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Éducation : rallumons les Lumières !

Qui ne connait pas Philippe Meirieu ? Enseignant, chercheur, responsable de formation des enseignants, engagé politiquement pour la formation des adultes et l’écologie, il est aussi la cible préférée de l’ensemble de coupeurs de têtes de « pédagogistes » qui se disent « républicains ». Il a souvent croisé le fer de ses arguments avec leurs affirmations péremptoires. Ce qui était moins connu, du moins de moi, c’est que l’exercice a débuté dès sa prime enfance : « J’avais avec [mes parents] des discussions épiques qui se déroulaient selon un rituel immuable » (p. 8).
Ce premier chapitre, le seul dont le titre se termine par un point d’interrogation (« Illusions de jeunesse ? ») alors que les autres se concluent par une exclamation, m’a fait penser aux souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol. Les parents de Philippe ne partagent en rien l’espérance républicaine en l’instruction vécue par le père de Marcel. Éducation : rallumons les Lumières ! repose, grâce à cette ouverture personnelle, sur une séparation nette entre deux conceptions de la société, l’une volontariste et fondée sur l’éducation et l’autre sur la soumission. Sous couvert d’une nature humaine à discipliner, elle poursuit une entreprise de domination dans l’intention de « rétablir l’ordre » et l’autorité.
C’est en 2017 que l’attaque contre l’école s’accélère sous le règne de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale le plus longtemps en charge de la Ve république. Cette longévité lui permet de faire des réformes dont la fin de son mandat voit l’échec patent comme l’abandon des mathématiques aux seuls élèves qui choisissent cette option au lycée. La dissolution de l’Assemblée nationale de 2024 a rebattu les cartes et occasionné la nomination d’une cinquième ministre en deux ans. Elle entend « garder le cap ».
Quel cap ? L’école française est la plus ségrégative, la plus reproductrice des inégalités et PISA en témoigne. Il y a donc urgence à penser une riposte, pour reprendre le nom choisi par un mouvement qui réunit associations, syndicats, parents d’élèves, enseignants, chercheurs et personnes attachées au projet républicain d’une école au service de la liberté, de l’égalité et de l’égalité citée par l’auteur (p. 25), et à rappeler les travaux du Conseil national de la Résistance.
C’est sur les Lumières que Philippe Meirieu braque alors son projecteur. Il se réfère à Emmanuel Kant qui enjoint à l’homme de « se servir de son propre entendement » (p. 44 et 45). L’essentiel devient la « conviction d’éducabilité » qui découle des travaux de Jean Itard publiés en 1800. Alors, le laisser faire, est-ce la faute à Rousseau ? Certainement pas puisqu’il considère que « l’enfant ne doit faire que ce qu’il veut, mais il ne doit vouloir que ce que vous voulez qu’il fasse » (p. 62). Quelle belle définition des « situations problèmes » imaginées et calibrées par les enseignants mais dans lesquelles les élèves s’impliquent ? La droite et l’extrême droite, en prétendant servir les vraies valeurs de la France, ne font que s’en remettre au seul « dressage » (p. 68).
Le chapitre 5, qui reprend les mots des voeux présidentiels de 2014, « « Libérer, protéger, unir » : chiche ! », est consacré au double langage du Président Emmanuel Macron qui a tenté une OPA sur l’éducation en cherchant à l’annexer dans le domaine régalien. Or les pratiques avérées font plutôt de l’École « un lieu de contrôle et de signalement, quand il faudrait qu’elle soit l’institution hospitalière par excellence » (p. 73). La suppression massive des postes de surveillants et la crise d’attractivité des métiers de l’enseignement viennent démentir toute attention qui serait portée à une école « en crise ». À l’opposé de la promotion du recours massif à la soumission et à la crainte, Philippe Meirieu développe l’incitation aux travaux de groupe, à la création et au respect de la règle, à la discipline qui montre une adhésion des élèves au projet d’apprendre car « c’est la faute qui exclut et la sanction qui intègre » (p. 84). Enfin, le Président raccourcit les citations en omettant dans sa référence à Ferdinand Buisson l’essentiel : « donner l’idée [à l’élève] qu’il peut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne » (p. 88).
Il en va de même pour les trois valeurs républicaines de la liberté, de l’égalité et de la fraternité a priori si difficiles à mettre en œuvre à l’école mais dont les pages 94 à 96 illustrent une ouverture vers des pratiques concrètes. Ainsi, sur le choix des manuels laissé aux enseignants par Jules Ferry, s’est développé un système qui le leur reprend, plagiant une des décisions du gouvernement de Vichy (p. 110).
Heureusement, « Il y a une alternative ! » (p. 111) : le plan Langevin-Wallon conçu pour ça à la Libération. Le souffle du Conseil national de la Résistance a été trop court pour une mise en œuvre progressive et complète. En s’éloignant des slogans tels que l’égalité des chances remontant, semble-t-il, à Pétain1, il faut rappeler l’ambition de réunir tous les élèves dans les mêmes établissements (égalité réelle) et renoncer à la seule méritocratie dont les « vaincus » sont plus nombreux que les élus (Dubet cité p. 115). Il y a aussi à travailler le global et non la seule École qui ne peut pas tout à elle toute seule. Bref, agir pour aller dans le sens de l’égalité tout en respectant la diversité, respecter « le droit à la ressemblance » et « le droit à la différence » (p. 125).
Le lecteur pourra être désarçonné par le huitième chapitre qui entend retourner aux fondamentaux en revenant d’Hanouna à Condorcet, du populisme au projet fondateur de « connaître ses droits, les défendre et les exercer […] ainsi que juger ses actions et celle des autres selon ses propres lumières » (p. 140). Une voie réside alors dans l’éducation populaire qui permet de pratiquer et comprendre la coopération tout au long de la scolarité afin d’Apprendre et vivre la démocratie à l’école (livre coordonné par Michèle Amiel et Richard Etienne portant sur une recherche INRP-CRAP-Cahiers pédagogiques en 2003, publié au CRDP d’Amiens).
Utopiste, Philippe Meirieu ? Il ne rejette pas le qualificatif alors qu’il récuse celui de naïf car, pour lui, l’éducateur s’engage dans une voie où il entend renoncer à la soumission en lui préférant l’émancipation. Cette posture est marquée au sceau de l’exigence envers l’apprenant car elle « lui propose des pistes d’amélioration pour lui permettre de remettre son travail en chantier et de progresser » (p. 169). D’où l’appel final à une union des forces politiques, syndicales et associatives pour un projet d’éducation et de société qui respecte l’idéal des Lumières.
Ce livre est une exhortation à nous réunir pour servir cet idéal aujourd’hui gravement menacé par l’extrême droite qui prend en otage la droite, voire le centre, et profite d’erreurs de la gauche qui sont aussi stigmatisées. Tout cela pousse à un rétablissement d’une autorité jamais définie mais toujours brandie comme la solution à tous les maux de l’école. L’idéal des droits (de l’être humain, des citoyennes et citoyens, des enfants, etc.) est aujourd’hui perverti par la litanie des devoirs assénée par de prétendus chefs ou aspirant à le devenir. Merci à Philippe Meirieu de nous présenter de façon aussi argumentée l’urgence d’une riposte qui s’impose.
Notes