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« Entre nos mains, la vie de gamins sensibles… »

C’est entendu, quand on enseigne, on ne doit voir dans l’enfant qu’un élève. Pas forcément le sujet épistémique des circulaires et des règlements, mais bien une personne qui est là pour faire son métier d’élève : apprendre et grandir.
Et pour rester à bonne distance pédagogique, pour que la main et la parole du professeur-passeur ne tremblent ni ne s’offusquent, ses regards verront donc d’abord l’élève, même quand l’élève fait l’enfant et tente de nous faire changer de rôle ou de nous atteindre par sa violence, ses ricanements, ses refus désinvoltes ou ses silences obstinés.
La classe est une société d’élèves, c’est sûr…
Cependant, chaque enfant individuellement devrait pouvoir y trouver sa place. Personnelle. C’est aussi le sens de la demande sociale des parents : accueillez mon enfant, professeurs, distinguez-le un peu… Il n’est pour l’heure encore responsable de rien, ni de ses erreurs – nécessaires pour apprendre, non ? –, ni de ce qu’il ne sait pas encore et qu’il devrait savoir, d’accord, d’accord, ni de sa difficulté à vivre avec les autres — la vie scolaire, dans et hors de la classe, pourrait commencer à lui apprendre ça ?… Ne le dissolvez pas dans l’anonymat, ne le brulez pas trop vite sur les grilles rigoureuses de vos évaluations, différez quelque peu la sanction, suspendez un temps votre jugement, donnez-lui un joker, une chance. Après tout, ce n’est encore qu’un enfant…
Et ce n’est pas là appel au laxisme, à la faiblesse coupable, à la compassion émolliente et pleurnicharde. Plus tard, l’adulte que sera devenu l’enfant que vous avez su voir derrière l’élève vous dira peut-être — comme cela m’est arrivé quelquefois au hasard de retrouvailles incertaines — que c’est ça qui a compté le plus pour lui. Quelques mots dits à sa personne, un peu d’empathie, un certain regard sur l’enfant qu’il était. Toutes les autres facettes de votre talent – tour de main artisanal, sureté des gestes pédagogiques, rigueur du jugement – auront été l’affaire du professionnel devant ses élèves. Et sans doute passées inaperçues, puis oubliées…
Laissons donc le dernier mot à un parent, le rappeur Akhénaton qui témoigne ainsi, le 28 mars 2010, dans Libération :
« Ma fille — qui était une excellente élève et adorait l’école en primaire — travaille toujours aussi bien, mais déteste se rendre au collège. […] Certains professeurs devraient se répéter tous les matins, au-delà de leurs revendications légitimes, au-delà des problèmes de violence, qu’ils ont aussi la vie de gamins sensibles entre leurs mains. »