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L’homme qui jouait dans la marge
Gérard Gallego, c’est l’homme qui joue dans la marge. La marge que tracent la maladie, l’incarcération, le chômage, l’errance.
La marge que notre gout de normalité élargit, élargit, jusqu’à la déchirer de la feuille en suivant les pointillés.
Alors Gérard Gallego, inlassablement, s’emploie à gommer les traits et réunir les espaces dedans-dehors, et à rapprocher les voix, les corps, les regards.
Mon enclume et moi, on arrive à la répétition. Élise Gourdy-Bléniat, professeure d’arts appliqués, m’accueille, tout sourire. À voix basse, elle me raconte la genèse du projet lancé avec ses élèves l’année d’avant déjà. Autour de nous, la répétition continue. Les adultes et les jeunes viennent de travailler plusieurs heures. La marge du spectacle en préparation depuis un an et demi, c’est le handicap.
Certains acteurs font partie de la troupe de Gérard Gallego, Instant présent, d’autres sont éducateurs. Les derniers acteurs sont handicapés mentaux ou psychiques et il n’est pas question de l’occulter, ou de le faire oublier.
Alors, les douze élèves de la classe de BTS design d’espace d’Élise Gourdy-Bléniat tiennent là leur objectif dans ce spectacle : à renfort de lumières, de musique, de déplacements sur scène, ils vont aider les acteurs handicapés à être regardés. « Chers amis, vous êtes venus pour nous regarder dans les yeux. »
Miroir tendu, à travers un mot, à travers un thème. À travers un mot-thème : assister. « Aider, soutenir, avoir besoin, soulager, attendre, être inutile, rendre meilleur, profiter de, etc. »
Sur scène, on essaie, on s’essaie, on sait plus. « Les spectateurs, ils sont là pour quoi ? — Aucune idée ! », on s’échange, on évite, on hésite.
« Libre et vivant ! » crie Hugo. Gérard Gallego va chercher les voix, les histoires, les souvenirs des acteurs. Fermement. Assurant. Pas d’énervement. J’admire. « On recommence, autrement ! »
Ça danse, ça balance, ça s’arrange et ça pense. « Ils pensent, je suis. »
Ce sera le titre du spectacle. Devant moi, ils sont. Devant eux, c’est moi qui pense.
La marge ? Quelle marge ? Les pointillés, ce n’est pas pour ce soir. Là, sur scène, les acteurs, les metteurs en scène s’écoutent.
Ils rient ensemble et l’on rit avec eux. C’est ça le signe de la disparition de la marge, c’est le rire.
On ne rit pas de l’autre, on rit avec les autres.
Il est 20 h 30. Ils vont travailler encore. Je m’éclipse. L’enclume s’est envolée. À la place, sur mes épaules, un manteau de plumes.
Christine Vallin