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La diversité ne suffit pas

Travailler en équipe interculturelle, ça s’apprend : il faut un accompagnement pour que les représentations liées à l’histoire de chacun et les difficultés de fonctionnement soient mises à plat et dépassées. Pour cela, les formateurs aussi, et pas seulement les formés, croisent leurs savoirs et compétences.

Ingénieure pédagogique pour un diplôme d’agronomie orienté vers les Pays du Sud, j’ai choisi cet emploi en partie parce qu’il promettait d’observer et de contribuer à un mélange de cultures, source de rencontres d’horizons pour enrichir les apprentissages. Dans les chiffres, l’interculturalité est réelle.

Chaque année, en option agroalimentaire, entre 40 et 70 % des étudiants viennent de l’étranger, en majorité d’Afrique de l’Ouest et du Nord, mais aussi d’Amérique latine et d’Asie du Sud-Est. Côté français, les parcours sont divers, issus de classes préparatoires, de BTS et d’IUT. Ce mélange des cultures est considéré comme attractif et mis en avant. Le cursus est rythmé par des travaux de groupe, des projets collectifs permettant à priori de mettre en pratique la mutualisation de savoirs nourris de diversités.

Créativité et tensions

Mais suffit-il de mettre côte à côte dans un amphi ou même en travaux dirigés des personnes de cultures différentes pour favoriser l’interculturalité, gérer les tensions liées à l’incompréhension du fonctionnement des uns et des autres lorsqu’il s’agit de travailler en groupe ?

En dernière année du cursus, les étudiants en agroalimentaire conçoivent un produit innovant de A à Z en veillant à la faisabilité technique et économique du projet. Les matières premières sont tropicales et le marché visé est celui des Pays du Sud. Le projet est mené en équipe de quatre à cinq tout au long d’un semestre. Peu de contraintes sont imposées pour la constitution des groupes, l’important est d’avoir l’envie de développer une idée commune. La créativité et la qualité du résultat sont quasiment toujours au rendez-vous.

Toutefois, des tensions au sein d’équipes ont été mentionnées par les enseignants lors de réunions pédagogiques. Avec deux collègues, nous avons saisi la balle au bond pour investir la dimension interculturelle et proposer un dispositif d’accompagnement. Nous avons nous-mêmes formé une équipe en apportant nos cultures différentes. Adeline Ceccarelli, ingénieure formatrice en agroalimentaire, est la cheville ouvrière des projets de création de nouveaux produits et participe à des projets internationaux. Laurent Tézenas du Montcel, coordonnateur de l’unité d’enseignement développement professionnel, a eu auparavant un parcours empreint d’interculturalité, en particulier en Afrique. J’apporte de mon côté un gout prononcé pour la pédagogie, ainsi qu’une expérience de gestion d’équipes et de travail en réseau.

Dire les incompréhensions

Notre diversité s’imposait comme une force. Nous avons cependant veillé à conjuguer nos possibles apports, à définir ensemble les attendus et les limites, pour composer un réel collectif. Car, nous l’observons aussi dans le fonctionnement des équipes d’étudiants, les sympathies mutuelles ne suffisent pas à faire un groupe, aussi homogène d’apparence soit-il. Des différences d’approche ou de perception entre les étudiants sont susceptibles de gripper les décisions et les actions faute d’être exprimées, comprises et intégrées. Il peut être également difficile de dire les incompréhensions liées aux altérités, de peur de blesser, de paraitre étroit d’esprit voire intolérant.

Notre dispositif d’accompagnement à la dynamique de groupe vise à faciliter le fonctionnement des équipes en s’appuyant sur des outils favorisant une prise de recul, le dialogue et une prise de conscience des apprentissages collectifs et individuels liés au travail en équipe. Nous l’avons construit en nous inspirant d’initiatives existantes au sein de notre école et ailleurs, et en ajoutant des fruits tirés de nos propres expériences. Nous l’avons amélioré en nous basant sur les retours des étudiants, de l’équipe pédagogique et de nos propres observations. Nous tâtonnons encore.

Au cours du semestre, nous proposons quatre séances de travaux dirigés positionnées aux moments forts de la création du nouveau produit, au démarrage puis lorsque des livrables doivent être rendus. Pour les réaliser, nous choisissons un cadre et des modalités d’animation favorisant la convivialité.

La première séance est consacrée à la construction du groupe. Chaque étudiant complète une grille d’autoévaluation avec trois grands items : communiquer, coopérer, contribuer à la gestion d’un projet. Cela permet à chacun de réfléchir sur ses points forts et ses capacités à améliorer, sur ce qu’il peut apporter d’emblée au collectif. Ces capacités sont reportées sur une carte individuelle agrémentée d’une anecdote personnelle et mentionnant les tâches et activités où l’étudiant se sent peu à l’aise. Les cartes sont échangées au sein de l’équipe, qui conçoit ensuite une carte collective illustrée d’une devise et synthétisant les points forts et les points de vigilance.

Charte de fonctionnement

La deuxième séance a pour thème « travailler en équipe ». Dans un premier temps, Laurent Tézenas du Montcel rappelle les modalités essentielles pour gérer le collectif, mettre en pratique l’intelligence collective et prendre des décisions. Certes, ces notions ont été vues les années précédentes, mais des étudiants arrivent en cours de cursus avec d’autres références, d’autres acquis et une autre culture. Afin de susciter questions et réactions, Adeline Ceccarelli et moi puisons des illustrations dans nos expériences, de gestion de projet de recherche et développement pour l’une, d’accompagnement au changement pour l’autre.

Nous demandons ensuite à chaque groupe d’élaborer sa charte de fonctionnement avec quatre items qui nous semblent clé : les rôles et responsabilités de chaque membre du groupe, la communication au sein de l’équipe et avec les interlocuteurs externes, les modes de décision, la gestion du temps et de ses échéances. Les décisions prises sont reportées dans une grille d’évaluation qui sera utilisée à chaque moment clé du projet.

Lors de la troisième séance, ils questionnent l’efficacité des mesures de la charte, en quoi elles répondent aux difficultés rencontrées, en complétant à nouveau la grille. Nous rencontrons chaque équipe pour faire le point et, si besoin, trouver des solutions ensemble. Une mise en commun est réalisée en fin de séance pour mutualiser les constats et les mesures envisagées.

La dernière séance permet de réfléchir sur les capacités acquises, de les projeter dans un contexte professionnel juste avant le départ en stage.

Tout au long du projet, nous proposons également un appui en cas de besoin. La gestion du temps, l’accomplissement des tâches attribuées et la prise de décision sont les principaux écueils constatés. Ils ont tous les trois un rapport direct avec la culture, la perception de ce qui est attendu, de ce qui est nécessaire, selon son parcours, son origine culturelle. Être en retard est-ce si important, si le retard est dû à un service rendu à un ami à la dernière minute ? Comment argumenter lors d’une prise de décision, sans heurter la conviction des autres ? Est-ce qu’on doit échanger sur un document à rendre jusqu’à la dernière minute pour être tous d’accord ?

Les groupes peuvent faire appel à nous lorsqu’ils rencontrent une difficulté de fonctionnement. Nous proposons alors un temps d’échange où, dans un premier temps, chaque étudiant s’exprime sur la difficulté. Nous recherchons ensuite des solutions, en nous référant à la charte du groupe et en apportant des éléments de méthodes.

Je, Tu, Nous

Bien souvent, le problème est lié à une décision de fonctionnement approximative, rédigée dans l’enthousiasme du début de projet et qui se révèle insuffisamment cadrante pour la suite, faute de l’expression claire de ce que chacun attend de l’autre, de ce qui lui semble intolérable ou au contraire facilitant.

Les espaces de dialogue et de réflexion offerts par le dispositif d’accompagnement favorisent la prise de recul, la prévention des acrimonies individuelles en comprenant les différences, en les investissant plus fortement pour consolider le collectif. En commençant par le « qui je suis » et le qui « tu es », le « qui sommes-nous » est plus aisément définissable, intégrant les altérités pour mieux apprendre ensemble et construire collectivement un projet au long cours.

Notre initiative s’inscrit dans un cadre plus large de réflexion, celui de l’approche par compétences, en relation avec une compétence particulière pour nos futurs ingénieurs : « animer des collectifs interprofessionnels et interculturels ». Organisée pour une spécialisation et uniquement en dernière année de cursus, elle est amenée à s’étendre pour que l’interculturalité ne se cantonne pas à l’évidence et soit facilitée par une construction progressive des apprentissages.

Monique Royer
Ingénieure pédagogique dans l’enseignement agricole.

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