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D’où provient le bienêtre des élèves et des enseignants ?

Couverture du n° 575 des Cahiers pédagogiques

Quels sont les inducteurs des émotions (positives et négatives) des élèves et des enseignants ? Le bienêtre des premiers serait-il lié aux seconds et inversement ? Présentation de deux études consacrées aux facteurs susceptibles d’agir sur le bienêtre en contexte scolaire.

En 2015, un des rapports de l’évaluation PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) était consacré au bienêtre des élèves dans quatre domaines de leur vie (les résultats scolaires, les relations avec les enseignants et les pairs, la vie de famille et les activités en dehors de l’école). Il révèle, et nous pouvons nous en réjouir, que la grande majorité des jeunes témoigne de bienêtre à l’école. Toutefois, plus d’un élève sur deux dans les pays de l’OCDE rapporte une anxiété liée au travail scolaire. La satisfaction à l’égard de la vie est également plus fréquente chez les garçons et les élèves issus de milieux favorisés. Outre la qualité de la relation aux parents, le bienêtre des élèves serait particulièrement lié à la perception du soutien de l’enseignant et de leurs pratiques pédagogiques.

Mais encore faut-il que les enseignants se trouvent en mesure d’apporter un tel soutien, ce qui pose la question de leur propre bienêtre. Une enquête intitulée Qualité de vie des enseignants avait justement comme objectif de mesurer leurs perceptions à ce sujet1. Si 82 % des enseignants interrogés se sont dits satisfaits ou très satisfaits de leur expérience professionnelle, 8 % ont jugé leur qualité de vie mauvaise ou très mauvaise. En 2018, Le Monde titrait « Enseignant, un métier qui reste peu attractif ». Ces évolutions rendent particulièrement cruciale la nécessité de comprendre les facteurs susceptibles d’agir sur le bienêtre des élèves et des enseignants.

D’où provient le bienêtre des élèves ?

En 2014, nous avons réalisé une étude destinée à identifier les inducteurs des émotions positives et négatives des élèves dans le cadre spécifique de l’EPS (Éducation physique et sportive)2. Le but était de comparer l’importance de ces inducteurs à l’aide d’une approche partant du point de vue des élèves. En d’autres termes, nous avons identifié les inducteurs qui déclenchent des émotions positives et négatives ressenties en EPS, puis nous avons cherché à hiérarchiser ces inducteurs émotionnels sur la base de leur fréquence d’apparition dans les propos des élèves. Concrètement, nous avons proposé à près de 400 élèves de la 5e à la 1re de nous confier par écrit le moment le plus marquant qu’ils ont vécu en EPS depuis le début de l’année scolaire. Les élèves étaient incités à décrire ce moment avec le plus de détails possibles. Suite à ce recueil de données, nous avons catégorisé les moments décrits en fonction de la (ou les) sources des émotions rapportées. Cette analyse nous a permis de dégager huit inducteurs émotionnels et de les hiérarchiser en fonction de leur fréquence dans les moments racontés (Tableau 1).

Les inducteurs des émotions ressenties par les élèves durant le moment le plus marquant vécu en EPS.
Émotions positives
N=225 ; 61,8%
Émotions négatives
N=139 ; 38,2%
Perception de l’enseignantN=91 ; 40,4%N=55 ; 39,6%
Réussites et échecs personnels liés à la pratique des APSAN=59 ; 26,2%N=13 ; 8,3%
Perception du rapport aux pairsN=52 ; 23,1%N=14 ; 10,1%
Émotions et sensations liées à la pratique des APSAN=19 ; 8,4%N=45 ; 32,4%
Désaccord avec les prescriptions d’évaluation nationalesN=9 ; 6,5%
Absence de participation à la pratique des APSAN=3 ; 1,3%N=1 ; 0,7%
Contexte matériel de pratiqueN=2 ; 1,4%
Participation alternative en cours d’EPSN=1 ; 0,4%

Nous constatons l’influence majeure de l’enseignant sur les émotions positives et négatives ressenties par les élèves. Plus précisément, parmi les 225 moments positivement marquants racontés par les élèves, près de la moitié font référence à des comportements interpersonnels de l’enseignant à leur égard. Une élève de 5e raconte par exemple : « Étant asthmatique et donc peu endurante, très peu de professeurs m’encourageaient. Ils n’étaient pas satisfaits. En revanche, cette année pour la première fois ma prof m’a encouragée, elle est positive, nous incite à donner le meilleur de soi-même, j’ai retrouvé ma confiance en moi grâce à elle. »

De manière similaire, lorsque les élèves ont été marqués négativement par leur enseignant, c’est en premier lieu en raison de comportements interpersonnels de l’enseignant perçus comme désobligeants. Ainsi, non seulement les élèves affirment que l’enseignant a un poids important dans leurs émotions ressenties, mais ils insistent sur les dimensions relationnelles davantage que sur ses choix didactiques (activité proposée, mode de groupement, etc.). Sept autres inducteurs ont été mis au jour, montrant que le bienêtre des élèves à l’école ne se résume évidemment pas à la relation avec l’enseignant. Il n’en reste pas moins que ces résultats corroborent les constats réalisés concernant les déterminants du bienêtre à l’école, notamment l’importance du soutien de l’enseignant (Rapport PISA, 2015).

D’où provient le bienêtre des enseignants ?

Partant de la conviction que le bienêtre à l’école est le fruit d’une alchimie entre les émotions des élèves et celles des enseignants, nous avons par la suite réalisé une autre étude visant à analyser les inducteurs des émotions positives et négatives des enseignants. Pour se faire, nous avons opté pour une focale plus large, en questionnant des enseignants exerçant dans toutes les disciplines du secondaire et dans toutes les académies3. 120 enseignants nous ont ainsi raconté le moment le plus marquant qu’ils ont vécu au cours de leur carrière. De la même manière que pour les élèves, nous avons identifié et catégorisé ces moments pour en dégager les inducteurs de leurs émotions (Tableau 2).

Les inducteurs des émotions ressenties par les enseignants durant le moment le plus marquant de leur carrière.
Émotions négatives – N=72 ; 57,6%Émotions positives – N=53 ; 42,4%
1. Comportement non approprié produit par un élève (N=56 ; 77,8%)
2. Accident d’élève survenu dans le cadre d’une leçon d’EPS (N=7 ; 9,7%)
3. Évènement grave survenu dans la vie d’un élève (N=6 ; 8,3%)
4. Méfaits commis par des personnes extérieures à l’établissement (N=3 ; 4,2%)
5. Manifestation de reconnaissance de la part d’un élève (N=18 ; 34%)
6. Ambiance d’enseignement-apprentissage positive (N=15 ; 28,3%)
7. Réussite surprenante connue par un élève (N=14 ; 26,4%)
8. Autres (N= 6 ; 11,3%)

Nous constatons que les inducteurs des émotions ne sont pas nécessairement identiques en fonction de la valence de l’évènement raconté (positive ou négative). Ainsi, une majorité d’enseignants a choisi de raconter un moment négatif, au cours duquel leurs émotions sont très majoritairement survenues suite à la perception d’un comportement inapproprié d’élèves. À l’inverse, les émotions positives rapportées par les enseignants étaient notamment liées aux manifestations de reconnaissance des élèves à leur égard. La perception d’une ambiance d’enseignement-apprentissage positive fait également partie des inducteurs émotionnels positifs racontés. Une enseignante de français a par exemple exprimé avoir été particulièrement marquée par la lecture du Petit Prince à des élèves de 6e en contexte difficile : « C’était le dernier jour de cours de l’année scolaire. J’ai proposé aux élèves de faire des jeux, mais ils n’en avaient pas envie. L’un deux, je me souviens encore qu’il s’appelait Jean-Philippe, m’a alors dit “Vous ne nous avez jamais lu la fin du Petit Prince. J’ai pris le roman et ai commencé à lire. Et petit à petit, toutes les voix se sont tues et ils ont écouté. On se serait cru dans une église. Les petites têtes blondes, brunes, noires, buvaient mes paroles. J’ai vu quelques larmes couler sur des visages de petits garçons qui jouaient volontiers aux caïds. Je dois avouer que j’ai moi-même eu du mal à contenir mon émotion, due non seulement à la beauté du texte, mais à la qualité de l’attention que me portaient mes élèves. J’ai eu l’impression que la classe et moi ne faisions qu’un et que nous étions tous transportés dans un autre monde. Je n’ai jamais retrouvé la magie de cet instant passé. »

Selon un rapport du Cnesco (Centre national d’étude des systèmes scolaires) de 2016 sur la qualité de vie à l’école, « les jeunes manifestent une bonne connaissance des comportements favorisant le bienêtre et la santé, et pourtant, ne s’y conforment guère4 ». En somme, le bienêtre ne passerait pas réellement par des connaissances sur ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire. Le bienêtre semble le fruit d’un rapport émotionnel au monde. Comprendre comment susciter l’émotion des élèves, leur joie de se confronter aux apprentissages5 mais aussi la passion des enseignants pour leur métier, pour la transmission de cette joie aux élèves, devraient constituer la préoccupation majeure de ceux qui œuvrent en faveur du bienêtre à l’école.

Oriane Petiot
Enseignante d’EPS et docteure en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) de l’université Rennes 2

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Le bienêtre à l’école

Coordonné par Andreea Capitanescu Benetti et Maëliss Rousseau
La recherche en éducation met de plus en plus l’accent sur l’importance du bienêtre à l’école, et les conditions à mettre en œuvre pour que les élèves persévèrent et réussissent scolairement, voire développent leur personnalité. Cela demande de faire émerger une relation apaisée entre les élèves, les enseignants, et les savoirs.


Notes
  1. Nathalie Billaudeau et Marie-Noëlle Vercambre-Jacquot, « Satisfaction professionnelle des enseignants du secondaire : quelles différences entre public et privé ? » Education et formations n° 88-89, 2015.
  2. Oriane Petiot, Jean-François Desbiens et Jérôme Visioli, « Perceptions d’élèves du secondaire concernant leurs inducteurs émotionnels en EPS », eJRIEPS (ejournal en ligne de la recherche sur l’intervention en EPS) n° 32, 2014.
  3. Oriane Petiot, Jean-Jérôme Visioli, Jean-François Desbiens, « Perceptions d’enseignants du secondaire concernant leurs inducteurs émotionnels en situation de classe », Revue française de pédagogie n°4, 2015.
  4. Stéphanie Pinel-Jacquemin, Le bien-être à l’école des enfants en situation de précarité : https://www.cnesco.fr/fr/qualite-de-vie-a-lecole.
  5. Georges Snyders, La joie à l’école, PUF, 1986.