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L’esprit de mai

Assumons le fait que notre recension ne sera pas impartiale. Hervé Hamon est un vieil ami des Cahiers, il nous propose  de temps à autre un joli billet du mois (comme dans le numéro 545) et certains se souviennent de sa belle intervention à nos Rencontres d’été à propos de son ouvrage Tant qu’il y aura des élèves. Plus encore, il achève son ouvrage en citant parmi les fruits de mai 68 et sources d’espoir le travail pédagogique que j’ai mené dans mon collège creillois qu’il a pu observer à vingt ans d’intervalles pour ses livres et son documentaire TV. Et on reconnaitra notre mouvement pédagogique dans la référence au «travail en réseau avec des centaines de pédagogues, praticiens et chercheurs de terrain » sur lequel s’appuie ce travail. Citons aussi ce passage : « très loin de Finkielkraut, de l’inénarrable Brighelli, etc. tous s’obstinent à former les enfants du monde populaire, et y parviennent ».

Mais au-delà, je ne crois pas manquer à l’objectivité en louant l’écriture de ce livre, où la vigueur du style n’élimine pas la rigueur d’analyse et le sens des nuances et où la part du beau récit au ton parfois épique ne nous fait pas tomber pour autant dans la boursoufflure ou le lyrisme excessif. Aussi, même si l’école n’a qu’une place limitée comme thématique autonome- bien qu’il soit beaucoup question du monde étudiant, je ne peux qu’en conseiller la lecture aux enseignants, qu’ils soient anciens élèves ou profs de mai (plus tout jeunes donc), qui ont pu connaitre comme moi l’aventure de Politique Hebdo ou des combats post-soixante huit ou tout au contraire qui en savent fort peu sur toute cette épisode fort de notre histoire nationale.

Hervé Hamon raconte une succession d’événements personnels et généraux, depuis le coup de tonnerre de renoncement à passer l’oral de l’agreg jusqu’aux rencontres du « parisien qui a vécu les barricades » à des publics bretons les plus divers, durant l’été, y compris parfois des agriculteurs peu attirés par la chienlit parisienne, mais sachant parler de la dureté de leur travail.

On retiendra aussi les saines colères de l’auteur, toujours retenues par l’humour toutefois, contre ceux qui accusent mai de tous les maux, le fameux discours de Sarkozy pendant la campagne de 2007 étant un modèle du genre, mais aussi ceux qui opposent le mai des étudiants « petit-bourgeois » au vrai mai, celui des travailleurs. Il égratigne aussi au passage l’idéalisation de la période des dites Trente Glorieuses, qui fait oublier l’atmosphère lourde qui pesait sur notre pays, quand les femmes venaient juste de conquérir le droit à la contraception et quand la vie politique était verrouillée par la domination gaulliste d’un côté, communiste de l’autre, sans parler de la dureté des rapports sociaux dans les entreprises.

On ne sera pas forcément d’accord sur toutes les analyses et appréciations, mais celles-ci sont toujours stimulantes et peuvent même contenir leur propre mise à distance. L’auteur ne prétend pas détenir dans une fiole le fameux « esprit de mai » !

Pour Hervé Hamon, mai fut une fête joyeuse et un adieu à la violence guerrière, malgré des affrontements parfois brutaux  (limités toutefois). Qui est héritier aujourd’hui ? Vaste question, mais l’auteur émet des doutes sur certains qui se réclament de la période mais qui en oublient le côté ouvert, tolérant, masqué parfois par la logorrhée marxiste-léniniste ou trotskiste. « La révolution n’est envisageable, chez nous, que si elle est démocratique, ouverte, foisonnante, drôle et progressive. » écrit-il dans une conclusion qu’on a envie de partager.

Jean-Michel Zakhartchouk