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Enseigner le fait religieux, un défi pour la laïcité

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Une nécessité ; certainement, affirmée déjà par Ferdinand Buisson dans La foi laïque en 1908, reformulée dans les années 1980, par la Ligue de l’enseignement notamment, puis par Régis Debray dans son rapport de 2002, et dans la préface qu’il donne au livre, parce que, « au nom de la lutte contre l’obscurantisme, noble cause, on finit par accroître l’obscurité en laissant dans le noir les phénomènes religieux ». Un défi aussi, parce que cette nécessité se heurte à la fois à l’ignorance où nous sommes trop souvent des faits religieux, même ceux qui concernent la religion à laquelle éventuellement nous nous rattachons de près ou de loin, et au manque de conviction de la tolérance que nous professons. Et beaucoup de difficultés : théoriques : qu’est-ce que le fait religieux ? Pratiques : dans quel cadre l’enseigner ? Pédagogiques : comment intéresser les élèves, comment amener les élèves à s’intéresser à d‘autres croyances que les leurs ? Déontologiques : comment ne pas peser, même involontairement, mais parce que chacun a ses convictions personnelles, sur la liberté de l’autre ? Mais cela n’est pas, à y réfléchir, spécifique au sujet religieux.

René Nouailhat donne quelques éléments de réponse, ou approfondit le questionnement. Il requiert « une pédagogie du débat, prenant explicitement en compte la diversité du fait religieux, sans peur et sans reproche ». On sera plus réservé sur l’idée de « pédagogie du seuil : aider à pressentir et même à ressentir l’expérience humaine qui habite le fait religieux […], pédagogie qui conduit sur ce seuil, mais qui ne le franchit pas ». Il faut « entrer dans l’intelligence des rapports symboliques », mais cela doit-il « précéder » la présentation des religions, comme le suggère Nouailhat ? C’est dans un cadre interdisciplinaire, qu’il vaut mieux se situer, certainement pas en créant une discipline nouvelle. Il faut mobiliser toutes les disciplines, même si l’histoire doit jouer le rôle le plus important. Il faut dépasser les aspects folklorique, anecdotique ou factuel pour aller à ce qui l’essentiel de chaque religion : la « raison d’être » d’une cathédrale ou d’une mosquée est plus importante à connaître que l’analyse de son architecture. Bien entendu – mais cela va mieux en le disant – il s’agit d’un enseignement éclairé par l’apport critique des différentes sciences, et non d’une éducation religieuse ou de l’approfondissement d’une croyance ; mais Buisson n’hésitait pas à demander « une large sympathie, une admiration respectueuse pour toutes les manifestations de la pensée et de la conscience sans cesse en marche vers un idéal sans cesse grandissant » (p. 59).

Ces remarques générales faites, auxquelles on souscrit facilement, la moitié du livre est consacrée à « mieux connaître l’histoire des religions pour l’enseigner ». Évidence ? Sont passées en revue, avec le concours de spécialistes, l’expérience du sacré chez les Navajos, la genèse du judaïsme (ce chapitre a été refait, une édition précédente ayant soulevé des objections et des réticences), du christianisme et de l’islam, des visages du bouddhisme, trop souvent « représenté de façon parodique ». Passons sur la difficulté de suivre l’explication de sculptures navajos sur des reproductions en noir et blanc qui ne dépassent pas sept centimètres. Mais les chapitres sur les origines des trois religions qu’on appelle abusivement religions du livre (le rôle du Livre saint n’y est pas le même, et il est délicat de parler de filiation) posent problème : d’une part, ils me semblent trop détaillés pour un enseignement même au niveau lycée et d‘autre part, autant ils peuvent éclairer celui qui connaît déjà assez bien l’une ou l’autre religion, en lui permettant de situer ce qu’il en sait, de le nuancer, voire de le relativiser, autant je crains que celui qui ne la connaît pas n’en voie pas l’intérêt, parce que cela ne lui dit pas ce qu’est cette religion. C’est la limite de l’approche « histoire des religions ».

Le but principal de l’étude du fait religieux est-il de donner des connaissances qui éclairent l’art, la littérature, l’histoire ou les sciences, ou bien d’ouvrir à la dimension spirituelle ? À côté des religions, parfois en opposition avec elles, il y a d’autres sagesses. Et le livre en aborde quelques-unes, le bouddhisme d’abord, et tente une mise en situation des religions dans la modernité. La revue est nécessairement rapide, mais il me semble qu’elle est insuffisamment critique lorsqu’elle passe par Paulo Coelho, le New Age ou le développement personnel. Car, comme le dit Michel Lacroix (cf. Cahier 427, p. 69) : « Le meilleur y côtoie le pire. » Il y a là une autre limite à la laïcité : elle n’a pas à préférer une croyance à une autre, mais doit-elle se taire quand la raison est en jeu ? Mais, comme « thérapie préventive » des dérives sectaires, « une meilleure connaissance de la diversité et de la complexité des religions et une initiation au questionnement philosophique et scientifique sur les grands textes religieux rendrait plus prudent à l’égard des propagandes qui jouent trop facilement des références à quelques extraits interprétés au premier degré ou dans leur commentaire obligé ».

Jacques Georges


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