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Comment se fait-il que les journalistes n’aient retenu du très intéressant rapport de la concertation pour la refondation de l’école remis vendredi les seules mesures concernant la durée des temps scolaires, sur la journée ou la semaine ? C’est anecdotique, mais on voit bien que la perspective d’un tournant majeur pour l’école dans les mois à venir n’est pas encore acquise.

Le rapport présenté est dans la continuité de la démarche entreprise depuis juillet : il oscille entre la recherche du consensus entre tous les acteurs de l’école et la définition d’un projet pour refonder le système éducatif ; il veut couvrir l’ensemble des questions, en ouvrant bien des pistes intéressantes, mais au risque de l’émiettement, de la dispersion, de légèreté sur certaines questions importantes (la formation des personnels ou le baccalauréat par exemple) ; les spécialistes des textes réglementaires signaleront que bien des mesures préconisées sont déjà de l’ordre du possible dans le fonctionnement des établissements scolaires.

Nous sommes au milieu du gué. On sait que le système éducatif doit faire avec diverses contraintes : un fonctionnement administratif bien en place, avec des routines plus ou moins établies ; des cultures professionnelles, des statuts, des fonctions très divers ; des finalités également très variées, de la transmission d’un patrimoine à la formation professionnelle en passant par l’éducation à la citoyenneté.

Refonder l’école pour la rendre « plus juste et plus efficace » nécessite de tenir compte de ces contraintes, mais aussi d’arbitrer entre des logiques et des intérêts qui peuvent être divergents. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans de stériles oppositions, dans des choix définitifs et tranchés, mais pas non plus de rester à des solutions médianes pour satisfaire tout le monde, et finalement personne.

Pour nous, la priorité doit aller à des décisions qui favorisent les apprentissages des élèves. Comment mettre la gestion administrative des personnes, des temps et des espaces au service de la pédagogie ? Comment penser, par exemple, les missions des enseignants, l’organisation des établissements scolaires, la gestion des temps éducatifs pour améliorer les apprentissages ? Il ne s’agit pas bien sûr d’opposer conditions de travail des enseignants et pratiques pédagogiques : faire progresser tous les élèves, c’est travailler mieux.

Les équipes éducatives : des collections de spécialistes ou des collectifs de travail ?

L’organisation du travail actuel privilégie la prise en charge par un enseignant d’un groupe classe, sur toute une année à l’école primaire, par fractions horaires dans les collèges et lycées. Dans le premier cas, l’enseignant doit être d’une très grande polyvalence, ou bien reporte le traitement des cas particuliers sur un maitre spécialisé du Rased, avec des modalités de coordination rarement satisfaisantes. Dans le second cas, le nombre d’enseignants et de personnel intervenant auprès de la classe rend difficile l’élaboration d’un regard d’ensemble sur les apprentissages d’un élève. En retenant l’idée « plus de maîtres que de classes » au primaire, ou bien en proposant un nombre réduit de professeurs intervenant dans les classes d’un cycle commun à la fin de l’école primaire et au début du collège, le rapport ouvre quelques pistes. Aller plus loin dans cette logique implique de redéfinir les services des enseignants, en donnant aux équipes les moyens de mettre en place d’autres modalités d’enseignement que le modèle une classe/un maître, une discipline/une heure de cours.

La formation : universitaire et individuelle ou professionnalisante et collective ?

Si l’on prend au sérieux l’idée que le métier enseignant n’est pas une profession libérale, mais s’inscrit dans un collectif de travail, la formation professionnelle ne peut pas être confondue avec la préparation d’un concours individuel. Celui-ci doit être situé en amont de la formation, par exemple en fin de licence. Les apprentis enseignants, quel que soit leur statut, pourront alors s’intégrer peu à peu dans des équipes de travail en faisant des stages dans différents établissements scolaires ; ils pourront fréquenter des collègues formateurs plus expérimentés pour travailler avec eux ce qu’ils ont découvert en stage ; ils pourront se confronter à des recherches en sciences de l’éducation pour découvrir la complexité des questions éducatives, didactiques et pédagogiques ; ils pourront travailler ensemble pour s’habituer à la prise en charge collective des apprentissages des élèves. Pour nous, ce sont là les missions qui doivent être fixées aux « écoles supérieures du professorat et de l’éducation » (ESPE).

Les contenus : encyclopédisme disciplinaire ou compétences pour la vie ?

Le rapport reprend les expressions de « socle commun » et « approche par compétences », ce qui est essentiel, mais il reste à les traduire dans la réalité : comment privilégier ce que l’on veut que tous les élèves apprennent plutôt que ce que l’on prétend leur enseigner ? En termes d’apprentissage, cela signifie partir des besoins des élèves pour développer leur maitrise de l’expression écrite et orale, élargir leur horizon culturel, travailler les opportunités de vie en collectivité. En termes d’évaluation, cela signifie ne pas se limiter aux épreuves écrites ni aux cadres disciplinaires, diversifier par des modalités qui mettent en avant la créativité, la résolution de problèmes, la capacité à mener un projet.

Les temps éducatifs : grille ou échelle mobile ?

L’heure de cours, l’emploi du temps hebdomadaire, le trimestre ou l’année scolaire facilitent l’organisation administrative, mais entravent bien souvent l’organisation des apprentissages. Les équipes pédagogiques doivent avoir pour mission d’organiser les enseignements de façon mobile sur des demi-journées, sur la semaine, sur des cycles pluriannuels, en fonction des besoins locaux, dans le respect du cadre national.

Le consensus semble être acquis sur la nécessité de transformer l’école. Bien des propositions sont sur la table. Refonder l’école républicaine, c’est renoncer à un fonctionnement administratif unique pour privilégier des objectifs nationaux communs en termes d’égalité d’accès à l’instruction, à l’éducation, à la culture, avec des modalités de mise en œuvre pédagogique du ressort des écoles et des établissements, par des équipes éducatives responsabilisées, formées, accompagnées. C’est faire preuve du nécessaire courage politique pour prendre au mot cette belle affirmation du rapport « la refondation sera pédagogique ou ne sera pas ».

Le levier majeur est désormais de mobiliser les acteurs : comment permettre à tous les personnels de travailler mieux, de mieux faire apprendre tous les élèves ?

Le bureau du CRAP-Cahiers pédagogiques
le 8 octobre 2012