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Ce que pourrait être une vraie pédagogie de l’alternance
L’alternance est à la mode. Or, elle amalgame des situations très différentes. Rien à voir entre ce qui est proposé par les textes récents concernant le collège (Préparation de la rentrée 2004, extraits de la circulaire : « Développer la diversification des modes d’apprentissage et des parcours au collège », Bulletin officiel n° 6 du 5 février 2004) et l’alternance mise en œuvre dans le cadre de contrats ou de formation professionnelle par l’apprentissage en alternance. L’alternance est ici établie avec un environnement professionnel authentique, où l’élève est confronté à l’entreprise, à des tâches professionnelles, dans le respect des référentiels et d’une progression et sous la supervision d’un tuteur et de ses professeurs de l’enseignement professionnel ou de centre de formation d’apprentis.
La banalisation de cette appellation et sa juxtaposition avec la notion de difficulté scolaire renforcent l’idée que l’alternance ou le rapport à l’entreprise constitue l’unique alternative à une offre scolaire à laquelle ne sont pas réactifs (ou trop, c’est selon !) des élèves en difficulté, les « mécréants », les « anorexiques du savoir » (Meirieu). On risque fort du coup de se servir de cette banalisation pour éviter de repenser le collège, ainsi que les notions de difficulté… et de réussite.
L’alternance, c’est pour les nuls ?
Actuellement les élèves sont repérés autour de la notion floue de difficulté, grande ou ordinaire. Dans ce fourre-tout au large spectre, on retrouve tout : les problèmes comportementaux, sociaux, cognitifs, les âges « anormaux », les élèves qui ne trouvent pas de sens aux savoirs, aux situations pédagogiques proposées, les élèves qui ne trouvent pas de sens à l’école, élèves en cours de socialisation, élèves qui ont des vitesses d’acquisition variées, des modalités de construction et de gestion des images mentales différentes, des histoires différentes, les élèves dits décrocheurs…
L’alternative « entreprise » peut-elle constituer une offre magique qui prenne en compte cette diversité de publics ? S’il suffit d’être en difficulté pour se voir proposer ou prescrire l’alternance, on peut toujours baptiser ces structures options, classes, ou dispositifs, on ne résoudra rien. S’il n’est pas socialement reconnu, prouvé et proclamé que l’alternance constitue un parcours de réussite et qu’elle peut être choisie en tant que telle, se voir proposer un parcours en alternance constituera toujours un label de peu de valeur. Mêmes enjeux à la mise en place des enseignements professionnels optionnels qui seront proposés à la rentrée 2004-2005 : le choix ou la prescription de cette option se fera-t-il sur des critères explicites ou non de difficulté ?
Peut-on construire des partenariats gagnant/gagnant avec la voie professionnelle, ses acteurs de la formation et les entreprises en se reposant sur des concepts et des circulaires qui posent l’alternance ou les enseignements professionnels en modalités de traitement du décrochage scolaire, de la difficulté scolaire ?
Une autre voie est possible : présenter la voie professionnelle, l’entreprise, qu’elle soit industrielle ou artisanale, commerciale ou de service comme désirable à tous, c’est-à-dire aussi aux bons élèves. C’est concevoir qu’un beau parcours de réussite professionnelle puisse se réaliser au travers de la reprise ou la création d’entreprises artisanales, la gestion de PMI/PME… et que ces perspectives peuvent être présentées comme désirables y compris à ceux qui sont censés réussir.
Sollicitons et présentons l’entreprise pour les parcours d’excellence de la même façon que nous souhaitons l’impliquer dans le traitement du décrochage et de la difficulté scolaire.
Il ne peut suffire de séjourner dans l’entreprise dans une situation « d’immersion » pour socialiser, choisir, comprendre… Il doit être question de pédagogie, d’objectifs, d’évaluation… et de réflexion globale sur un projet pédagogique. À cet égard, le « cadre » juridique proposé par les textes récents ne peut suffire (le décret n° 2003-812 du 26 août 2003 définit les modalités d’accueil en milieu professionnel des élèves mineurs de moins de seize ans : Journal officiel n° 199 du 29 août 2003, Enseignement professionnel : BO n° 34 Circulaire n° 2003-134 du 8-9-2003, modalités d’accueil en milieu professionnel d’élèves mineurs de moins de seize ans). Les périodes en entreprise et dans les établissements de formation professionnelle doivent s’intégrer dans un projet pédagogique où sera pris en compte l’élève dans sa singularité : ses représentations, son histoire, ses environnements…
Se débarrasser des gêneurs ou leur offrir de nouveaux départs ?
Des périodes en entreprise constituent pour certains élèves à certains moments une alternative nécessaire à une école qui ne renvoie aucun signe positif à l’élève. L’élève décrocheur de l’intérieur risque de s’exclure, d’être exclu, ou encore de rester présent mais dans une constante attitude de rejet ou de contournement agressif ou passif… Ces élèves ont besoin d’un nouveau départ dans un nouveau cadre où le premier objectif à atteindre sera d’y respecter des règles, des usages, des codes. Mais la visée à court terme ne doit pas faire oublier les objectifs plus fondamentaux : faire que l’élève devienne un sujet libre et autonome. L’alternance fait entrer l’élève dans une culture où il rencontre les hommes de l’entreprise, observe des faits, découvre des lieux, des langages, identifie des savoirs, des codes, des usages. Autant de nouveautés, autant d’environnements inquiétants. Il faut l’aider à s’y préparer (avant), l’accompagner (pendant) et exploiter avec lui cette expérience nouvelle (après). Tout cela posé, je mesure bien la difficulté de contribuer à cette visée de haut niveau : contribuer à la construction d’un sujet qui maîtrise des connaissances, exerce son jugement et sa pensée critique, est ouvert à l’autre, au bien commun, sujet qui assume sa singularité.
Il est dès lors nécessaire d’impliquer toutes les disciplines pour aider l’élève à tendre vers cette autonomie en le mettant en situation de développer des outils d’observation, de pensée, des outils d’analyse critique, de choix, de communication… en clair des compétences transversales et des outils de pensée. La pédagogie de l’alternance c’est celle qui contribuera à fabriquer du sens, qui mettra en situation de valider des savoirs, qui permettra de vivre des réussites qui confirmeront de nouveaux acquis, à l’élève, à l’école et à l’entreprise.
C’est l’occasion de proposer des évaluations dans des champs inexplorés au collège (celui des compétences transversales, des talents, des aptitudes… qu’il faut définir) au travers des « mises en situations » nouvelles pour l’élève. C’est l’occasion d’impliquer les élèves dans des tâches en rupture également avec ce qui est l’habitude du « quotidien disciplinaire au collège ». Il y a ici une véritable opportunité ; celle qui consisterait à introduire simultanément une réflexion sur les contenus des enseignements, sur les situations d’apprentissage et les modalités d’évaluation. Le système éducatif, que ce soient les prescripteurs (l’institution centrale) ou les praticiens (les équipes pédagogiques) profiteront-ils de cette opportunité ? L’alternance ne se mesure pas seulement en pourcentage du temps passé en entreprise (et là je suis bien d’accord, il doit à mon sens être individualisé, en termes de durée mais également en termes d’objectifs et de modalités), elle réside autant dans les temps de préparation, d’accompagnement que dans les temps d’exploitation des périodes, stages et autres séquences hors collège. Le plus complexe n’est-il pas alors de le trouver ce temps ou de l’organiser autrement ?
L’alternance au collège ne peut se définir uniquement en terme d’immersion en escomptant qu’advienne un « effet entreprise ». Sans accompagnement par l’ensemble des enseignants, sans projet d’équipe pédagogique, l’alternance juxtapositive ne peut que renforcer le clivage entre, d’un côté, les enseignements « nobles », français, maths, histoire, et, de l’autre, des enseignements « professionnels » pilotés par le professeur de technologie…
Pour qu’il y ait remotivation, plusieurs conditions sont à réunir entre l’entreprise, le jeune et l’organisme de formation. Ainsi, il doit y avoir accord explicite et sélectif sur les finalités, les devoirs et engagements réciproques. Un tuteur et un professeur référent s’impliquent. Le tuteur est le « médiateur métier » : indispensable, c’est à travers ce rapport que le jeune qui ne peut pas être en situation de travail, d’autonomie, « touche le métier ». Cette fonction tutorale est donc fondamentale (et il est nécessaire de l’expliciter).
Un professeur référent et toute l’équipe éducative sont mobilisés pour préparer et exploiter l’alternance ou les temps hors collège. Pour permettre à l’élève de réinvestir l’école, attention au clivage, au cloisonnement école pour les uns et l’entreprise pour les autres. Ce serait catastrophique, il donnerait à penser que l’entreprise est prescrite par l’échec et que la « pratiquer » donne licence à tourner le dos aux apprentissages, aux savoirs, aux enseignements généraux…
L’implication collective nécessite d’ailleurs que les enseignants eux-mêmes aient rencontré l’entreprise, ce qui passe par un développement de la formation dans ce domaine. Il s’agit bien de préparer les enseignants à gérer l’alternance, sur la base du volontariat, ce qui implique aussi une reconnaissance et une valorisation de ce travail
Voici des textes relatant des expériences conduites dans ces domaines :
– Et si les professeurs découvraient l’entreprise ?
– Des professeurs en entreprise
Ajoutons que le projet d’alternance c’est aussi l’occasion de renouer avec les parents d’élèves, sur d’autres bases toutefois que celles constituées par le bulletin scolaire et le carnet de liaison et leurs cortèges d’annonces catastrophiques qui renvoient également aux parents de l’estime de soi dégradée. L’alternance introduit un nouvel objet pour reconstruire le lien entre la famille, le collège et l’élève. Le parcours en alternance est un nouveau départ, difficile, l’élève doit être accompagné en cohérence par ses parents, ses enseignants, l’entreprise. Reconstruire ce lien, donner de la valeur à ce projet est, à mon sens, fondamental, à inscrire dans les objectifs.
Benoît Touzet, chargé de mission auprès du délégué académique à l’apprentissage à la formation initiale et continue, DAAFIC, Rouen.