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Histoires et avenirs de l’Éducation

Jacques Attali, Flammarion, 2022

On connait sans doute les talents, mais aussi les limites de Jacques Attali. Capacité de vulgarisation, d’accumulation de données, de mise à disposition à un large public des informations sur l’état du monde en allant du passé aux perspectives d’avenir d’un côté, les défauts de la compilation, des affirmations rapides et abusivement validées par des chiffres ou des anecdotes (fussent celles-ci parfois savoureuses), un côté qui peut paraitre superficiel du fait de la boulimie de l’auteur, qui s’intéresse à tant de sujets différents, entre histoire du judaisme et biographies de Marx ou Pascal.

Dans ce gros livre (de près de cinq cent pages),  l’essayiste brosse à grand traits une histoire mondiale de l’éducation, rien moins que depuis les débuts d’Homo sapiens jusqu’aux scénarios possibles pour la fin du XXIe  siècle. Avec souvent la tentation du survol, notamment géographique pour le temps présent. De très très nombreux chiffres, plus ou moins référencés, mais aussi quelques idées force dans un art de la synthèse qui apparait à plusieurs endroits dans des listes un peu à la Prévert, mais loin d’être inintéressantes , d’affirmations concernant l’éducation , ce qu’elle a été et ce qu’elle pourrait être entre le noir pessimisme et les lueurs d’espoir.

Disons surtout que Jacques Attali n’est en rien un nostalgique du passé. Il montre bien combien dans la plupart des époques, l’éducation a été surtout un moyen de dressage, au service des dominants quand ceux-ci lui accordaient une petite place, au mieux rudimentaire pour les plus pauvres dans une conception presque toujours élitiste et excluante. Les grandes victimes ont été et continuent à être les filles, dont le niveau mondial reste faible dans de nombreux pays.  Et surtout les religions ont été la plupart du temps ennemies de toute instruction de masse, méfiantes en particulier vis-à-vis de savoirs reposant sur la raison et la pensée critique.

Bien entendu, la contradiction existe entre les nécessité d’une formation technique adaptée aux progrès dans la production et la crainte que le « peuple » soit trop éveillé. Le livre s’ouvre d’ailleurs par une citation glaçante de Richelieu : « Un Etat serait monstrueux si tous ses sujets étaient savants. On y verrait aussi peu d’obéissance que l’orgueil et la présomption y seraient ordinaires. »

Lutte constante entre les efforts réformistes de forces progressistes et l’obscurantisme des forces rétrogrades : à quelques nuances près, c’est bien la ligne directrice de cette longue histoire. Une des « leçons du passé » est formulée ainsi dans l’introduction : « Les deux fonctions principales de la transmission, sous toutes ses formes, de prolonger l’ordre dominant et à l’inverse d’organiser la transmission d’innovations parfois en rébellion contre l’ordre dominant. »

On piochera donc dans ce livre mille faits souvent méconnus qui nous font sortir du franco-français ou replacer celui-ci dans une histoire longue. Citons quelques titres de sous-chapitres (parfois très courts)  au fil des siècles : Naissance de l’obligation scolaire en Basse-Saxe  au XVIIe siècle, En Amérique : évangélisation et colonisation ; la Chine et l’Islam : un univers figé ;La Prusse : l’école de l’obéissance par la violence ; la Russie, l’arriération ordinaire ; l’Algérie et les autres colonies françaises : asservir sans éduquer. Des titres en forme de promesses d’informations riches et significatives, plus ou moins bien tenues. Dans la partie consacrée aux temps plus récents, le survol est vraiment excessif parfois. Mais on saluera la mention de la création de la Ligue internationale de l’éducation nouvelle et le regard positif pour les pédagogies privilégiant l’activité des élèves , la bienveillance et la créativité.

L’ouvrage se termine par la présentation de trois scénarios du futur. Les deux premiers sont sinistres et renvoient à une barbarie tantôt hard (hyper élitisme, communautarisme, recul de l’instruction  et de la culture) tantôt plus soft (domination du numérique et des algorithmes au détriment de l’autonomie des individus). Un scénario plutôt 1984 d’un coté, plutôt Meilleur des mondes de l’autre (c’est nous qui ajoutons ces références).

Seul le troisième est réjouissant et va bien dans le sens des pédagogies progressistes. Il implique notamment un énorme investissement dans l’éducation (de l’ordre du 10% du Pib), et des changements radicaux dans la relation enseignants-enseignés, dans la façon de concevoir la classe, avec un fort accent mis sur l’éducation tout le long de la vie. L’école finlandaise préfigure en partie pour Jacques Attali cet avenir espéré, mais qui aura du mal à s’imposer face aux forces rétrogrades.

En dépit donc de défauts liées à une ambition démesurée pour un travail qui devrait davantage être une œuvre collective, cette Histoires et avenirs de l’éducation (insistons sur le double pluriel) nous intéresse à la fois par la densité des informations qu’il contient et par le point de vue qui s’exprime et qui tranche avec beaucoup d’essais d’intellectuels souvent à mille lieues des réalités éducatives, ce qui n’est pas le cas ici.

Jean-michel Zakhartchouk

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