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Elisabeth Roudinesco : « Cela m’a fait devenir une enfant atypique »

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Quel a été votre parcours scolaire ?

Je viens de la grande bourgeoisie, j’habitais à côté des Champs-Élysées. Mon père était pédiatre. Ma mère était extraordinaire. Elle était psychanalyste, neurologue, pédiatre. Elle s’occupait d’enfants séparés, abandonnés, mais n’appliquait pas les méthodes psychanalytiques dans mon éducation. J’ai vécu dans un milieu exceptionnel pour l’époque ; mes parents étaient divorcés, ma mère travaillait. Cela m’a fait devenir une enfant atypique.

C’était en même temps formidable et pas facile. Ma mère avait été résistante et pour elle, l’école républicaine était primordiale, on se soumettait à son autorité telle qu’elle était. Or, j’étais turbulente : je montais sur les toits de l’école, j’expliquais aux autres élèves quand ils ne savaient pas, je mettais des pantalons sous ma blouse et j’avais les cheveux très courts. L’école n’était pas adaptée à moi.

J’avais une mère dont l’autorité était fondée sur l’intelligence et l’écoute de l’enfant de façon à ne pas céder à ses caprices et, dans mes turbulences, j’avais conscience que c’était moi qui avais tort. Elle me disait qu’il fallait apprendre et que les institutrices avaient raison, et qu’elle n’interviendrait pas si j’avais des problèmes. À 10 ans, j’avais une grande liberté ; j’allais au cinéma voir tous les films hollywoodiens que j’aimais. J’avais une drôle de famille dans laquelle les femmes étaient supérieures aux hommes, et ma mère répondait à toutes mes questions.

Je fréquentais une école où il y avait des enfants de bourgeois mais aussi les enfants des « gardiennes » d’immeubles, qu’on appelait « filles de concierges ». Elles étaient au premier rang, raffinées, avec de jolies robes, des boucles d’oreilles, une marque sociale à l’époque. Elles étaient bien meilleures, car les petites bourgeoises avaient d’emblée une culture qui ne leur donnait pas le besoin de travailler.

Je suis ensuite entrée au lycée Racine qui m’a imposé une autre discipline : les blouses, pas de pantalon. Cela s’est très mal passé, j’étais à la fois surdouée pour les études et indisciplinée. Ma mère m’a fait entrer l’année suivante au collège Sévigné qui recevait des enfants issus du milieu intellectuel. J’avais dans ma classe la fille d’Aimé Césaire, celle de Marcel Péju, le secrétaire général des Temps modernes. J’y découvris la compétition positive et pour la première fois, je ne pouvais plus me sentir meilleure que les autres. Sartre était alors pour moi une référence incontournable, même si notre professeur de français, Bernard de Fallois, proustien génial, était de « l’autre bord ».

Toujours atypique, je me suis à nouveau fait renvoyer du collège Sévigné en terminale puis je suis allée au lycée Lamartine, véritable désastre. Enfin j’ai intégré le lycée de Sèvres, un lycée d’avant-garde où l’on pratiquait l’autodiscipline. Excellent pour moi. Mon adolescence était chaotique, j’inquiétais mes parents en faisant les quatre-cents coups, je fréquentais les bals musettes et pas les enfants de bourgeois ; mon père, âgé, était très ennuyé. Pour lui, sa fille était « bolchévique ». Ma mère, elle, a encore une fois été à la hauteur en me faisant confiance, mais en exigeant que je passe mon bac. Elle m’a mise devant mon avenir, devant mon désir : « Que veux-tu devenir ? »
Un voyage aux États-Unis m’a complètement transformée. J’y ai lu Joyce à New York, j’ai participé à la Marche pour les droits civiques en 1963 à Washington, une expérience extraordinaire. En intégrant ensuite l’université, j’avais complètement changé.

Comment êtes-vous venue à la littérature ?

J’ai adhéré au parti communiste en 1971, en voie de déstalinisation à ce moment-là. J’étais cependant incapable d’un engagement de type collectif à cause de mon individualisme. J’adorais aller à la fête de l’Humanité, j’y vais toujours avec plaisir. En 1968, j’ai rencontré Henri Deluy qui dirigeait alors la revue Action poétique, une merveilleuse ouverture à la poésie. C’est là que je commence à écrire, à publier, je suis dans le livre depuis toujours. Je rencontre Aragon, Althusser, Deleuze. Mon mari depuis plus de trente ans, Olivier Bétourné, est aussi mon éditeur. J’avais heureusement les moyens de vivre sans enseigner. C’est par l’Histoire que je suis venue à la psychanalyse.

Vous vous êtes engagée dans le collectif Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans…

Il s’agissait de s’opposer aux méthodes de dépistage de la délinquance chez les très jeunes enfants que le Gouvernement de l’époque, en 2003, voulait mettre en œuvre. La psychanalyse avait alors été capable de réunir, dans une pétition, des dizaines de milliers de personnes. On n’est malheureusement plus à cette époque-là. Elle est devenue une bulle étanche qui permet aux psychanalystes de penser dans un entre-soi qui n’est pas connecté au monde.

Les interprétations psychologiques ne m’intéressent pourtant pas, je ne fais pas de psychologie. Voyez le débat sur le vêtement à l’école, le problème est pourtant très simple : on peut s’habiller comme on veut chez soi, pas à l’école. Il faut aussi obéir. C’est ce que ma mère m’avait dit, enfant : on ne peut pas être dans le savoir absolu, dans la toute-puissance, on ne fait pas ce qu’on veut.

Propos recueillis par Jean-Charles Léon


Article paru dans notre numéro 565, Lire, comprendre, coordonné par Ben Aïda et Jean-Michel Zakhartchouk, décembre 2020.

La compréhension occupe-t-elle la place qu’elle devrait dans l’enseignement de la lecture ? Si le travail de compréhension s’est longtemps borné à la « vérification » par des questions, orales ou écrites, les dispositifs et les pratiques se sont diversifiés, et comprendre est devenu un objet d’enseignement.

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/816-lire-comprendre.html