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Enseignement explicite : pratiques et stratégies. Quand l’enseignement fait la différence

Marie Bocquillon et alii, De Boeck Supérieur, 2024

Un groupe d’universitaires et responsables de formation d’enseignants belges est auteur d’un nouvel ouvrage sur l’enseignement explicite, à destination d’enseignants, de formateurs et de parents. Il consiste à présenter de manière précise cette conception spécifique de l’enseignement, la considérant comme reposant sur des recherches de terrain ayant conduit à en démontrer l’efficacité. C’est très rapidement annoncé dans l’ouvrage, notamment par P. Bressoux ayant signé la préface : « L’accent est ici porté sur l’enseignement explicite, dont l’efficacité a été montrée dans maints contextes » (p. 8). Dans l’ouvrage, la notion d’efficacité est définie comme un lien de conformité entre les objectifs visés et les résultats effectivement obtenus.

Cette approche aurait ainsi la vertu d’aider le plus grand nombre d’élèves à réussir, sans distinction d’origines sociales ou culturelles, en tentant de chasser de l’enseignement tout ce qui n’est pas directement accessible aux apprenants. Cette attention est doublement développée : du point de vue de la gestion des apprentissages et de celui de la gestion de classe.

Un développement en six chapitres

Cet ouvrage a le grand avantage de présenter clairement au lecteur les logiques de fonctionnement de l’enseignement explicite. Il est structuré en six grands chapitres, tous bien écrits et très accessibles grâce à de nombreux tableaux, schémas et exemples.

Les trois premiers décrivent les fondements théoriques de l’enseignement explicite ainsi que l’éducation fondée sur des « données probantes ». Ils détaillent aussi différentes critiques adressées à d’autres propositions pédagogiques. Les auteurs proposent des liens de complémentarité avec ce qu’ils désignent comme des « approches pédagogiques socioconstructivistes ». L’enseignement explicite serait efficace pour favoriser l’apprentissage d’habiletés simples et complexes et de comportement induisant l’engagement des élèves dans les tâches.

Toutefois, la présentation du constructivisme nous semble erronée, dans le sens où sont confondues deux objets didactiques distincts : tâches complexes et situations-problèmes. Outre le fait que les psychologues constructivistes n’ont jamais travaillé sur des applications pédagogiques de leurs recherches, une situation-problème (telle que définie par exemple par J.-P. Astolfi) vise à considérer les représentations initiales des élèves pour susciter le besoin de les remettre en question par la rencontre avec un obstacle. Ces blocages devenus conscients invitent à apprendre du nouveau par un rapport formel au savoir, pour retrouver un équilibre cognitif enrichi parce qu’en mesure de mieux résoudre les difficultés.

Ce rapport formel au savoir peut prendre plusieurs formes, la moins risquée étant la transmission-explication des savoirs par l’enseignant, en réponse aux blocages rencontrés par les élèves. Une tâche complexe se situerait plutôt en fin de séquence d’enseignement, pour aider les élèves à dépasser de simples automatismes et se construire des capacités à pouvoir réutiliser les acquis dans des situations nouvelles et authentiques.

Une tâche complexe peut prendre la forme d’un projet à réaliser, son principe étant de manière concomitante de réutiliser les savoirs précédemment automatisés tout en développant des compétences de vie (comme travail en équipe, prendre la parole en public, maintenir le cap dans un projet…). Dans cette première partie d’ouvrage, il est expliqué tout autre chose, notamment que « les approches socio-constructivistes sont souvent présentées comme celles à privilégier pour développer des compétences complexes » (p. 27). L’enseignement explicite est décrit autour d’une démarche en trois étapes (p. 29) : le modelage (pour « démontrer et expliquer clairement les procédures »), la pratique guidée (pour que les élèves réalisent « des tâches semblables à celles qui ont été montrées ») et la pratique autonome (pour qu’ils « réalisent individuellement des tâches similaires […] sous supervision active de l’enseignant »).

Notons au passage que ne pas prêter attention aux représentations que les élèves ont au démarrage des notions à s’approprier représente un risque pour qu’ils mettent peu de sens dans ce qu’ils doivent apprendre et qu’ils l’oublient rapidement.

Le chapitre quatre développe sept gestes fondamentaux professionnels (présentation des contenus, consignes, objectivation, rétroaction, étayage, gestion de classe préventive et gestion de classe corrective) ainsi que les principales étapes caractéristiques d’un enseignement explicite (déjà décrites précédemment).

Les deux derniers chapitres livrent des repères aux enseignants pour planifier une leçon selon cette approche et pour analyser ses pratiques d’enseignement explicite. Ces outils sont essentiellement utilisables pour anticiper un enseignement (quoi enseigner et comment et pourquoi l’enseigner ?) puis pour en dresser un bilan autour des gestes professionnels attendus.

Des critiques légitimes éludées

Malheureusement, cet ouvrage ne répond pas à plusieurs questions importantes relatives à cette conception.

D’abord celles relatives aux proximités avec les théories comportementalistes de l’apprentissage (centrées sur la modification de comportements par un environnement conditionnant). C’est un problème pour dépasser une représentation de ces façons de faire qui viseraient à les considérer comme du dressage d’élèves. Il est aussi expliqué que l’enseignement explicite aurait été démontré comme plus efficace que des « approches pédagogies socioconstructivistes » (p. 18), alors que le constructivisme n’est pas une pédagogie mais une théorie sur l’acte d’apprendre. Autrement dit, une supériorité de résultats est avancée alors qu’il ne peut exister de pédagogie constructiviste.

Ensuite autour des autres usages en éducation de la notion d’explicitation des attendus, en particulier ceux issus des travaux en sociologie montrant l’importance des malentendus avec des élèves non connivents avec la culture scolaire (en lien avec les travaux de chercheurs comme E. Bautier, R. Goigoux, S. Bonnery, J. Crinon…).

Enfin relativement aux critiques adressées par les spécialistes des méthodes scientifiques (les épistémologues) aux approches ventant la supériorité de leurs conceptions sur les autres (« les recherches sont classées du niveau de preuve le plus faible au niveau de preuve le plus élevé » – p. 38), à partir du seul usage de logiques expérimentales (comparant des groupes entre eux) ou des échelles taxonomiques comme le fruit des principales méta-analyses.

Avoir fait le choix de ne pas répondre à ces questions, ou celui d’avoir laissé peu de place à l’incertitude inhérente à tous les métiers de l’humain, nous semble malheureusement desservir le projet de cet ouvrage. Pourtant, ses auteurs se montrent au fil des pratiques bien plus ouverts que d’autres dans des écrits ou prises de parole publiques, qui dénigrent régulièrement toute autre forme de pensée, caricaturent les théories constructivistes au point de penser qu’ils ne les ont pas mieux saisies que les formateurs qu’ils accusent et invitent à considérer l’enseignement comme une exécution des procédures qu’ils imposent au nom de « la science ». Au contraire, Marie Bocquillon et ses co-auteurs écrivent à plusieurs reprises qu’il ne s’agit pas de faire la promotion de « recettes à suivre à la lettre ». Ils expliquent aussi très justement comment l’enseignement explicite n’est pas un enseignement magistral, ce qui est souvent une critique adressée à cette conception.

De notre côté, nous pensons qu’il y aurait de vrais enjeux à associer toutes les conceptions actuelles de la pédagogie pour les étudier sans méprise ni confusions. Nous avons par exemple pu constater que montrer des exemples ou des techniques à des élèves pouvait leur être d’une grande utilité pour apprendre. De même avec une fréquence élevée de situations rétroactives. Mais l’avancée des recherches en pédagogie ne permet pas encore suffisamment de pratiques effectives dans les classes pour tester une quelconque efficacité (si tenté que cela soit méthodologiquement possible). Nous en sommes plutôt à chercher à comprendre ce qui peut aider tous les élèves à s’approprier les savoirs scolaires. Ceci dans des contextes où les classes sont hétérogènes, où il convient d’être particulièrement prudents pour ne décourager personne et avec des enseignants dont le métier n’est pas d’appliquer des procédures pensées par d’autres, mais d’agencer ce qu’on leur a permis de comprendre à travers des formations longues pour bâtir de vraies ingénieries pédagogiques.

Sylvain Connac