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Je hais les pédagogues
Le titre agace moins qu’il n’étonne : on trouve bien peu de « haine » envers les pédagogues dans ce livre consacré davantage à une descente en flammes de ces anti-pédagogues qui se parent des plumes d’un républicanisme quasi mystique pour mieux refuser le réel et le trivial de la réalité de notre école. Le sous-titre « L’école pourra-t-elle éviter une nouvelle guerre de religion ? » est à peine plus pertinent, car à lire Pascal Bouchard, on voit mal en quoi les « pédagogues » la souhaiteraient, puisqu’ils se situent sur un autre terrain que leurs contempteurs ; on pourrait presque dire qu’ils ont trop à faire pour s’occuper de cette querelle, ce qui d’ailleurs les dessert dans les médias tellement plus séduits par les logiques manichéennes.
Certes, l’auteur, fin connaisseur du système éducatif, envoie quelques piques à Dubet et Meirieu et se montre très injuste envers les mouvements pédagogiques dont il sous-estime une influence qui ne s’évalue pas forcément à la taille des bataillons, même si elle n’a rien à voir avec les fantasmes des antipédagogues qui prétendent que ces mouvements détiennent quasiment le pouvoir dans l’Éducation nationale… Mais tout cela n’a n’est rien si on comparer avec le « chamboule tout », la démolition en règle d’une Natacha Polony qualifiée ironiquement de meilleures journaliste éducation de France, voire du monde « tellement douée qu’elle n’avait pas besoin de s’informer pour informer les autres », d’un Brighelli réduit à un fanfaron de théâtre ou d’un JR Pitte minablement désinvolte… On pourrait presque reprocher à Bouchard d’être par exemple un peu injuste sur les compétences de Nathalie Bulle qui est malgré tout d’un niveau au-dessus des précédents quant à la réflexion sur l’école. Par ailleurs, Bouchard fait un tour d’horizon de quelques idées reçues, qu’elles soient franchement réactionnaires (« il y a trop de bacheliers », « les bonnes vieilles méthodes qui ont fait leurs preuves ») ou ultra-libérales (« l’école doit être gérée comme une entreprise »…) qui va tout à fait dans le même sens que ce que pensent les « pédagogues ».
Pascal Bouchard reproche, « gentiment » en fin de compte, à ceux qui sont ses amis en fait, de ne pas comprendre pourquoi il y a tant de résistances et de blocages alors même que les solutions qu’ils prônent devraient s’imposer. Pourtant, ce reproche n’est guère applicable à un Philippe Meirieu à qui on pourrait au contraire reprocher parfois de faire trop de concessions au nom du « débat argumenté » et d’un respect excessif des raisons de chacun, ni même à Dubet qui n’a jamais pensé que la refondation serait simple et qu’il suffirait d’avoir « raison » comme le dit Bouchard . En revanche, on aurait attendu ici d’autres critiques qui justifieraient sinon la « haine », du moins la prise de distance d’avec les pédagogues : leur trop grande insistance sur le relationnel au détriment parfois des savoirs, un certain culte de l’enfance qu’on peut trouver dans certains textes et prises de position, la mise en avant excessive de la « confiance en soi » et du « bien-être » et le silence sur les efforts nécessaires de la part des apprenants, la croyance que les problèmes d’autorité peuvent se résoudre par la seule bienveillance, etc. En vérité, ceux qui ne pratiquent pas de « religion » de la pédagogie reçoivent sans problème ce genre d’avertissements devant les dérives possibles. Bouchard ne fait qu’une allusion rapide aux débats qui les traversent et qu’il faudrait d’ailleurs davantage mettre en avant, pour se détacher des accusations stupides de « pensée unique ».
En fait, le livre comprend deux grandes parties : la critique des anti-pédagogues, avec des passages savoureux sur leurs incohérences, sur le ridicule de certaines de leurs affirmations….et sur leur méconnaissance des étymologies grecques, puis en fin d’ouvrage, des propositions pour une refondation qui ait des chances de réussir. Et là Pascal Bouchard développe son idée-force : mettre en place un échelon intermédiaire entre le national et le local (l’établissement) sous la forme d’une organisation en «bassins » et qui permettrait justement d’éviter les crispations ou de les régler plus pacifiquement. L’auteur d’ailleurs fait preuve d’un optimisme quelque peu inhabituel chez lui en notant des évolutions positives chez par exemple le SNALC, se revendiquant comme ayant pour objectif « la réussite de tous » ou le SNES acceptant la logique du socle commun, derrière les mots. On peut souhaiter qu’il ait raison, mais on peut aussi rester sceptique.
En tout cas, la proposition, qui reste à creuser et à concrétiser, de la réorganisation de la machine-école est une idée intéressante , sans que l’on sache vraiment si elle est réaliste ou utopique et si c’est vraiment l’alpha et l’oméga qui vont débloquer les choses
Un petit livre original, écrit avec humour et vigueur, que l’on lira avec plaisir, sans s’arrêter sur un titre accrocheur, mais fallacieux.
Jean-Michel Zakhartchouk