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Matali Crasset : «J’ai toujours été intéressée par la transmission»

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Crédit photographique : Julien Jouanjus

Matali Crasset est designer. Certaines de ses créations sont entrées dans des musées et des collections d’art et, entre autres projets concernant des enfants, elle a contribué à la rénovation et extension d’une école, Le Blé en herbe, à Trébédan (Côtes-d’Armor).
Quel rapport avez-vous eu à l’école ?

Enfant, je vivais dans un petit village dans lequel il n’y avait pas d’école. J’ai donc pris le bus dès la maternelle pour rejoindre une école à sept kilomètres. J’ai un assez bon souvenir de la maternelle, où j’ai passé de bons moments. Mais après, j’ai peu de souvenirs, c’était un peu plus dur, j’étais assez moyenne à l’école, pas vraiment épanouie.

Comme j’étais dans un milieu où régnait l’agriculture plutôt que la culture, je me suis longtemps interdit de faire un métier créatif. Après un bac + 3, finalement, je suis entrée à l’Ensci (École nationale supérieure de création industrielle), j’ai vu que l’école pouvait être autre chose que ce que j’avais connu. J’avais envie d’y aller, c’était un lieu d’épanouissement, qui donnait du sens à ma vie. J’ai alors commencé à changer d’opinion sur l’école et à m’intéresser aux écoles alternatives. Il y avait là-bas une autre relation avec le corps enseignant, une générosité, dont j’aimerais que tous les enfants profitent dès tout-petits, sans attendre aussi tard que moi.

L’école devrait privilégier très tôt l’ouverture pour les enfants qui ne sont pas en contact avec une grande diversité d’acteurs, pour qu’ils aient la possibilité de faire des choses auxquelles ils ne penseraient pas sinon. C’est pour ça que je suis très contente de travailler sur des projets comme La maison des petits au 104, à Paris. C’est un lieu fait pour eux, pour leur montrer que le monde autour de nous est une création et qu’on peut créer des structures singulières, être généreux dans notre façon de proposer des interactions.

Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans le travail pour ou avec les enfants ?

J’ai toujours été intéressée par la transmission, j’ai fait des colos comme animatrice, il y avait un espace de liberté, une façon d’expérimenter. Les enfants ne font pas semblant de faire quelque chose, ils sont dans l’action. Quand j’ai commencé à faire du mobilier pour enfants, c’est ce que je recherchais, c’est un cadre propice pour mettre en place une expérimentation.

Dans mon travail, je défends des structures évolutives, l’informalité, la possibilité de faire des choses ensemble : tout cela est beaucoup plus naturel chez les enfants. Quand on trouve le bon dispositif pour le faire, ils vont épuiser le système conçu et même rajouter des choses auxquelles on n’avait pas pensé. Ça apporte beaucoup d’énergie, c’est gratifiant, profond aussi.

Est-ce que votre travail à l’école Le Blé en herbe est duplicable ?

Non. Le peu d’expérience que j’ai dans ce domaine, je l’ai tiré de personnes qui ont une façon très personnelle d’utiliser ces lieux. L’école Le Blé en herbe est faite sur mesure. Je me suis appliquée à donner des outils pour que chaque instit (je sais qu’on ne dit plus comme ça, mais j’ai gardé ce mot) puisse être à l’aise dans sa classe, selon ses centres d’intérêt et sa façon de faire la classe, pour essayer des choses, proposer, interagir. On ne peut pas mettre un outil expérimental dans les mains de quelqu’un qui n’a pas envie d’expérimenter, ça n’est pas adéquat.

Tout est trop standardisé aujourd’hui, on est dans l’idée de prendre le plus petit dénominateur commun, alors qu’il faut redonner de la singularité, et qu’aucune classe se ressemble.

Quels sont vos prochains projets en lien avec les enfants ?

Je travaille actuellement sur un projet avec le Centre Pompidou, qui consiste à aller dans les villages avec une plateforme mobile, une sorte d’hybride entre un manège et quelque chose de plus actif. Cette plateforme ne reste pas plus d’une semaine sur place.

En amont, les écoles reçoivent une histoire et des chansons, puis, quand la plateforme arrive, ils contribuent à une minicomédie musicale. C’est un peu comme une représentation de fin d’année, mais avec un univers à part, complètement inventé. L’histoire tourne autour d’un saule pleureur (un arbre qui n’en fait qu’à sa tête, puisque ses branches tombent au lieu de s’élever vers le ciel). Les enfants ont une houppette sur la tête (on les appelle des « hooppies »), une sorte d’antenne pour entrer en compréhension avec le monde végétal et animal.

Et il y a le MuMo (Musée mobile)[[http://www.musee-mobile.fr/]]. C’est une initiative privée, partie de la présence dans chaque régions d’un FRAC (Fonds régional d’art contemporain). On a demandé aux curateurs des FRAC de valoriser leur fonds pour faire une exposition qui bouge, à montrer dans les petits villages. Sa venue est proposée aux écoles, aux mairies, qui s’en emparent pour faire un travail de préparation. Le MuMo est un camion modulable. On voulait que ce soit comme l’arrivée d’un cirque dans un village : le camion se déploie, avec des tiroirs, des parois qui s’ouvrent comme des volets et où il est possible de s’assoir pour accueillir enfants et familles. Les œuvres sont accrochées à hauteur des enfants, présentées comme un cabinet de curiosités. On y expose aussi le travail fait avec les enfants et on peut projeter des films.

J’aime ce type de projets qui défendent une certaine idée du lien à la culture, avec une dimension artistique et active.

Propos recueillis par Cécile Blanchard


article paru dans notre n°547, Des alternatives à l’école, coordonné par Richard Etienne et Jean-Pierre Fournier, septembre 2018.

Qu’en est-il de ces expériences de classes et d’écoles alternatives, dans le système public comme à l’extérieur, voire à l’étranger ? Sur quels principes se fondent-elles ? Comment interroger ces principes ? Un dossier pour voir plus clair dans ce qui, au-delà d’une certaine mode, reste flou.

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/735-des-alternatives-a-lecole-.html