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Le décor : seize ordinateurs gentiment alignés sur deux rangées. Chaque place est dotée d’un ensemble micro et casque audio et d’un petit tapis rouge sur lequel sommeille une sage souris blanche. Leur faisant face, un vaste bureau équipé, lui, de deux écrans, d’un magnétoscope et d’une caméra fixe. Les chaises sont ergonomiques, le mobilier neuf et propre. Les technologies de l’an 2000 sont là, à disposition : cédéroms, logiciels éducatifs, Internet, vidéos, etc. Tout est normalisé, compatible, et le réseau fonctionne parfaitement, sans un fil qui traîne. Fascinant.

Et pourtant d’un seul coup d’il, on reconnaît une salle de classe, la place du maître et celle des élèves. Rassurant.

ACTE I : Un cours de maths, lundi matin, 8 heures. Trente-deux élèves de quatrième, – deux par postes, car l’équipement ne permet pas d’en mettre un par poste, mais ça viendra – étudient le théorème de Pythagore sur un logiciel éducatif performant.  » Réalisé par des enseignants « , a confirmé le vendeur. La progression des élèves est individualisée. Le maître a sur son écran un quadrillage en seize cases et peut surveiller le travail de chacun. Quand il le veut, il agrandit une case et peut  » prendre la main  » sur un poste élève et y intervenir, à sa guise. Il peut aussi, sans déranger les autres, s’adresser à un élève par son casque et lui dire ce qu’il pense de son travail.

 » C’est génial, ça devrait être généralisé « , commente une prof stagiaire en observation au fond de la classe.

Par la magie du cyber-espace, les ACTES II, III, et suivants peuvent si nécessaire, se dérouler simultanément.

ACTE II : Bureau de l’inspecteur. Seize cases sur son écran. Chaque case correspond à l’écran d’un enseignant de sa circonscription. Quand il le veut, il peut agrandir une case et, s’il le souhaite,  » prendre la main  » sur un poste enseignant et y intervenir, à sa guise. Il peut aussi, s’adresser à un enseignant par son casque et lui dire ce qu’il pense de son travail.

ACTE III : Bureau de l’inspecteur général. Seize cases sur son écran

ACTE IV : Bureau du ministre

ACTE V : Bureau de… Vais-je enfin savoir qui est Big Brother ?

Cependant L’ACTE I est devenu réalité dans certains de nos établissements scolaires. C’est la marche du temps, et il serait vain de s’y opposer.

Mais poussons le trait et la logique de la nouveauté : on pourrait résoudre les problèmes des effectifs, des salles et du chahut en plaçant les élèves dans des box séparés et insonorisés. Ou mieux, en remplaçant l’écran par un masque de visionnement intégral. Ou mieux encore, en laissant les élèves chez eux, avec leurs seuls terminaux et périphériques.

Mais la réalité va plus loin que le rêve. Ce qui se fomente actuellement dans les coulisses, ce sont les PAL (Personnel assistants for learning), expérimentés au centre pour l’innovation dans l’apprentissage de l’université Carnégie-Mellon à Pittsburg (Pensylvanie).  » Ces agents virtuels analysent de plus en plus finement la réaction des élèves, scrutant le moindre signe d’incompréhension ou d’ennui. Insensibles à la fatigue et à la lassitude, ils varient leurs techniques d’enseignement jusqu’à identifier, pour chaque élève, celle qui donne les meilleurs résultats.  » (Le Monde, 29 septembre 1999)

La technologie va-t-elle nous faire oublier les démarches de socialisation qui doivent accompagner la construction des savoirs ? Les enseignants novateurs seront ceux qui, ni terrorisés par l’apparition de nouveaux outils, ni fascinés par les techniques, sauront inventer avec leurs élèves des situations de réappropriation. Comme par exemple dans L’ACTE I, en laissant les élèves décider du moment où ils souhaitent le contrôle de leur écran, en leur faisant expérimenter la place du maître, etc.

Et puis poser les casques, éteindre les écrans, et s’exprimer en live sur ce que l’on vient de voir, entendre, vivre et ressentir.

Odile Chenevez