnement personnalisé avec autant d’élèves. Est-ce que ça vous a aussi frappée ?

Même si elle a cinquante enfants en face d’elle, le défi auquel doit faire face Sandrine est au fond similaire au nôtre : comment prendre en compte les situations personnelles souvent très différentes de ces élèves ? Elle arrive à personnaliser pour certains, même si, bien sûr, il y a aussi des décrochages, des échecs. Ce qu’elle fait avec Yves, dans le film, elle s’efforce de le faire pour un maximum d’élèves. Quand un professeur donne un peu plus que ce qui est prescrit, il peut faire des miracles et déclencher la confiance en soi, la motivation. C’est valable dans n’importe quelle situation dans le monde.

En voyant la scène où Taslima va chez la mère de son élève pour la convaincre de lui faire poursuivre ses études au lieu de la marier précocement, j’ai pensé à ces maitres d’école de la IIIe République qui faisaient une démarche analogue auprès de familles de milieux populaires…

Taslima est respectée dans son village. Des enseignantes comme elle ont dans leur pays un certain prestige. Taslima connait bien la mère de Yasmine. Cette dernière a d’ailleurs bien compris qu’on ne cherchait pas à l’accabler parce qu’elle résistait au projet de sa fille, mais qu’on tentait aussi de comprendre ses raisons : continuer les traditions, se résigner, faire face aux problèmes de cout des études, qui constituent un frein à l’éducation.

Dans la séquence avec Svetlana, on ne peut pas ne pas penser à l’actualité. Quel a été votre rapport avec les autorités russes, voient-elles d’un bon œil cette lutte pour la préservation d’une identité culturelle « non russe », en l’occurrence celle des Evenks ?

La situation en 2019 n’était pas celle d’aujourd’hui. Une universitaire formidable, Alexandra Lavrillier, nous a mis en contact avec ce peuple nomade qui a un lien très fort avec la nature et qui ne compte que 40 000 personnes, dont la moitié en Russie. Alexandra a fait le lien avec Svetlana. Nous n’avons pas eu de problème avec les autorités, qui, localement, ne sont nullement hostiles à la préservation de leur culture et se sont ouvertes peu à peu. Aujourd’hui, ce type d’enseignement est officiel, et le gouvernement paie l’enseignante pour donner des cours itinérants aux jeunes Evenks.

Dans une des séquences, on voit des élèves avouant n’avoir pas appris leur poème et rechignant à le faire. Au fond, le film est totalement exotique, mais on retrouve des situations bien connues chez nous. Il y a une universalité de l’acte d’enseigner, finalement…

Oui, tout à fait, c’est aussi cela que j’ai voulu mettre en avant. J’ai été heureuse quand les professeurs qui ont vu le film en France ont retrouvé des situations qu’ils vivent souvent. Les enfants aussi se projettent dans ceux qu’on suit dans le film.

Justement, quelle diffusion est prévue pour que le film soit vu, notamment par des enseignants ?

Pour les professeurs qui veulent voir le film – qui mérite d’être vu au cinéma pour la beauté des paysages notamment, même s’il aura une autre vie plus tard en vidéo à la demande ou sur France Télévisions –, il ne faut surtout pas hésiter à contacter Gebeka, le distributeur du film. Il suffit d’aller sur leur site2 pour organiser une séance avec une salle proche de leur école, collège ou lycée. Il existe aussi plusieurs documents réalisés spécialement pour les enseignants : dossier et kit pédagogiques ou encore une fiche débat qui peut servir d’appui pour engager les discussions avec les élèves autour du documentaire3.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

Sandrine avec une de ses élèves. © Winds-Emilie Therond
Avec Svetlana en Sibérie orientale. © Winds-Michel Adamik
Le bateau-école de Taslima. © Winds-Emilie Therond

 

Notes
  1. Mon maitre d’école, 2015. Voir la bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=1Q5nalyIKYM&ab_channel=DigitalCin%C3%A9.
  2. https://www.gebekafilms.com/
  3. À retrouver ici : https://www.gebekafilms.com/fiches-films/etre-prof/.