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Mémona Hintermann-Afféjee : « Il y a urgence à travailler sur l’image ! »

D’une famille créolophone de la Réunion au Conseil supérieur de l’audiovisuel, quel regard sur l’école et l’éducation aux médias et aux images ? Entretien avec Mémona Hintermann-Afféjee, ancienne grande reporter, et membre du CSA.
Vous avez évoqué dans votre récit autobiographique Tête haute (2007) tout ce que l’école de la République vous avait apporté. Que retenez-vous surtout de vos années d’apprentissage scolaire ?

Mon père, Indien, se sentait… Indien ! Ma mère, issue d’une famille bretonne arrivée à la Réunion probablement au XVIIIe siècle, se sentait créole ! L’identité française qui est devenue la mienne s’est forgée sur les bancs de l’école en apprenant des poésies, en répétant que mes ancêtres étaient des Gaulois et que Jeanne d’Arc avait résisté face à l’occupant anglais. Ni mon père, ni ma mère ne s’exprimaient en français. Nous parlions le créole.

Aucun doute pour moi en arrivant au baccalauréat, je me sentais française, à l’égal de n’importe quel autre élève de n’importe quelle couleur, de n’importe quelle religion ! Les enseignants nous ont appris que le drapeau était notre emblème commun, que la France était notre patrie. Vous allez dire que tout cela sent le colonialisme ? Ce serait alors sa face humaine.

Je dois souligner que l’enseignement était considéré avec un respect immense par nous tous. Pourtant, nous arrivions, pour la plupart, le ventre plutôt vide à l’école. Aujourd’hui, cela peut paraitre ringard. Mais sans les institutrices, puis les professeurs, je n’aurais jamais pu croire que le roman national était mon roman personnel.

Dans votre fonction au sein du CSA, intervenez-vous parfois dans des structures scolaires pour parler des médias avec les jeunes ? Comment voyez-vous le rapport des jeunes avec les médias aujourd’hui ?

Bien avant ma nomination au CSA en 2013, j’avais répondu à des invitations dans des établissements scolaires à travers la France (y compris chez moi, à la Réunion). La parution de Tête haute a déclenché la curiosité. Soudain, mon profil de femme grand reporter aperçue dans les journaux de France 3 ou dans la presse écrite a visiblement pris une autre allure. Je suis devenue « la fille de l’ile de la Réunion sauvée grâce à l’école de la République ».

Dans le cadre de mes fonctions, je me déplace régulièrement dans les établissements pour parler de la nécessaire représentation de la diversité de notre société dans les médias ainsi que de l’éducation aux médias. Les discussions avec les enseignants et les élèves portent aussi sur mon travail de journaliste de terrain, tel que je l’ai exercé, principalement dans des zones de guerre, dans des conflits où les civils sont en première ligne. Les questions concernant les origines sociales, ethniques et religieuses sous-tendent les interrogations. J’ai constaté, hélas, à quel point les jeunes se trouvent éloignés d’une connaissance élémentaire des sujets pourtant exposés à longueur de mois et d’année à la radio et à la télévision. Lequel pourrait dessiner une carte du Moyen-Orient ? Une carte expliquant les guerres qui ont ravagé les Balkans dans les années 90 ?

Un jour, quand j’ai parlé de l’Afrique du Sud, une élève en classe de 1re, « une bonne élève », aux dires d’une professeur, m’a demandé : « C’est quoi l’apartheid » ? Une autre fois, j’ai mis une bonne poignée de secondes avant de répondre à cette question : « C’est quoi l’optimisme, madame ? » Je venais d’expliquer que ma mère, qui ne savait ni lire, ni écrire, nous répétait chaque jour en créole « vi peu, si vi veu ». J’avais commenté sa force de vivre devant des adolescents, en soulignant l’optimisme d’une femme abandonnée par le père de ses enfants, nous, mes nombreux frères et sœurs.

Que des jeunes se prétendent méfiants vis-à-vis des médias ne me gênerait pas si une telle attitude relevait du doute à la Descartes. Mais ils ont plutôt tendance à gober ce qui se passe sur les écrans et à croire aux théories du complot. Ce n’est pas une vraie attitude critique.

Ce qui pose la question dès lors de l’éducation aux images. Que faites-vous pour la favoriser ?

Je prépare des actions communes en lien avec, notamment, le ministère de l’Éducation nationale, pour inciter les élèves à créer eux-mêmes des petits films afin de mieux apprivoiser l’outil vidéo. Il est encore un peu tôt pour détailler cette initiative, qui pourrait être appelée à se multiplier.

Je ne suis pas sure que les établissements scolaires soient suffisamment équipés (moyens humains, techniques, expertise dans les différents corps de métiers) pour entreprendre un travail quotidien en relation avec le monde de l’image et du son. Demain (et déjà aujourd’hui), la place des écrans sera probablement aussi importante que celle des livres et cahiers de la génération précédente.

Pas le choix, il faut se préparer à cette nouveauté ! Je n’ose pas dire « révolution » et pourtant, dans tout le secteur de l’audiovisuel, les changements que nous vivons sont absolument inédits. Comment l’école pourrait-elle être dissociée de tels mouvements ?

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk


Article paru dans notre n°528, Mettre en oeuvre les EPI, coordonné par Jean-Michel Zakhartchouk, mars 2016

Les enseignements pratiques interdisciplinaires vont se mettre en place à la rentrée 2016. Dans certains collèges, on anticipe déjà. Dans d’autres, les pratiques interdisciplinaires existent depuis un certain temps. On ne part donc pas de rien et les EPI peuvent s’appuyer sur l’existant.

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/637-mettre-en-oeuvre-les-epi.html