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Apprendre à apprendre

Questions à Jean-Michel Zakhartchouk

 

jmz-logo-72dpi.jpgPourquoi ce titre et la reprise d’une notion que certains trouvent douteuse théoriquement ?
Pour moi, ce titre est très parlant, quand bien même il est davantage une expression forte qu’un concept à proprement parler. Une sorte de boucle paradoxale : peut-on apprendre si on ne sait pas comment apprendre ? Mais par quel bout commencer, puisqu’il faut toujours commencer par apprendre ? Mais sur le plan pratique, c’est assez simple : il faut, pour pouvoir réussir à l’école et s’approprier des savoirs, maitriser des outils pour apprendre, ceux qui sont listés dans le domaine 2 du socle commun, ces outils qui paraissent évidents et simples, alors que c’est tout le contraire.

Dans le livre, j’évoque mon regret que l’expression « apprendre à apprendre » ne figure pas explicitement dans le socle commun. Mais depuis peu, elle figure en tant que telle : « Ce domaine a pour objectif de permettre à tous les élèves d’apprendre à apprendre, seuls ou collectivement, en classe ou en dehors, afin de réussir dans leurs études et, par la suite, se former tout au long de la vie. Les méthodes et outils pour apprendre doivent faire l’objet d’un apprentissage explicite en situation, dans tous les enseignements et espaces de la vie scolaire. » Un syndicat antiréforme a proposé au Conseil supérieur des programmes un amendement pour supprimer cette mention : l’amendement a été repoussé à une large majorité (trente-six voix contre, treize pour). Preuve que la réflexion avance.

Apprendre à apprendre, cela ne se fait-il pas dans chaque discipline ? A-t-on besoin d’isoler le travail sur les méthodes ?
Il ne s’agit surtout pas de faire des cours de méthodologie, il ne s’agit surtout pas de délaisser les apprentissages méthodologiques à l’intérieur de chaque discipline, il s’agit en fait d’un travail tous azimuts, dans sa discipline et de façon transversale, dans la classe et hors de la classe. À certains moments, des synthèses sont nécessaires autour de la mémorisation, de la prise de notes, de la compréhension des consignes. Cela ne veut pas dire forcément qu’il existe des compétences transversales générales sur ces sujets, mais qu’il y a des liens à établir, des transferts à opérer qui ne vont pas de soi et requièrent des moments explicites d’appropriation. Autant de pistes que cet ouvrage « éclaire  », pour reprendre le titre de la collection.

Justement, parlez-nous de l’inscription de ce livre dans cette nouvelle collection de Canopé.
J’ai longtemps dirigé la collection « Repères pour agir » publiée par le CRDP d’Amiens depuis 2000. Avec la naissance de Canopé, les collections en tant que telles ont disparu et il y a eu une complète réorganisation des publications. J’ai été séduit par l’idée des petits ouvrages « Éclairer » : réaliser pour un public large, en moins de 150 pages et avec un petit prix de vente, un ouvrage de synthèse sur un sujet qui concerne un très grand nombre d’enseignants, cela m’a paru vraiment opportun à l’heure de la mise en place (enfin ?) du socle commun. Mon travail a été facilité par mon point d’appui : la masse considérable d’écrits parus dans les Cahiers pédagogiques sur le sujet, en particulier les dossiers sur l’aide au travail personnel que j’avais coordonnés il y a quelques années.

Finalement, quel est le message essentiel de cet ouvrage ?
Précisons d’abord que l’ouvrage se veut d’abord un outil pour les enseignants pour y voir « plus clair », justement, sur ce qu’ils peuvent faire, individuellement et collectivement, pour donner les clés de l’apprendre aux élèves. Il a aussi pour ambition de donner envie d’approfondir ces questions par des lectures, mon souci constant étant d’articuler des pratiques effectives, à l’école primaire, au collège ou au lycée, avec la référence à des ouvrages théoriques qui permettent de ne pas en rester aux recettes simplistes.

Le fil directeur de l’ensemble des chapitres qui abordent différents aspects de l’aide méthodologique (comme on peut le voir en parcourant le sommaire), c’est la nécessité du recours à l’activité réflexive de la part des élèves. Les moments de métacognition sont décisifs si on veut capitaliser et disposer d’outils transférables. Trop souvent, ces moments sont absents : on n’a pas le temps, ça ne donne pas grand-chose au début, c’est difficile de faire parler les élèves sur comment on apprend. Pourtant, les écarts se creusent entre ceux qui, dans leur milieu culturel, sont habitués à verbaliser à partir de ce qu’ils font, et les autres, et l’école doit au contraire atténuer ces écarts. Pour cela, il faut accepter de travailler avec persévérance sur le long terme. Les activités automatisées, les entrainements mécaniques ont leur vertu, mais à une juste place.

Propos recueillis par Cécile Blanchard


Extrait de la préface

« Sociétés de la connaissance » obligent, les savoirs enseignés se sont complexifiés, les exigences d’autonomie et de réflexivité, caractéristiques du monde universitaire, se diffusant de plus en plus dans tous les degrés du système éducatif. Démocratisation oblige, des enfants et des jeunes peu familiers des codes de l’école sont devenus massivement élèves et étudiants. Or les travaux de recherche nous montrent que, pour qu’ils apprennent comme on apprend à l’école, ils doivent posséder des compétences que celle-ci n’enseigne pas toujours. Savoir énumérer avant de dénombrer, faire un brouillon efficace, apprendre une leçon, etc. […] Si les savoirs académiques fournissent les indispensables contenus, ceux de la recherche les manières de problématiser les situations, des savoirs d’action sont encore nécessaires pour parvenir à ce que les élèves apprennent.

Ce sont bien des savoirs de ce genre que propose judicieusement ce petit ouvrage. Comment prendre des notes, mémoriser, comprendre ce qui est demandé ? Ces questions apparemment anodines sont fondamentales, car elles mettent en jeu les arrière-plans des apprentissages. L’auteur de ce livre et tous ceux qu’il cite au sein du réseau des Cahiers pédagogiques les abordent avec beaucoup de prudence, car ils ne proposent pas de panacée, mais avec une connaissance des problématiques de la recherche, des situations d’enseignement et de formation qui crédibilisent leurs propos. Ils montrent alors en filigrane ce que pourrait être former à former.

Patrick Rayou
Enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à Paris

 

Passages choisis

Actuellement, les programmes de l’école primaire et du collège sont revus, pour les mettre davantage en conformité avec la logique du socle commun et les inscrire dans une démarche dite « curriculaire » qui inclut davantage le « comment » au lieu d’en rester au seul « quoi ».

Certes, les programmes actuels de chaque discipline contiennent déjà de nombreux aspects méthodologiques. Et quelques ponts interdisciplinaires sont jetés, comme suggestions parfois bien timides. Mais dans la représentation de nombreux enseignants, un programme c’est surtout une suite de notions, de connaissances. Lorsqu’on pense au programme de SVT, on pense plus aux différents types d’alimentation chez les animaux ou aux différences entre les éruptions volcaniques qu’au travail (pourtant indiqué comme indispensable) de lecture de l’image ; en histoire, davantage à la chronologie de la Révolution française qu’à l’apprentissage du récit historique, dans sa spécificité par rapport au récit littéraire.

Consignes et prise de notes

Or, dans chaque matière, l’enseignant doit se poser la question : comment j’aide mes élèves à retenir ce que je lui enseigne, à l’exploiter avec pertinence, à pouvoir s’en resservir hors contexte de la leçon ? Et en quoi ma démarche rejoint-elle, mais aussi se différencie-t-elle des démarches de mes collègues lorsqu’on est dans le secondaire et de mes démarches à un autre moment, dans le primaire ? […]

Les mathématiques ont une bonne longueur d’avance pour ce qui concerne l’apprentissage de la lecture de consignes : depuis longtemps, les manuels proposent des activités où il s’agit de retrouver la consigne manquante ou d’inventer des consignes à partir de données. On peut regretter la carence de bien d’autres manuels sur le sujet (absence quasi générale en histoire-géographie, vague chapitre alibi en français, etc.). La prise de notes se travaille d’abord en français, mais, sous une autre forme, elle se développe en sciences, lorsque se met en place une pratique de « cahier d’expériences ». […] La musique va permettre un développement particulier des gestes d’attention et favoriser la concentration, comme d’ailleurs, d’une autre manière, l’éducation physique. Il est même intéressant de mettre l’accent sur les différentes approches, qui peuvent être contradictoires. L’attention de l’élève se porte en histoire sur ce qui est typique d’une époque, général et non anecdotique et particulier à un individu, contrairement à la démarche littéraire. Observer en sciences, c’est éliminer le subjectif, l’affectif, qui, au contraire, sont sollicités en arts plastiques. Mémoriser un poème, c’est ne surtout pas oublier un mot sans lequel le rythme peut totalement se trouver rompu, tandis que retenir une leçon de géographie, c’est savoir arrondir les chiffres ou ne pas s’en tenir à d’infimes détails. C’est d’ailleurs une des clés pour faire de la transversalité quelque chose de complémentaire, en prolongement de ce qui est fait dans chaque discipline.