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Internet forme, l’éducation se transforme

La capacité des apprenants à devenir eux-mêmes des producteurs de contenu — à diffuser tout genre de textes/sons/images/vidéos sans intermédiaire et sans connaitre les langages de programmation — contribue à résoudre l’équation de l’accès aux connaissances dans un mode distribué[[C’est-à-dire dans lequel la production de contenu est déconcentrée et la responsabilité distribuée.]]. Connecter, échanger et contribuer, devenir plus responsables de ses apprentissages, voilà l’essentiel des ingrédients de ce mode plus collaboratif, d’où l’utilisation du terme « Web 2.0 » pour désigner cet Internet devenu bidirectionnel.

La publication à portée de tous

Chris Anderson a bien expliqué comment le marché quasi monopolistique des gros producteurs traditionnels s’est fait rattraper, voire dépasser, par une multitude de petits producteurs ou de relayeurs de contenu. L’économie de la connaissance s’en trouve radicalement transformée quand on applique ce raisonnement à l’éducation : les réseaux prennent maintenant toute leur importance et les grands relayeurs, les enseignants, n’ont plus le monopole de la transmission. « L’apprenant 2.0 » ne se limite pas à utiliser Internet pour consulter des pages Web ; s’il a commencé par échanger du courriel et des messages textes, il exploite maintenant les possibilités qu’offre le « World Wide Web » dans les deux sens, consultation et diffusion. Celui qui fait quelques apprentissages peut immédiatement reproduire ce qu’il veut diffuser et l’offrir directement à un réseau d’internautes, après l’avoir modifié — adapté — ou non.
Que les adultes formateurs le veuillent ou non, cette prise de parole s’exerce. Depuis qu’il n’est plus nécessaire de convaincre un éditeur pour produire et diffuser de la musique, des images ou du texte, ni de connaitre les langages de programmation pour publier du contenu (quelle que soit sa qualité) dans le « réseau des réseaux », les apprenants ont massivement investi Internet pour s’exprimer. Mais une question se pose: les situations d’écriture dans le Web participatif favorisent-elles autant d’apprentissages pour les élèves ?

Des apprentissages motivés par la quête d’identité

Je suis de ceux qui croient que la pratique carnetière (l’utilisation des blogs) et les autres formes de publication web participent au repérage et à la construction d’une identité numérique de plus en plus affirmée. Celle-ci est au cœur des enjeux de formation d’un adolescent, et c’est pourquoi les dispositifs qui permettent aux utilisateurs d’Internet de générer du contenu agissent tels des leviers qui motivent les apprenants dans de multiples domaines d’apprentissage. Si apprendre est un acte social, apprendre par le Web l’est d’autant plus, et le Web procure à chacun le moyen de ses ambitions !
Dans un récent sondage administré à ses cinquante-six élèves âgés de quatorze ou quinze ans, le professeur Martin Bélanger dont l’école utilise les blogs depuis quelques années dans un contexte d’apprentissage scolaire rapporte les constats suivants :
– 93 % des élèves affirment que bloguer est une excellente façon de s’exercer à mieux écrire.
– 100 % des élèves admettent faire des efforts pour mieux écrire dans les billets qu’ils bloguent que dans leurs travaux scolaires.
– 64 % des élèves disent faire des efforts supplémentaires dans leurs travaux scolaires, car ils savent qu’ils pourront éventuellement les bloguer.
– 76 % des élèves soutiennent qu’un blog est un bon support à la métacognition, c’est-à-dire qu’il permet de garder des traces des apprentissages et qu’il aide les élèves à nommer leurs forces et leurs faiblesses afin de s’améliorer éventuellement.
– 93 % des élèves affirment que le blog est un outil technologique qui aide à apprendre.
Pour ce qui est des sites de réseaux sociaux ou ceux qui permettent de partager différents formats de fichiers (photos, vidéos, etc.), ils permettent surtout d’échanger avec des personnes qu’on aura triées sur le volet (nos contacts). Les expériences en contexte d’apprentissage commencent à poindre et bousculent déjà l’encadrement des collectivités, plus portées, souvent, à interdire l’accès à ces sites que d’en favoriser l’utilisation. Même en ce qui concerne la présence des téléphones portables, on est de plus en plus porté à croire qu’il convient de les utiliser enfin comme des « machines pour apprendre » plutôt que de les considérer « comme des outils de distraction »[[Hervé Guillaud, Vers la richesse des réseaux.]].

Les blogs pour mieux écrire

Les pressions que subit l’éducation sont énormes dans ce contexte où il est devenu plus facile de produire du contenu numérique, de le diffuser sur le Web et de contribuer ainsi, de façon originale et performante, à sa formation. Ceci mérite d’être regardé de plus près.
On peut prendre l’exemple d’une école qui tient un site Web de classe sous forme de blog sur lequel l’enseignant publie ses consignes et le contenu des exercices à faire. Dans certaines écoles, on va jusqu’à fournir à chaque élève un site du même genre, un blog, où il publie ses travaux et ses réflexions. Les parents, les copains ou le professeur utilisent l’espace prévu pour les commentaires pour échanger sur les apprentissages réalisés, en public. S’y ajoutent les internautes qui surgissent au hasard d’un lien fourni par un moteur de recherche qui a indexé le contenu produit par l’apprenant. N’est-ce pas motivant de faire son travail pour tout un groupe de personnes plutôt que pour un enseignant, seulement ?
Du point de vue pédagogique, à l’école que je dirigeais encore en 2002, l’Institut St-Joseph, nous étions convaincus que les « traces d’apprentissage » étaient très importantes, et que pour bien évaluer les apprentissages, il ne fallait pas se préoccuper seulement du résultat, mais aussi du processus. Nous utilisions des « cahiers de traces » (portfolios) où celles-ci sont commentées, objectivées, et sélectionnées – avec des « coups de cœur », des « défis », etc. Nous nous sommes demandé comment remplacer ces portfolios imprimés par un dispositif numérique qui présenterait notamment l’avantage d’être facilement consultable, à l’école ou à la maison. Ainsi est née notre première « ferme de blogs ». Au bout d’une année d’expérimentation, nos élèves lisaient et écrivaient beaucoup plus et beaucoup mieux.
J’ai déjà eu l’occasion de mettre en évidence une forme de désinhibition (notamment du côté des garçons, qui ont souvent des difficultés à « se mettre en mots » et à parler de leurs émotions) qui les aidait à mieux intervenir et à exprimer leurs points de vue, ou à poser leurs questions. Certains affirmaient que pour la première fois, ils pouvaient dire des choses sans être interrompus… Les professeurs ont vite remarqué l’instauration d’un nouveau rapport, plus égalitaire, dans la classe — les élèves les plus lents s’enhardissant. La relation au clavier semblait modifier la donne ; quand ils écrivent avec un crayon, m’ont souvent dit les élèves, ils doivent faire très attention, car chaque erreur coute cher. Ils sont obligés d’effacer, ce n’est pas propre… Leurs idées sortent plus vite que le temps qu’il leur faut pour les écrire. Sur le clavier, ils ont moins à faire attention : ils sont portés à tout écrire d’un coup, et à y revenir après.

D’autres outils que le blog

Le blog n’est pas le seul dispositif qui semble favoriser des apprentissages. Par exemple, sur Twitter, une enseignante de lettres-histoire géo et ECJS en lycée professionnel documente presque au jour le jour son expérience pédagogique avec une classe de terminale bac pro commerce7. Elle achemine certaines consignes en 140 caractères, maximum, pour produire du contenu ou hyperlier vers une ressource. Cette dernière affirme « précéder ses élèves d’un petit mois dans sa connaissance de Twitter », mais ça ne l’empêche pas d’apprécier beaucoup ce « moyen différent et plus conforme à [s]es attentes pour valoriser le potentiel de cette classe ». Elle les encourage à lire et à écrire, surtout… elle encourage chacun à échanger des points de vue divergents et à se donner beaucoup de feedback. Quand on connait l’importance des feedbacks pour l’amélioration de l’écriture, en particulier, on comprend vite tous les avantages qu’en retirent les apprenants liés à l’abondance de cette attention. À condition, bien entendu que ces rétroactions mènent vers l’acquisition de connaissances et portent vers la compétence.

Données, informations, connaissances, compétences

On entend souvent dire que c’est en écrivant qu’on devient écrivain et que c’est en lisant qu’on devient lecteur, mais pour devenir « compétent » en ces domaines, il faut plus que la simple pratique répétitive. Développer les « savoir agir » à partir de ce que l’on sait exige de nombreuses occasions de recevoir du feedback. Les rétroactions permettent d’attirer l’attention sur les erreurs autant que sur les réussites. Ici encore, répartir sur la communauté « la charge » de ces rétroactions permet d’en donner suffisamment pour encourager l’amélioration et la persévérance. L’enseignant qui encourage la production, s’il est seul à rétroagir, ne se condamne-t-il pas lui-même à crouler sous la tâche ? Voilà pourquoi les dispositifs comme les blogs ou Twitter et Facebook peuvent être envisagés, à certaines conditions, comme des outils multipliant les occasions d’apprendre.
On peut dire que beaucoup de données et d’informations circulent sur Internet, mais y a-t-il autant de savoirs qu’on le pense ? S’il arrive souvent que les correcteurs orthographiques obligent les jeunes à penser, il faut admettre que les apprenants sont souvent à la recherche des solutions faciles sur le Web ou dans les technologies de la communication et de l’information.
Le rôle central joué par les moteurs de recherche est au cœur de la dynamique qui préside à la construction de l’identité numérique. Avez-vous déjà « Googlisé » quelqu’un, tapé son nom dans le célèbre moteur de recherche ? Les jeunes ne laissent pas Google (ni aucun autre moteur de recherche, YouTube étant le plus populaire auprès des 12 à 17 ans)[[Selon la dernière enquête du Céfrio : Réjean Roy Génération C : Les 12-24 ans – Moteurs de transformation des organisations, 2009, disponible sur www.cefrio.qc.ca.]] décider à leur place de l’image qui pourrait émerger d’une requête portant leur nom. Ils connaissent le fonctionnement de ces moteurs de recherche et en tiennent compte dans leurs publications, en utilisant les mots-clefs dans les titres de leurs billets, dans les tags des photos.
Entouré de gens qui sont là pour apprendre, muni de l’accès à de nombreux dispositifs de production de contenu et en contact constant avec des moteurs de recherche qui offrent des « réponses » à toutes ses questions au moment où elles surviennent, l’apprenant n’en possède souvent pas les clefs de lecture. Données, informations et opinions ne veulent pas dire connaissances. Pas étonnant que nous restions vigilants à ce qu’il exerce son jugement critique !

L’expertise indispensable de l’enseignant

Si l’enseignant demeure une voie importante de diffusion du savoir et si son expertise demeure essentielle pour contextualiser tout ce qui circule directement vers les apprenants, les autres canaux sont accessibles et il n’est plus possible pour un pourvoyeur de connaissances de faire comme s’ils n’existaient pas. Un enseignant voulant absolument que tout passe par lui va droit dans le mur, alors que les dispositifs de production de contenu et les rétroactions qu’elles permettent offrent à l’apprenant de grandes possibilités d’apprentissages.

Mario Asselin
Directeur général de Opossum