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Pierre Merle, » Ce sont les résultats des recherches qui définissent l’engagement »

Au collège, j’étais un élève agité et faible. Ce passé de collégien m’a globalement été utile en tant que sociologue pour comprendre la situation des élèves en difficulté. Des expériences d’humiliation ? Comme tous les élèves plutôt faibles. Ces expériences pénibles ont été compensées par quelques bons professeurs qui m’ont fait aimer l’école.
Le fil rouge de mes recherches est la question des inégalités scolaires. Elles peuvent être étudiées soit en s’intéressant à la construction des inégalités à l’intérieur de la classe, en se focalisant sur les modalités d’évaluation des élèves, les pratiques d’humiliation, etc., soit en s’intéressant aux statistiques globales. Ces deux niveaux de recherche sont liés. À l’échelle d’une classe, chaque enseignant contribue à fabriquer de l’inégalité ou/et de l’égalité, sans forcément en prendre conscience. Il s’agit de savoir comment les pratiques professionnelles contribuent à l’inégalité globale. Mais, à côté des pratiques, il existe aussi des effets de structure.
La connaissance est faite pour être partagée et oriente l’action par rapport à des idéaux d’égalité et de justice propres à notre République. Ce sont les résultats des recherches qui définissent l’engagement et non l’inverse. Par exemple, les établissements catholiques ont, en moyenne, un recrutement caractérisé par une surreprésentation considérable des enfants d’origine aisée et d’un bon niveau scolaire. Ce secteur privé est un obstacle à la mixité, à l’efficacité et à l’équité de notre école. Ma réticence à l’égard du secteur privé tient à son recrutement. Ma position n’est pas d’ordre politique, elle est scientifique.
Certaines réformes vont dans le bon sens. Par exemple, les classes européennes différencient les établissements entre eux, favorisent les choix stratégiques des parents et la ségrégation. La suppression de ces sections est bienvenue. Encore faudrait-il que le ministère publie annuellement une mesure de la ségrégation sociale des établissements. Comment mener une politique sans évaluer celle-ci ? Les résistances sont normales. D’abord parce que notre école est adaptée aux bons élèves des catégories aisées et celles-ci ne souhaitent généralement pas de changement ; ensuite, parce qu’une réforme, même bien conçue, peut être mise en œuvre de façon discutable.
Les populations marginalisées sont insuffisamment prises en compte. Par exemple, en Seine-Saint-Denis, en 2012, la scolarisation à deux ans était de 5 %, nettement moins que la moyenne nationale. Notre école doit faire ce qu’elle ne fait pas, ou fait mal : donner plus à ceux qui ont moins. Défendre la laïcité ? Certainement, s’il s’agit d’une laïcité conforme à notre Constitution : respecter toutes les croyances (article 1). Depuis 2004, selon la Cour européenne des droits de l’homme, la France a une conception « restrictive » de la laïcité, et elle a d’ailleurs été condamnée, en 2012, par le Comité des droits de l’homme des Nations unies. Ce n’est pas un hasard si le Front national s’est emparé de ce thème : c’est aussi une façon de stigmatiser les musulmans. L’école et les professeurs ont une mission impérieuse : inclure par l’apprentissage et l’éducation.
Pierre Merle
Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk
Article paru dans notre n°526, Inclure tous les élèves, coordonné par Elisabeth Bussienne et Evelyne Clavier, janvier 2016.
Pour les élèves à besoins éducatifs particuliers, l’écart est parfois grand entre ce qui est prescrit et la réalité de leur scolarisation. Ce dossier vise à en pointer les freins et à proposer des leviers à même de faire vivre l’école inclusive refondée.
https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/593-inclure-tous-les-eleves.html