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Apprendre en prison

«J’ai serré les mains, j’ai regardé droit dans les yeux, j’ai souri, j’ai dit bonjour à des voleurs, des violeurs, des assassins, des toxicomanes qui, le temps d’un cours de français, étaient simplement des hommes qui voulaient apprendre.» Blandine Frémondière

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Parmi d’autres témoignages du hors-série numérique, celui de Blandine Frémondière, particulièrement évocateur et sensible. Voici un extrait de son article.

Octobre 2000. Un courrier affiché dans la salle des professeurs attire l’attention de l’auteur. On cherche un professeur de lettres pour intervenir auprès des détenus de la maison d’arrêt d’Angers. Et un lundi, s’ouvre la grande porte bleue à la peinture écaillée.
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Blandine Frémondière

Blandine Frémondière

Je devais me munir d’une pièce d’identité. Naïvement, je pensais que c’était pour le dossier administratif. Eh bien non ! Le personnel pénitentiaire vous donne en échange de votre carte un badge à agrafer sur votre vêtement. Première découverte, pour empêcher les gens de sortir, on surveille de très près tous ceux qui entrent. Impression d’être une intruse. Sentiment fort peu agréable, qui ne m’a jamais quittée, même au bout de dix ans de fréquentation régulière.


Premiers pas, premières portes

Impressionnant, les onze portes et grilles à franchir pour arriver à la salle de cours. Les premières semaines, je les compte avec appréhension. En prison, je découvre qu’avant d’ouvrir une nouvelle porte, il faut que la précédente soit fermée. La progression est chaotique, aléatoire, j’ai appris la patience. J’ai éprouvé une sensation fort désagréable de claustrophobie, lorsque, coincée dans un sas entre deux portes, sous l’œil de la caméra, vous ne voyez personne. Les glaces sans tain sont les pires objets de déshumanisation. Être vu sans voir ni savoir qui vous regarde vous transforme en zombie. Le portique de détection sonne, les lumières rouges s’allument ! Je n’ai pourtant, comme les consignes le précisent, aucun objet métallique : ni clé, ni pièce de monnaie, ni ceinture, je ne comprends pas. Deuxième passage et à nouveau l’alarme ! « Retirez vos chaussures », me dit le surveillant. Je franchis le portique pieds nus, ça ne sonne plus ! Je découvre, de cette façon, que les chaussures à talons sont renforcées par des lamelles de fer.

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Prison ou Église

Inscrite à l’inventaire des monuments historiques, une rotonde. En levant la tête, j’observe sur le plafond un autel identique à celui qu’on trouve dans une église. À l’intérieur du dôme, quatre pensées religieuses sur le pardon, la rédemption sont inscrites. L’architecture de la prison ressemble d’ailleurs à celle d’une église. La rotonde en est le chœur, les trois ailes en sont la nef et les transepts. La prison a été financée en 1855 par les dons des riches bourgeois angevins, sur proposition du Gouvernement. Acte de civisme ! Les pensées ont été offertes par l’impératrice Eugénie en personne. Je n’ai jamais entendu quelqu’un s’étonner de ce rapprochement, à mon sens pour le moins bizarre, entre la religion catholique et le monde pénitentiaire. Mais est-ce si étonnant tant il est vrai que certains discours, aujourd’hui encore, mélangent les genres : faute, repentir ?

Avec barreaux et sans crayon

La salle de classe ressemble à celles de l’Éducation nationale, mais avec des barreaux aux fenêtres et un écran de télévision enfermé dans un coffre fermant à clé. Les élèves n’ont rien, ni papier, ni crayon. C’est pourquoi le cours commence par la distribution du matériel scolaire et finit par le ramassage des crayons. En milieu carcéral, certaines fournitures sont payantes.

Tous les enseignants le savent, c’est dans les trois premières minutes que se joue une grande partie de l’année scolaire. Ici, c’est le professeur qui attend les élèves. Lors de mon premier cours, l’arrivée des six inscrits s’étale sur trente minutes ! Encore un repère qui s’en va : le temps carcéral n’est pas le temps de l’Éducation nationale. Le professeur prévient les surveillants de son arrivée à la rotonde. Ceux-ci vont ensuite ouvrir une à une les portes de chaque cellule. En dix ans d’enseignement à la maison d’arrêt, je ne crois pas avoir fait un seul cours de deux heures qui ait réellement duré cent-vingt minutes !

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Poignée de main et regard franc

La poignée de main aux surveillants comme aux détenus, pratique peu usuelle ou machinale en salle des professeurs de collège ou de lycée, prend ici une forte signification et une grande importance. La consigne est donnée par le responsable pédagogique : il faut accueillir, échanger un regard et serrer la main de chaque détenu qui entre dans votre salle de cours. Cette symbolique de l’accueil est lourde de sens. Elle signifie qu’en prison, celui que vous accueillez est un adulte qui veut suivre un cours, point.

Si j’en crois les dires des détenus, la portée de cette pratique, banale à l’extérieur, est pour eux, à l’intérieur, ô combien précieuse ! Je me souviens d’une personne lourdement condamnée, dont le directeur de la maison d’arrêt avait serré la main à une remise de diplôme (CFG), qui répétait, les larmes aux yeux : « Vous vous rendez compte, le directeur m’a serré la main… à moi ». J’ai serré les mains, j’ai regardé droit dans les yeux, j’ai souri, j’ai dit bonjour à des voleurs, des violeurs, des assassins, des toxicomanes qui, le temps d’un cours de français, étaient simplement des hommes qui voulaient apprendre. […]»

À qui apprend-on, qu’apprend-on et comment ? C’est ce que vous découvrirez dans ce dossier à la fois technique et humain.