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La chasse au français en Suisse allemande
En raison de sa neutralité affichée, on prenait la Suisse pour un pays pacifique. Mais voilà qu’elle vient de relancer la polémique sur l’apprentissage des langues nationales à l’école primaire. Traditionnellement, en Suisse allemande on apprend le français et en Suisse romande (ou francophone), l’allemand dès l’âge de 8 ans. Pourtant, déjà en 2004, il a été décidé d’enseigner à l’école primaire deux langues en plus de la langue première : le français et l’anglais pour les germanophones, l’allemand et l’anglais pour les francophones à partir de, respectivement, 8 et 10 ans donc. Cette décision équilibrée concerne plus de 90 % de la population.
Mais l’habituel consensus suisse a été mis à mal par deux cantons germanophones qui ont décidé de supprimer l’enseignement du français à l’école primaire et de ne garder que l’anglais. Donc, plus qu’une seule langue étrangère enseignée. Le Conseil fédéral, convaincu que l’apprentissage d’une deuxième langue nationale dès l’école primaire est essentiel pour la cohésion nationale, s’émeut mais décide d’attendre l’année prochaine pour agir (en espérant sans doute que les cantons fassent preuve de bonne volonté avant d’en arriver là). Le président de la Conférence des directeurs de l’instruction publique (soit la Conférence des ministres de l’Éducation de chaque canton) estime d’ailleurs « qu’il serait fâcheux que la Confédération doive intervenir ». C’est que, en vertu des nombreuses discussions que cela nécessiterait entre les différentes chambres fédérales et cantonales, cela s’annonce long, compliqué et mettrait surtout à mal la traditionnelle autonomie cantonale en matière d’éducation. De fait, si les cantons en font la demande et à cette seule condition, le Conseil fédéral pourrait rédiger une déclaration de force obligatoire générale sous la forme d’un arrêté fédéral. Autre solution, que la majorité des partis semble préconiser : renforcer la loi sur les langues, ce qui ne se fait pas en trois coups de cuillère à pot ! Cela ne convainc pas entièrement les politiciens et pour faire accélérer la procédure, une initiative parlementaire est prête, qui vise à rendre obligatoire (selon les termes du Concordat) l’apprentissage d’une deuxième langue nationale dès l’école primaire. Sa mise au vote a cependant été ajournée car, selon le président de la commission de l’Éducation du Conseil national, « le sujet est trop sensible ».
En fin de compte, la vraie question reste celle de l’impérialisme de l’anglais, y compris dans un pays qui compte quatre langues nationales (l’allemand pour 67 % de la population, le français pour 24 %, l’italien pour 8 % et le romanche pour un peu moins de 1 %). Comment comprendre cette exclusion d’une langue nationale au profit d’une langue réellement étrangère ? Quelle image donne-t-elle de l’enseignement des langues ? Quel sentiment d’appartenance nationale développe-t-elle ? Enfin, quel indicateur des rapports de force entre économie mondialisée et cultures nationales cette polémique donne-t-elle à voir sans fard dans le domaine de l’éducation ?
Danièle Périsset
Haute école pédagogique du Valais et université de Genève (Suisse)