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Géographie de l’éducation, concepts, enjeux et territoires

Aurélie Delage, David Giband, Kevin Mary, Nora Naffa, Armand Colin, 2023

Voici un livre qui se présente comme un manuel (le « premier manuel ») de géographie de l’éducation. Enfin ! pourrait-on dire, l’approche géographique des formes d’éducation dans le monde peut sortir de la confidentialité et prétendre entrer de plein pied dans les Sciences de l’éducation.

Il n’est pas nécessaire d’être géographe pour comprendre tout l’intérêt d’une approche « spatiale » de ce phénomène social essentiel qu’est l’éducation. Les étudiants en sciences de l’éducation, les enseignants en formation, les militants de l’Éducation nouvelle y trouveront de quoi alimenter leur compréhension du système éducatif français par l’approche comparatiste et l’élargissement du regard au reste du monde. Mais pas seulement.

Ce que l’approche géographie apporte à l’analyse, c’est d’abord une dimension multiscalaire. De l’échelle locale où s’opèrent les choix des individus (stratégie d’appropriation et d’évitement) à l’échelle mondiale où se dégage un inquiétant tableau très documenté de la marchandisation de l’éducation et l’accroissement des inégalités et des discriminations dans l’accès à l’éducation, en passant par la diversité des situations à l’échelle nationale. La situation française est développée avec de nombreux exemples, la comparaison avec d’autres pays d’Europe d’Amérique du Nord, d’Extrême-Orient montre la diversité des situations mais aussi la tendance lourde de désengagement des Etats au profit d’acteurs privés particulièrement forte dans les pays du Sud (exemples frappants en Afrique subsaharienne) où les phénomènes d’exclusions sont aussi plus violents. L’emboitement des échelles (du local au global…) permet de comprendre les enjeux politiques, géopolitiques et sociaux mais aussi de montrer où se situent les possibilités d’action, voire de résistance. C’est aussi par l’étude des mobilités liées aux questions d’éducation que cette approche géographique s’impose comme novatrice.

Dernière spécificité très géographique de l’ouvrage, une cartographie élaborée et soignée offre des représentations graphiques synthétiques qui soulignent très efficacement les effets de ségrégation, d’appropriation des espaces auxquels contribue les choix des sociétés et des individus en matière d’éducation.

Au final l’analyse porte surtout sur le rôle des acteurs institutionnels, des entreprises, et des organisations dans laquelle les géographes retrouveront une géographie sociale et globalisée qui ne cache pas une proximité avec la géographie radicale1, par exemple dans sa dénonciation de James Bezos proclamant à l’ouverture en 2019 d’une école maternelle de la Bezos Academy « l’élève sera le client ! » ou dans une rapide et efficace étude de cas sur la privation d’école pour les femmes par les Talibans.

Si dès l’introduction, il est question d’éducation formelle et d’éducation non formelle, force est de constater que le livre traite essentiellement de la première, la seconde étant bien moins saisissable avec les outils de l’analyse statistique.

Le militant pédagogique peut rester un peu dubitatif devant la faible part faite aux tentatives d’alternatives à la marchandisation évoquées en trois pages consacrées à l’Education populaire et aux associations, à la « forest school », qui interrogent très succinctement l’organisation de l’espace à l’échelle de la classe (ce que Michel Lussault avait nommé « la lutte des places2 ». Il y aurait matière à un second volume qui prolongerait cette illustration de la géographie de l’éducation en s’ouvrant davantage aux approches par l’espace vécu, par « l’habiter », par les jeux et conflits d’acteurs et les représentations sociales à l’échelle de la classe ou de la cour de récréation, en interrogeant aussi la façon dont les enseignants peuvent s’emparer de cette géographie de l’éducation avec leurs élèves à travers une didactique renouvelée de la géographie. En attendant, il est toujours possible de lire et de relire le dossier des Cahiers pédagogiques « l’aventure de la géographie3 ».

Yannick Mével

 

Notes
  1. Plus marquée encore dans un autre ouvrage récent dirigé par la même équipe de l’université de Perpignan : Kévin Mary, Nora Nafaa et David Giband, Geographies of Globalized education privatization, éd. Springer, 2023.
  2. Michel Lussault, De la lutte des classes à la lutte des places, Paris, Grasset, 2009.
  3. L’aventure de la géographie, Cahiers pédagogiques n° 559, février 2020 https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/789-l-aventure-de-la-geographie.html.