Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
Devenir écolier ou écolière. Le sens d’une transition
A l’aune des volontés politiques éducatives insistant sur une scolarisation de plus en plus précoce dans le but de réduire les inégalités scolaires, les auteurs s’intéressent au « devenir écolière ou écolier » en partant de l’expérience des très jeunes élèves de 1P-2P (4 à 5 ans) dans une classe enfantine suisse (dans le canton de Vaud). A partir d’une recherche du type ethnographique construite notamment à partir d’observations de classe et de la prise en compte de la voix des élèves,les auteurs s’intéressent à l’entrée dans la scolarité afin de mieux saisir de quelle manière ces jeunes enfants vivent cette transition
En s’appuyant sur de nombreuses recherches francophones et anglophones, ils présentent les spécificités de l’école première et ses problématiques les plus prégnantes, à savoir : la transition de l’enfant à l’élève et ce qu’elle suppose en transformation identitaire, en crise ou rupture pour un sujet, situé, singulier, confrontant la culture familiale à la culture scolaire, la tension entre les besoins de développement de l’enfant à cet âge et les besoins de socialisation scolaire en vue des apprentissages formels.
La recherche met en évidence des risques concernant cette scolarisation précoce, en fonction des orientations prises : centration sur les objectifs du développement de l’enfant à cet âge et/ou les apprentissages scolaires. Les enfants dès leur plus jeune âge vivent des socialisations multiples, par lesquelles ils intériorisent des manières de faire, de penser, d’être, propres à ces espaces et reconstruisant ainsi leurs identités. Les socialisations familiales et extra-scolaires peuvent interagir avec la socialisation scolaire, soit par connivence ou osmose, ou au contraire par opposition. Cela peut ainsi nourrir une version déficitaire des différences selon laquelle les inégalités sociales deviennent de fait des inégalités scolaires. Certains travaux montrent que la préparation à l’école (school readiness) pour « un élève prêt à l’emploi », « bien socialisé », voire scolaire avant même ses débuts scolaires, est un enjeu de taille, surtout dans des contextes qui privilégient très rapidement dès l’entrée à l’école les apprentissages scolaires au détriment des besoins du développement de l’enfant (schoolification).
La transition entre un monde familier et celui de l’école est au cœur de l’ouvrage. Elle est vue comme « une rupture, des fragilités, un seuil à franchir, un entre-deux, un état intermédiaire » aux prises avec l’espace, les diverses temporalités et les relations de l’enfant qui « devient écolier », dans la construction de sens de cette expérience de l’entrée à l’école comme découverte de soi et de possibles transformations.
Les auteurs décrivent avec rigueur leurs choix méthodologiques, ainsi que les conditions favorables et les écueils possibles à privilégier lors d’une enquête auprès de si jeunes enfants, s’appuyant sur les manières de faire de la sociologie de l’enfance – par des approches mixtes afin de mieux comprendre l’expérience scolaire, surtout à ses débuts.
Ils rendent compte de la manière dont les élèves « racontent leur école », selon leur vécu singulier, à partir d’une grille de lecture de quatre dimensions : 1. Espace, 2. relations, 3. temps, 4. symbolique de la transition. Chacune de ces quatre catégories étant définie par des indices plus spécifiques. Les élèves considèrent leur classe comme le lieu principal de l’école, et principalement les jeux libres ainsi que le mobilier de classe (environnement physique et matériel). Ils décrivent les relations « affectivement », en parlant tout d’abord d’eux-mêmes, et des personnes côtoyées au sein de la classe, à savoir leur camarades et l’enseignant, en évoquant aussi leur famille. En ce qui concerne la dimension symbolique de l’école, ou les aspects consacrés à l’enseignement ou à l’apprentissage, les élèves mettent en avant « (…) dessiner, jouer et travailler » (p.119) – et le fait de travailler est majoritairement associé aux consignes délivrées par l’enseignant ou encore « (…) un enseignant qui observe et surveille, qui anime et explique » (p.119), « écouter lorsqu’on est assis et suivre les règles » (p.129) – ou ce qu’il ne faut pas faire. Les élèves ne distinguent pas à ce stade le travail du groupe-classe ou encore les autres professionnels intervenant dans l’établissement scolaire.
En ce qui concerne les pratiques accompagnant la transition vers l’école, la tension jeu libre – travail contraint chez les plus petits est analysée sous l’angle du sens donné à la fois aux apprentissages et à la fois au développement de l’enfant. Les auteurs interrogent également les apprentissages à partir des activités réalisées. On passe du temps à faire, mais qu’apprend-on ? Le jeu, insuffisamment considéré par certains enseignants, devrait évoluer en une didactique l’articulant à l’apprentissage, comme pratique fondamentale à ce moment de transition. De même, les élèves construisent progressivement un sens par rapport au collectif classe mais aussi hors de la classe, à des références de plus en plus grandes. Ils ont développé les postures du faire, de se lancer dans les tâches, de se conformer aux normes scolaires, par le ludique et la créativité. Ce qui est à développer : c’est un rapport réflexif aux apprentissages et ce dernier se joue dans le collectif et l’apprendre ensemble. « Ainsi, éprouver des moments collectifs significatifs, en exerçant ensemble la réflexion sur l’action propre à l’apprenant, être guidé par l’enseignant dans ce processus et dans la découverte et l’appropriation progressive de la communication scolaire, sont des éléments déterminants pour le remaniement identitaire de l’enfant qui devient élève » (p. 163).
Bien construit, instructif, documenté sur les conceptualisations de l’école première et des enjeux de la transition dans la littérature francophone et anglophone, méthodologiquement ancré dans une sociologie de l’enfance, par une démarche ethnographique avec les élèves, cet ouvrage est à lire pour tout enseignant, éducateur ou parent, qui veut mieux comprendre ce que les jeunes vivent et comprennent de l’école à ce stade. Et pour que l’école par ses pratiques leur soit la plus hospitalière et inclusive que possible !