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Des élèves à la conquête du passé

Magali Jacquemin, Libertalia, coll. N’autre école, 2023

Ce livre de la ravira toutes celles et ceux qui enseignent l’Histoire que ce soit au premier ou au second degré. , L’autrice, professeure des écoles à Paris, nous plonge au cœur de sa classe et nous partage ses expériences, ses tâtonnements, ses doutes parfois, et c’est passionnant ! Après avoir terminé son doctorat d’histoire, elle a préféré enseigner à l’école primaire, dans un quartier populaire, par choix militant, et sa volonté de transmettre sa passion pour l’Histoire et son goût des archives aux enfants est palpable. Militante de l’ICEM-pédagogie Freinet, elle s’inspire de nombreuses techniques phares du mouvement Freinet telles que la classe promenade pour explorer le quartier où vivent les enfants, l’écriture libre qu’elle adapte aux exigences du récit historique, les entretiens du matin ou « quoi de neuf » qui peuvent être sources de nouvelles recherches prises en charge par ses élèves, le conseil de coopération qui permet de suivre les projets de la classe et de se questionner collectivement sur la progression des apprentissages. C’est ainsi qu’un vendredi après-midi en conseil de coopération, un élève prend la parole : « Moi j’ai un problème. Dans notre chronologie, comme il y a des trous partout, je trouve qu’on ne voit pas bien l’enchaînement des épisodes date après date, alors ma critique est plutôt une proposition : je propose que l’on reprenne la chronologie là où ont commencé les trous et que l’on avance dans l’ordre ». Les élèves proposent alors que la maîtresse fasse des leçons magistrales pour « boucher les trous » de la chronologie qui a été complétée au fur et à mesure des exposés. Mais le lundi suivant, une élève a doublé la maitresse ! Cette élève, qui a parfaitement intégré la méthodologie de la recherche documentaire, a passé tout son samedi à la bibliothèque pour préparer la leçon. Pas de doute, rendre les élèves acteurs et auteurs de leurs apprentissages les rend incroyablement matures !

Tout au long du livre, les réflexions pédagogiques et épistémologiques se croisent. En effet Magali réussit à mettre les connaissances acquises grâce à sa thèse de doctorat à hauteur des enfants en les initiant même au travail d’archiviste, grâce à des boites d’archives qu’elle crée spécialement pour sa classe. Elle n’hésite pas non plus à confronter certaines méthodes de la pédagogie Freinet aux questions soulevées par la didactique de l’Histoire et prend des distances avec « la méthode naturelle » en considérant que l’intervention de la maitresse est primordiale sous peine d’accroitre les inégalités entre les élèves, c’est ce qu’elle appelle « équiper la pensée ». Elle affine donc son guidage pédagogique et crée de nouvelles fiches pour aider les élèves à problématiser leurs exposés comme des apprentis chercheurs/chercheuses. On voit aussi comment le travail historique prend appui sur les histoires familiales des élèves et les fait grandir. Parfois ce travail permet aussi aux familles de mettre des mots sur des non-dits. Ainsi un père d’élève écrit à la maitresse pour la remercier : « Chère Madame Jacquemin. Merci. Je vous dis merci car c’est la première fois qu’une enseignante s’occupe comme ça de l’histoire de nos enfants. Grâce à votre travail j’ai raconté à mes enfants l’histoire de leur grand-père et je suis heureux de l’avoir fait. » Les résultats de cette manière d’enseigner l’histoire sont donc tangibles et les extraits de travaux d’élèves cités sont particulièrement émouvants, pourtant le livre ne cherche pas à convaincre, ne donne pas de recettes toutes faites, n’essaie pas de montrer la supériorité de la démarche, mais nous invite à explorer notre propre cheminement pédagogique en toute humilité.

Cécile Morzadec