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Élèves nouvellement arrivés en france et parents allophones : construire le lien entre l’école et la famille
L’Éducation Nationale française, avec ses valeurs et notamment celle de laïcité, s’inscrit dans une histoire que n’ont pas partagée les parents venus d’un autre pays. Le chemin est donc parfois plus long, plus difficile pour nouer un lien « confiant » entre notre école et ces parents nouvellement arrivés et le plus souvent allophones, ce qui rend souvent le dialogue difficile sur le plan strictement fonctionnel de la communication en langue française.
Notre propos sera ici de tenter dans un premier temps de montrer comment l’école française a dû et doit s’adapter à la transformation de la société et notamment la transformation du lien familial dans notre contexte d’Europe du Nord. Nous verrons ensuite que les parents que nous accueillons sur notre territoire ont une autre manière d’envisager la famille et que l’exil met à mal leurs repères et leur mode de parentalité antérieur. Les représentations des enseignants eux-mêmes sont à réinterroger face à ces parents étrangers qui questionnent notre appréhension du lien famille/école.
Nous apporterons ensuite le témoignage d’actions menées dans un Réseau de Réussite Scolaire (nouvelle appellation des ZEP) en faveur des familles étrangères : un dispositif d’information sur le système scolaire français avec des interprètes nommée « L’école de mon enfant » et des cours de Français Langue Seconde proposés aux parents allophones.
Changement social et transformation de la famille
Nous sommes en France, dans un contexte culturel d’Europe du Nord, fortement développé et de type « occidental ». Les transformations sociales y sont fortes depuis le siècle dernier et la famille en suit les évolutions. C’est dans ce contexte qu’arrivent les familles étrangères qui se confrontent alors à un mode d’être en famille souvent différent de celui de leur pays premier et qui se heurtent à des représentations de la parentalité qui bousculent leurs propres repères.
Famille traditionnelle, famille nucléaire
En Europe du Nord, la famille n’est plus construite sur le mode traditionnel d’une famille élargie où l’interdépendance des membres est grande et où l’espace familial assure la transmission des valeurs culturelles, sociales et familiales. Déjà, en 1921, Durkheim s’inquiétait de ce qu’il identifiait comme la déliquescence du type de famille traditionnel au profit d’une famille nucléaire qui n’assurerait plus le maintien et la reproduction des traditions : il craignait une certaine anomie de la société. Bien d’autres sociologues se sont penchés sur les transformations de la famille et certains, tel Kauffman, défendent l’idée que cette nouvelle famille nucléaire est adaptée à la société industrielle et postmoderne qui est la nôtre. Elle devient le refuge sécure face à un monde professionnel et social vécu comme agressif.
Dans ce contexte, la fragilité du couple conjugal se fait plus grande mais celui-ci se distingue aujourd’hui du couple parental qui, lui, perdure le plus souvent après la rupture du lien conjugal. De nouvelles familles apparaissent ou deviennent plus fréquentes qu’il s’agisse des familles monoparentales, recomposées ou de nouvelles familles homosexuelles.
Notre école en France s’inscrit dans cette évolution sociale et s’efforce de s’adapter — autant que faire se peut aux transformations des familles — dont on ne peut plus dire qu’il existe un seul et unique type, avec lequel les enseignants pourraient développer un seul et unique type de relations, un seul mode de collaboration.
Dans ce contexte, l’arrivée en France de familles étrangères, dont les structures sociales, les valeurs et normes culturelles sont elles aussi étrangères, distribue les cartes de manière encore différente dans la relation entre l’école et les parents des élèves.
Familles étrangères, familles élargies
L’exil provoque des ruptures identitaires, culturelles et sociales pour les exilés. Les liens familiaux sont eux aussi remis en question lors de la migration. Pour les familles venues de pays méditerranéens, la rupture est souvent rude. En effet, le mode de relations familiales dans les pays premiers est souvent de type « traditionnel ». Les liens sont nombreux et il existe une très forte interdépendance des personnes entre elles. Les structures familiales sont souvent différentes de nos modes de fonctionnement d’Europe du Nord.
La famille restreinte est le type de famille le plus courant en France et on observe une prédominance des visées d’épanouissement personnel des membres de la famille et une forme d’individualité parfois exacerbée. Dans les familles plus traditionnelles, comme on les trouve au Maghreb, en Afrique subsaharienne ou en Asie Mineure, la famille fonctionne sous un régime que je nommerais « d’intelligence collective » où chaque membre a un statut et une fonction déterminée, plus ou moins explicite, au service de la communauté familiale. On observe les mêmes phénomènes dans les familles Roms ou chez les voyageurs : chacun a un rôle qui lui est dévolu et qui est mis au service de tous. Ainsi, telle personne sera la référence familiale pour les démarches administratives, telle autre sera sollicitée pour les relations avec d’autres communautés et telle autre encore deviendra l’interlocuteur familial pour les questions relatives à la scolarité.
Les relations que l’école et les familles nouent entre elles s’inscrivent dans ce cadre où l’écart culturel est parfois important. Il n’est pas rare que les enseignants souhaitent n’avoir pour seuls interlocuteurs que les père ou mère de leur élève. Or, dans certaines familles, la personne investie pour cela peut être quelqu’un d’autre.
Par ailleurs, il est assez rare que la famille élargie puisse pénétrer sur le sol français et s’y installer. Les modes de fonctionnement familiaux sont alors à reconstruire quand on passe d’un coup d’une situation où l’on vit en communauté à une situation où la famille se réduit à sa plus simple expression. Le statut des femmes peut devenir particulièrement difficile. Dans certains pays ou certains lieux, les femmes n’ont que l’espace familial pour échanger, vivre, partager avec d’autres femmes et avec les enfants. À leur arrivée en France, les mères se retrouvent seules, elles sont parfois confinées dans leur appartement, ne sachant pas parler et n’osant pas sortir de l’isolement nouveau et brutal qui s’abat sur elles. Or, on sait que la place sociale de la mère joue un rôle important dans la dynamique de réussite des enfants.
Sur un autre plan, les styles éducatifs sont différents et l’éducation est différemment partagée entre la famille et l’école.
La parentalité au risque de l’exil
Lorsqu’il s’agit d’interroger le couple « école et parentalité », on entre de plein fouet dans la complexité des relations qui peuvent se nouer entre l’institution scolaire, les enfants, leurs parents et les partenaires sociaux… Lorsque les familles sont arrivées il y a peu sur le sol français, a fortiori lorsqu’elles sont allophones, la construction du lien de collaboration nécessaire à la dynamique de réussite de leur enfant ne va pas de soi.
Lorsqu’on parle de « parentalité », on renvoie à plusieurs modes d’existence et à plusieurs fonctions… Je me contenterais ici de m’intéresser à deux axes de la fonction parentale : une fonction de protection de l’enfant et une fonction d’ouverture au monde, d’accompagnement à l’autonomie… Dans la famille, comme à l’école, l’enfant est accueilli, entouré, protégé mais aussi poussé dans le monde, accompagné vers un ailleurs où il devra s’inscrire et construire sa propre vie de manière autonome… Dans la relation éducative, certains obstacles peuvent surgir notamment lorsque les parents sont en difficulté d’assumer ce double mouvement de protection et d’ouverture au monde.
Ainsi, il est parfois difficile d’assumer sa fonction parentale quand on ne maîtrise ni la langue ni les codes sociaux du pays où l’on vit.
Maîtrise difficile des codes sociaux
Lorsqu’une famille arrive de l’étranger, non francophone, on observe très souvent un décalage important entre la rapidité d’adaptation des enfants et celle des parents. Très rapidement l’enfant, parce qu’il est scolarisé dans une école au milieu d’enfants et d’adultes francophones, va comprendre et se faire comprendre… Simultanément, dans ses interactions avec les autres, l’enfant va s’imprégner des codes sociaux en vigueur dans cet environnement… Ses parents ne sont pas toujours dans la même dynamique et, souvent, l’enfant devient rapidement plus performant que ses parents dans la maîtrise de la langue mais aussi dans celle des codes sociaux… Il s’opère alors une certaine inversion des générations où c’est l’enfant qui assure la fonction d’ouverture au monde en remplissant les papiers, en faisant l’interprète, en prenant les rendez-vous etc. L’école doit alors se montrer particulièrement vigilante. Il peut être tout à fait acceptable qu’un enfant aide sa famille : il s’agit là de solidarité familiale. Il est par contre dommageable pour l’enfant qu’il soit installé en lieu et place du parent qu’il protège, assiste. La fonction symbolique parentale peut alors être mise à mal… C’est à l’école et aux partenaires sociaux d’être à même de percevoir ce fragile équilibre entre entraide familiale et inversion des places en installant des situations (interprètes, recours à d’autres modes d’aide) restaurant la place de chacun…
Une certaine dissonance culturelle
Le point que je vais aborder maintenant est particulièrement prégnant lorsqu’on a affaire à des familles étrangères mais aussi pour les voyageurs, voire pour des familles pour lesquelles « la connivence culturelle » avec l’école ne va pas de soi. C’est un regard un peu critique que je vais maintenant porter sur les représentations des enseignants.
Dans le milieu enseignant, il semble que — comme tout le monde est allé à l’école — les attentes que les enseignants ont par rapport aux parents vont de soi et sont comprises par tous. Lorsque les parents ne répondent pas à leurs attentes, on pense le plus souvent qu’il s’agit là de mauvaise volonté ou d’indifférence… Il est bien rare que l’on s’interroge sur un possible malentendu entre ce que l’on imagine aller de soi et ce que les parents perçoivent réellement de nos attentes.
C’est d’autant plus marquant lorsque l’on s’adresse à des familles dont la culture est différente de la nôtre. Je vais en donner un exemple : le cahier… Lorsque l’enseignant envoie le cahier de l’enfant au domicile, c’est la plupart du temps pour que les parents le consultent et témoignent de leur intérêt en signant le dit cahier. Pour beaucoup, rompus aux attentes de l’école, cela va de soi et ne nécessite aucune explication… Or, pour des parents étrangers, tout ce qui vient de l’école est presque de l’ordre su sacré : on ne souille pas l’objet par une écriture… Est-ce que nous-même gribouillerions un livre emprunté à la médiathèque ?…..
À l’inverse, dans les familles de voyageurs, il n’y a pas de « permanence de l’objet » : si le cahier retourne à la caravane, il y a fort à parier que la petite sœur aura dessiné dessus ou que le grand frère aura déchiré les pages pour faire un avion !….
En effet, ce qui semble aller de soi pour la plupart des parents ne va pas forcément de soi pour tous et les enseignants doivent expliciter, rendre intelligibles leurs attentes pour éviter des malentendus.
Mon souhait est ici de montrer que si l’on veut mener en bonne intelligence cette dynamique de co-éducation parents/enseignants, il faut donner les moyens aux parents de comprendre ce que l’on attend d’eux. Ce qui ne va pas toujours de soi.
Représentations à déconstruire
Nous devons aussi être conscients du fait que nos propres représentations sur la parentalité vont devoir souvent être réinterrogées. Nous n’avons pas à juger le mode éducatif familial, sauf, bien entendu, dans le cas où l’on soupçonne une négligence ou une maltraitance de l’enfant. Nous avons à faire « avec », et tenter, par le dialogue et la fiabilité, de créer un espace de confiance entre l’école et les familles. Cela n’est pas toujours simple.
Certains parents ont un sérieux contentieux avec l’école : ils ont pu — eux-mêmes ou certains aînés de leurs enfants — faire de douloureuses expériences qui les rendent méfiants et sur la défensive. Certaines familles en grande précarité peuvent aussi être en quelque sorte désillusionnées quant au pouvoir d’insertion sociale et économique de l’école : le chômage, les difficultés financières grèvent le potentiel de confiance que les parents accordent à l’école.
Il y a de nombreuses façons d’être parents, autant que de familles, et nous avons une fâcheuse tendance à considérer que le meilleur moyen d’être un « bon parent » c’est d’adhérer à notre propre modèle éducatif. Ainsi, en tant qu’enseignant, nous considérons souvent comme un « bon parent », celui qui vient nous voir régulièrement, qui participe à la vie de l’école, qui est présent physiquement auprès de nous.
Or, dans de nombreuses autres cultures, ainsi que dans certaines classes sociales, être un bon parent d’élève, c’est avant tout faire confiance à l’enseignant, le laisser faire son travail sans interférence, lui « confier » en quelque sorte son enfant. Dans certains cas, l’enfant d’une famille maghrébine par exemple, est confié à l’école par ses parents : quand il est à l’école, il est sous la responsabilité et l’autorité des enseignants qui ne sera pas contestée par les parents. Mais la famille ne comprendrait pas d’emblée que l’on fasse appel à elle en cas de problème dans la classe ou dans l’école : il s’agit du champ d’action des enseignants ou du directeur. Il est donc important d’expliciter, de faire savoir ce qu’on attend, ce qu’on souhaite voir se développer comme type de relation (co-éducative ou non) avec les parents…
À l’inverse, les parents de culture différente ont parfois construit des représentations erronées de notre école. Dans certains pays, la société française est considérée comme ayant des mœurs très libres et assez laxistes sur le plan éducatif… Ainsi, un père pensait que les toilettes des écoles françaises étaient ouvertes à tous les vents, mixtes et que l’intimité n’y était pas du tout préservée. Il avait alors interdit à ses enfants d’aller aux toilettes durant la journée… Une simple visite des locaux aurait permis d’effacer cette représentation fantasmée et de rassurer parents et enfants…
D’autres situations sont plus complexes et — si on ne parvient pas à les dénouer — risquent d’hypothéquer la réussite des enfants. Ce sont les situations où l’enfant est mis plus ou moins en devoir de choisir entre l’investissement de l’école et de la personne de son enseignant et sa famille.
Conflits de loyauté et autorisation à réussir
J’aborde ici la question des conflits de loyauté dans lesquels l’enfant peut être pris entre la culture, l’origine de ses parents et la culture française dans laquelle il se construit.
Déloyauté culturelle
Les parents d’origine étrangère, lorsqu’ils ne se sentent pas en sécurité culturelle – ressentent leur culture, leur langue, leur religion comme menacée par cette culture nouvelle que leurs enfants s’approprient peu ou prou. Il peut arriver alors que l’élève soit alors tiraillé entre l’envie de nouer des relations sociales, affectives, amicales avec son nouvel environnement et ce qu’il perçoit de la crainte de ses parents qui redoutent qu’il ne s’éloigne d’eux et de leur culture… Lorsque de plus, à l’école, il va devoir s’approprier la langue, les fondements culturels, les points de vue historiques… il peut lui arriver de se sentir déloyal par rapport à ses parents, la dette qu’ils portent à leur origine qu’ils ont quittée, dont ils se sont eux-mêmes éloignés – du moins géographiquement…
La question de la laïcité de notre école est une difficulté supplémentaire pour certains qui ont du mal à concevoir cette éducation sans Dieu. Les savoirs eux-mêmes sont sujets à caution lorsque l’on s’est construit familialement dans une imbrication où les avoirs sont noués à une explication religieuse des phénomènes. J’en veux pour preuve des élèves américains, évangélistes baptistes qui ne comprenaient pas pourquoi on leur demandait de retirer leurs badges « I Love Jésus » et dont les parents avaient refusé dans un premier temps qu’ils assistent aux cours sur la théorie de l’évolution.
Dans cette perspective, progresser, apprendre, réussir à l’école dans cette langue et cette culture peut ressembler à une trahison… On observe souvent chez les parents un repli identitaire et chez les enfants une impasse cognitive, une inhibition – ou à l’inverse une agressivité marquée. Il est à noter que ce repli identitaire amène parfois à des situations paradoxales où les traditions maintenues en France sont bien plus drastiques que celles du pays d’origine où l’évolution continue- surtout de nos jours dans l’optique de la mondialisation.
Conflits école/famille
Pour de nombreux parents, on l’a dit, le moyen (efficace le plus souvent) d’être un bon parent d’élève, c’est d’insister auprès de son enfant pour qu’il travaille bien à l’école et qu’il soit respectueux envers les personnes. Les familles autorisent ainsi leur enfant à investir les enseignants.
Mais, pour certains cet investissement de l’école par l’enfant est invalidé par les parents. C’est le cas pour certaines histoires familiales douloureuses dans ses relations avec l’école ou pratiquement toujours en cas de conflit ouvert ou larvé entre l’école et la famille. Dans ces cas, l’enfant est pris dans un conflit de loyauté entre ses parents (ou l’un de ses parents) et son enseignant. C’est à nous, enseignants, d’être à même de décoder ces situations et de rouvrir le passage au dialogue pour libérer l’enfant de tensions dont il n’est pas responsable mais dont il est l’otage.
De ce frein parental à l’investissement de l’école ou, pire, du savoir, se pose la question de l’autorisation que l’on donne ou que se donne l’enfant à réussir. C’est alors à la qualité de la relation que l’enseignant va pouvoir nouer avec l’enfant d’abord, les parents ensuite que l’on peut espérer construire ou restaurer la confiance des familles dans l’école. Nous devons bien être convaincus que — dans la majorité des cas — les parents souhaitent le meilleur pour leurs enfants. C’est aussi ce que nous voulons pour nos élèves. À partir de cela, nous devrions le plus souvent pouvoir trouver un terrain d’entente. Mais le chemin n’est pas toujours facile et les situations complexes n’appellent pas de réponse simple.
Pour tenter de nouer le dialogue avec les familles étrangères et allophones, des actions concrètes ont été mises en œuvre sur le terrain dans le cadre des réseaux de réussite éducative et de réussite scolaire.
Des actions concrètes à destination des familles allophones
Dans une contribution à un ouvrage sur l’accompagnement à la scolarité, j’ai eu l’occasion de présenter deux actions conduites dans le même contexte à destination des enfants nouvellement arrivés en France : un accompagnement à la scolarité spécifique en Français Langue Seconde et des « Ateliers d’expression orale et de culture commune ». Ces actions sont complétées dans une perspective plus large où l’élève est pris dans une dimension familiale et culturelle plus globale. En aidant les familles à mieux comprendre l’école de leur enfant, en permettant aux parents qui le souhaitent de maîtriser davantage la langue française pour communiquer avec les enseignants, on vise l’objectif d’un meilleur investissement du lien entre l’école et la famille, au bénéfice de l’élève.
Une action d’information et d’échanges : « L’école de mon enfant »
Cette première action a pour objectif de permettre aux parents de mieux comprendre l’école, son environnement physique et matériel mais aussi ses valeurs et ses missions. « L’école de mon enfant » se déroule sur une matinée un samedi matin de début d’année. L’ensemble des directeurs et directrices des écoles élémentaires et maternelles de la ZEP y participe ainsi que le coordonnateur, la responsable municipale pour la Réussite Educative et moi-même. Des interprètes sont sollicités pour les langues les plus représentées : le turc, l’arabe, le russe, le tchétchène, le portugais, l’anglais et le français.
La matinée se déroule en deux temps :
– une présentation plénière des valeurs et des missions de l’école française par l’Inspecteur de la Circonscription. L’inscription historique de la laïcité dans les valeurs imprescriptibles de notre école y est rappelée. Les propos sont traduits aux parents par les interprètes
– une répartition des participants par ateliers (il existe autant d’ateliers que de groupes linguistiques), organisée en co-animation par deux enseignants avec trois parties :
- une partie informative sur le fonctionnement général
- une partie conséquente d’échanges, de questions et de réponses
- une dernière partie où les directeurs des écoles accompagnent les parents dans la réponse à des demandes institutionnelles avec l’aide des interprètes
Il est à noter que l’exposé sur le fonctionnement général présente le système scolaire dans son entier : de la maternelle au doctorat. Les parents peuvent alors envisager les parcours possibles qui s’ouvrent à leurs enfants. On y précise comment se déroulent les parcours scolaires et notamment que chaque année, l’enfant aura une nouvelle classe, de nouveaux camarades, un nouveau maître… En effet, dans de nombreux pays d’Europe de l’Est, le fonctionnement est différent : on entre à l’école avec un groupe d’enfants et un enseignant qui restera identique jusqu’à la fin de l’école élémentaire. En Afrique, on reste parfois au CP tant qu’on ne sait pas lire… Les dispositifs d’aide sont présentés et expliqués.
On y présente aussi les différentes actions spécifiques à destination des Elèves Nouveaux arrivants et des familles allophones. Les animateurs des actions, comme l’animatrice des cours de Français langue seconde pour les parents, y expliquent le fonctionnement des actions et profitent de la présence des interprètes pour nouer les contacts nécessaires et régler les questions matérielles.
La partie consacrée aux échanges est fonction des questions, remarques, demandes des participants. Là encore, les interprètes ont un rôle essentiel. On y aborde toutes sortes de points qui préoccupent les parents, qu’ils ne comprennent pas ou qu’ils trouvent insolites… Certaines comparaisons avec les différents pays d’origine sont particulièrement intéressantes car elles permettent à tous, familles et enseignants, de mettre les choses en perspective de manière plus large. La co-animation est importante car elle évite que l’animateur soit seul face à certaines questions ou situations difficiles.
La dernière partie est surtout consacrée au dépouillement des documents requis par l’école. Les interprètes traduisent ces documents qui sont remplis avec l’aide des enseignants. Cela permet aussi de voir ensemble quels seront les meilleurs moyens de communiquer à l’avenir : de visu, par téléphone ou par écrit ? Avec des plaquettes bilingues ou non ?
Cette matinée d’échanges rencontre un succès de plus en plus important puisque le nombre de participants augmente chaque année, le bouche à oreille fonctionnant particulièrement bien dans ce quartier.
Des cours de français langue seconde pour les parents des élèves
Cette action a été mûrement réfléchie et discutée par ceux qui en ont été à l’initiative. En effet, il existe dans cette ZEP des associations et des structures qui proposent des cours d’alphabétisation pour els adultes du quartier. Pourtant, les parents des élèves, et notamment les mères dont on a dit que beaucoup restent relativement confinées à la maison, ne sont pas toujours très à l’aise en français bien que, pour certains, ils soient en France depuis plusieurs années.
De plus, le constat que nous avons fait repose principalement sur la question de la langue orale plutôt que sur celle de l’écrit : il est important de pouvoir dialoguer « en direct » avec les parents. Nous ne souhaitions pas non plus nous inscrire dans une dimension sociale très large où les parents pourraient apprendre à remplir leurs papiers de sécurité sociale ou aller faire leurs démarches administratives. Ce qui nous importait, c’était d’amener les familles à pouvoir parler en confiance avec les enseignants de leurs enfants, montrant par ce contact une forme d’investissement de la langue française et l’importance que les parents accordent à ce dialogue entre eux-mêmes et le maître ou la maîtresse.
D’autres intérêts plus « économiques » de coopération étaient eux aussi visés, en ce sens que de nombreuses mères seraient à même d’accompagner les sorties des classes de leurs enfants mais qu’elles y répugnent le plus souvent à cause de leur mauvaise maîtrise du français qui pourrait les mettre en difficulté.
Les conditions d’inscription ont donc été assez strictes : ne peuvent participer à ces cours que les parents des élèves des écoles et collèges du quartier. Une plaquette d’information plurilingue est distribuée à l’ensemble des familles. Ceux qui souhaitent y participer se font connaître. On identifie alors où leur enfant est scolarisé et dans quelle classe et une EPDS (Equipe Pluridisciplinaire) qui se siège chaque mois valide ou non la demande.
Les cours sont organisés deux fois par semaine, à raison d’une heure trente l’après-midi, pendant le temps de classe ce qui libère les parents des enfants. Pour les plus jeunes, les mères peuvent les déposer à la halte garderie du quartier qui les accueille.
Les cours sont animés par une personne qui a été recrutée par la municipalité à partir d’un profil établi par les concepteurs du projet : il s’agit d’une personne ayant une grande expérience de l’enseignement du Français Langue Seconde et dont le parcours professionnel témoigne de qualités d’écoute et de compétences pédagogiques avérées.
L’effectif des cours ne doit pas excéder une douzaine de personnes, afin que chacun puisse s’exprimer facilement. Les personnes sont d’origines géographiques et linguistiques diverses ce qui renforce la dynamique d’échanges en français qui et la langue commune partagée par l’ensemble des participants.
Difficile… donc à faire !
En rapportant ces deux actions à destination des familles allophones, j’ai voulu montrer comment on peut concrètement, sur le terrain, mettre en œuvre des actions facilitant la communication entre l’école et les familles, permettant de construire un lien de confiance et de coopération, même dans des situations qui paraissent difficiles. J’aurais tendance à dire, que c’est même lorsque c’est difficile qu’il est encore plus important d’arriver à construire ce lien. Il est bien entendu qu’il n’est pas question ici d’ériger un tel témoignage en modèle ou en recette. Nous n’ignorons pas que de telles actions, si intéressantes soient-elles, ne pourront pas à elles seules dénouer des situations d’une grande complexité.
On a pu voir combien le lien entre l’école et la famille, entre l’enfant et l’enseignant, mais aussi entre l’enfant et le savoir s’inscrit dans un contexte culturel et social, tout autant que dans des histoires familiales et personnelles. Certaines grèvent la capacité d’investissement d’un lien confiant et collaboratif entre les enseignants et les parents de leurs élèves et hypothèquent parfois jusqu’à la dynamique de réussite des enfants. La complexité va croissant lorsque les parents sont étrangers et allophones, n’ont pas de familiarité avec notre école française. Pourtant, pour autant, c’est à nous éducateurs et enseignants d’être vigilants et de tenter d’élucider ce qui pourrait se jouer qui mettrait en péril la construction du lien école/famille. C’est donc à nous de permettre que soit menée à bien notre mission d’éducation, dans le respect des rôles et des places de chacune des personnes qui oeuvrent auprès de l’enfant.
Cécile Goï, Laboratoire Processus d’accompagnement et de formation », Université de Pau et des Pays de l’Adour, enseignante auprès des Elèves Nouveaux Arrivants et formatrice à l’IUFM d’Orléans-Tours.