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De la laïcité en France

Patrick Weil, Grasset, 2021

En un temps où la laïcité devient une idéologie brandie parfois par les pires réactionnaires ou une espèce de « religion » ( !), dogme intangible à qui on fait dire à peu près n’importe quoi, il est bon de se plonger dans des écrits d’historiens qui savent de quoi ils parlent, et c’est bien le cas de Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et qui a fait partie de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité en 2003. Grand défenseur du principe même de la laïcité, l’auteur, dans ce petit livre rigoureux et fortement étayé, combat cependant beaucoup d’idées fausses et nous replonge dans la genèse des lois républicaines à l’origine de ce principe.

Concernant l’école, enjeu majeur sur ces questions, dès les premières pages, il énonce : « la laicité est perçue par trop d’élèves comme un catéchisme répétitif, vide de sens, voire comme un régime d’interdits discriminatoires ; c’est-à-dire rien de ce qu’elle est ».

Il est important de revenir aux débats qui ont eu lieu lors du combat pour la loi de séparation de l’Eglise, mais aussi de s’intéresser aux nombreux jugements de tribunaux qui ont eu lieu dans les années qui ont suivi et ont permis d’établir des jurisprudences précises et souvent méconnues. Aristide Briand a milité ardemment pour que soit garanti le libre exercice des cultes et pour que personne ne puisse s’y opposer, avec comme seules restrictions ce qui irait contre l’ordre public. Il n’est pas question d’une pratique religieuse purement privée et limitée au domicile ou aux lieux de culte. Mais il faut noter l’importance de l’article 31 de la loi de 1905 (qui , rappelons-le, ne mentionne pas explicitement la « laicité » !) qui fait un délit « d’avoir déterminé, par une pression autre que libre persuasion, une personne à professer ou à ne pas professer un culte ».

L’Etat proclame, lui, sa neutralité, quand le citoyen est libre dans ses opinions spirituelles.

Malheureusement, l’Eglise catholique a eu beaucoup de mal à accepter ce nouveau cours des choses qui n’était pourtant pas dirigée contre elle. Aussi Briand combine-t-il les gestes de bonne volonté avec la fermeté devant ceux qui appellent à la désobéissance à la loi. Des évêques sont poursuivis en justice. La guerre de 14-18 (« l’union sacrée ») va apaiser les choses et finalement faire admettre les évolutions en cours, malgré la sinistre parenthèse pétainiste.

Aujourd’hui se posent bien sûr de nouvelles questions, avec un certain retour du religieux (37% des Français se proclament croyants contre 21% non-croyants). Quelle place pour les religions dans les médias publics ? quel financement pour les lieux de culte musulman ? Qu’est-ce que « l’espace public » ? Et évidemment, les questions scolaires autour du voile. La liberté d’expression jusqu’où ? Comment concilier respect des croyances et liberté d’expression ? P. Weil se réfère à la Cour de cassation qui rappelle que le délit d’injure protège les croyants et non les croyances. Et cette autre question, qui n’est pas du tout hors sujet : comment prendre en compte dans l’école de la République l’histoire de la colonisation (« ceux qui réussissent le mieux à l’enseigner sont aussi ceux qui ont l’idée et l’intelligence de le relier à l’histoire et aux conceptions de la laïcité ») ?

En fait, Patrick Weil, dans cet ouvrage, rend un bel hommage à un principe de liberté qui n’exclut en rien la sévérité lorsqu’il y a atteinte à celle-ci. Il constate d’ailleurs qu’on a fait le choix « de faire disparaitre de la vue au public les signes religieux, plutôt que de s’attaquer aux auteurs de violences et de pressions punies par les articles de la police des cultes ». (par exemple certaines prêches dans des mosquées…)Encore une fois, l’Etat accorde sans restrictions aux individus croyants le droit de montrer leur foi, y compris dans l’espace public, à condition-et c’est essentiel- de n’exercer aucune pression. Mais n’est-ce pas toujours un peu difficile à bien définir ? Où commence la pression ?

Le livre de P. Weil est donc éclairant et stimulant. Parfois frustrant car finalement, on aurait peut-être aimé des développements concernant le présent aussi importants au moins que ceux de la première partie, plus historique. Il donne cependant envie de se plonger dans d’autres écrits, en tout cas dans la complexité, loin des kits tout faits et du simplisme qui risquent de règner demain dans des formations si elles sont formatées et étroitement contrôlées par un ministère qui n’est pas forcément un héritier de Briand…