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Apprendre à comprendre. Donner du sens aux apprentissages avec les ateliers réflexifs

Bernard Gouze, ESF, 2022

L’auteur relate une recherche-action pédagogique autour d’un dispositif particulier : les ateliers réflexifs. L’auteur part du constat du grand nombre d’élèves qui font leur travail d’apprenants, montrent une vivacité d’esprit, font leurs devoirs et écoutent soigneusement en classe et pourtant n’y arrivent pas, ou si mal. Aborder la difficulté scolaire sous l’angle de l’absence de travail se révèle dans ce cas très insuffisant, une manière de ne pas affronter la complexité.

L’idée, énoncée comme telle, est d’interroger les élèves « sur leur manière de fonctionner dans [leur] tête ». Le dispositifs a été restreint à des élèves décrits comme scolaires et volontaires non rétifs au système éducatif et aux apprentissages ou à la remédiation. Comme toute recherche-action, le travail a été mené à différents niveaux : mise en place d’un dispositif pédagogique, les ateliers à proprement parler, des critères d’évaluation, de critique et d’analyse du dispositif, un travail rigoureux soigneusement décrit ici.

Parmi les enseignements retenus figure le constat que ces élèves en déficience d’apprentissage sont souvent « plus ou moins déconnectés de leur vie lors des apprentissages », ce que l’auteur résume par la phrase lapidaire : « élève à l’école, et sujet en dehors ». Autrement dit, les apprentissages ne font pas sens pour eux. Se révèle alors un aspect toujours défendu par les mouvements pédagogiques et d’éducation populaire : l’élève apprenant est un sujet en premier lieu, avec une histoire personnelle affective et cognitive qui influe sur les conditions de son apprentissage.

Les trois premiers chapitres relatent avec précision la construction du projet, la réflexion sous-jacente de sa mise en place. L’objectif du travail était double : chercher à comprendre le fonctionnement cognitif de ces élèves travailleurs mais déficients, proposer un dispositif de remédiation à partir des constats.

Les ateliers étaient centrés sur « ce qui se passe dans la tête » dans un travail transdisciplinaire, sur les élèves donc, pas sur les méthodes. Il se déroulait en petits groupes, en établissant le cadre sécurisant habituel de ce type de fonctionnement : non-jugement, parole libre, discrétion et confidentialité, et enfin solidarité dans le travail collectif. L’atelier, qu’il n’est pas question ici de décrire précisément, commençait par une phrase comme : « Que se passe-t-il dans votre tête lorsque… ». On retrouve là encore des accroches du type de celles qui sont utilisées dans les ateliers de philosophie, les discussion à visée philosophique et démocratique, les ateliers psycho-Lévine dans lesquels Bernard Gouze trouve avec bonheur une source de réflexion et de construction pédagogique.

Que se passe-t-il alors ? La force de la première partie du livre est de nous montrer concrètement des élèves en activité par de nombreuses recensions d’ateliers : quel apprentissage « n’évoque » pas ? Vient à l’esprit le livre d’Emmanuelle Yanni, L’instant d’apprendre, chez le même éditeur, et qui aurait pu être ajouté dans la très bonne bibliographie concluant l’ouvrage.

Bernard Gouze tire ensuite des enseignements sur les enjeux pédagogiques des ateliers réflexifs : quels sont les bénéfices (et les difficultés) à tirer de ce type de travail. Apparaît un thème qui sera très présent jusqu’à la fin de l’ouvrage : l’aphantasie scolaire, qu’on pourrait définir comme la restriction de l’imaginaire, l’impossibilité de former une image mentale à partir d’un concept. L’aphantasie fait des apprenants des exécutants qui éprouvent de grandes difficultés à sortir d’un cadre préétabli, à mettre en relation des savoirs et des concepts d’horizons divers.

Enfin, l’auteur propose, dans un chapitre fondamental (chapitre 6) des aspects théoriques en proposant deux « éclairages » – il utilise le mot – différents. Il s’appuie d’abord sur les apports récents des neurosciences quant aux modalités inhibitrices, aux fonctionnements systémiques ou au travail du cerveau dans le type de comportements qu’il a rencontrés dans ces ateliers. La conclusion provisoire de ce passage est un pont remarquable vers la suite : « Le cerveau fonctionne principalement de manière inconsciente ». Citant la neurobiologiste Catherine Vidal, il précise que c’est bien « dans la relation au monde que se forge la personnalité et que se structure la pensée ».

Bernard Gouze propose alors ce qu’il appelle « un contre-jour psychanalytique », terme choisi  qui renvoie à un éclairage « par derrière », qui donne les contours et permet de voir autrement. Si les neurosciences permettent une compréhension des enjeux, elles ne suffisent pas. Et c’est cette part d’ombre qu’il choisit d’explorer en prenant une précaution fondamentale : « Il s’agit de reconnaître simplement l’existence vivante de l’Inconscient pour chaque élève. Ce n’est pas rien : l’élève devient alors sujet. Et nous n’avons pas besoin de nous transformer en psychologue ou psychanalyste pour cela ».

Ne cherchons pas l’inconscient, ne l’interprétons pas, mais connaissons son existence. C’est à cette condition qu’il est possible de dépasser « l’élève objet » et d’appréhender un élève-sujet global ayant un rapport singulier aux apprentissages.

L’ouvrage de Bernard Gouze est riche, n’hésitant pas à exercer la critique à la démarche de recherche. Une intéressante bibliographie et sitographie le clôt ouvrant des perspectives de lectures fécondes, une mine pour celui ou celle qui se penchera dessus.

Citons pour finir la dernière phrase du livre, qui synthétise l’ensemble : « À l’école, “Je” ne peut pas être “Hors-Sujet”. Pour peu qu’on lui laisse une place ».

Jean-Charles Léon