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À l’autre bout du monde

Julie Plouvier, professeure d’anglais, enseigne au collège français de Majunga à Madagascar, établissement du réseau AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger). Elle nous raconte comment elle investit les pédagogies coopératives pour favoriser l’égalité et le bonheur d’apprendre.

Elle vit sa quatrième année à Majunga avec enthousiasme. « Je suis heureuse de faire ce que je fais au quotidien, de retrouver les élèves chaque jour. La gestion de classe est facile, car il y a beaucoup de respect, le lien de confiance est fort. » Le public du collège est pluriel, reflet des différentes communautés qui cohabitent à Majunga, se distinguant en particulier par l’appartenance religieuse et la langue pratiquée au domicile. Les origines géographiques des élèves sont variées, natifs de la ville, venant d’une autre région de Madagascar ou d’ailleurs. Les expatriés vivant plutôt à Antananarivo, les rares enfants venant de France sont ceux d’enseignants travaillant dans le collège.

Peu de Malgaches peuvent s’acquitter de la scolarité qui couter trois fois le montant du salaire moyen, à moins qu’ils ne soient boursiers du fait de leur double nationalité lorsqu’un de leurs parents est français. « Le pays est ultra pauvre. Les hôpitaux existant sont vides, il faut tout acheter soi-même pour se soigner. Le système scolaire est dans le même état. »

Elle nuance le constat en décrivant un pays tout en contrastes où dans les quartiers tout le monde se connait, où les enfants jouent dans la rue, où l’attention envers les autres est réelle. Pas de cinéma, de théâtre ou de bibliothèque dans la ville, et l’état des routes éloigne encore plus Majunga de la capitale.

L’ouverture grâce à l’école

L’ouverture offerte par l’école s’avère alors essentielle et les cours de langues y contribuent fortement avec la découverte d’autres cultures, d’autres réalités. « Je suis heureuse d’ouvrir les esprits, d’apporter autre chose, de montrer l’ailleurs. Je vois que je les enrichis avec l’apprentissage de la langue, des cultures anglosaxonnes et françaises. J’essaie de parler malgache, pour faire un parallèle entre les langues. Les élèves m’apprennent des mots. » L’école porte aussi un espoir de réussir dans un pays parmi les plus pauvres au monde.

Comme dans tous les établissements du réseau AEFE, le programme est celui du système scolaire français, avec en plus une dimension interculturelle qui inclut une heure de malgache par semaine. « Le principe est de proposer la même scolarité dans le monde entier, avec les mêmes enseignements qu’en France. »

Le collège offre des conditions d’apprentissage confortables avec des effectifs raisonnables comparés à la situation des autres établissements de la ville. Cet apparent privilège ne gomme pas la mixité et les différences d’implication des parents dans la scolarité de leurs enfants. « Quel que soit le contexte familial, il y a un profond respect pour l’école et les enseignants. »

Dans la cour de récréation, les groupes se rassemblent par communauté, se mélangent peu, sans racisme apparent mais avec un entresoi prédominant. Certains élèves vivent dans un environnement culturel riche, d’autres n’ont pas d’ordinateur à la maison, quelques-uns sont orphelins, élevés par leur grand-mère avec qui ils dialoguent exclusivement en malgache. « L’idée partagée au sein de l’équipe pédagogique est qu’il puisse y avoir du mélange, que les élèves ne restent pas dans l’entre soi, que l’on injecte de l’égalité. » Et pour elle, la pédagogie Freinet répond parfaitement à ces préoccupations.

Ne pas laisser d’élèves de côté

En France déjà, elle privilégiait les pédagogies coopératives dans son enseignement, « le mode frontal ne me convenait pas du tout, un tiers des élèves voire plus étaient laissés de côté ». Enseignante reconvertie après avoir travaillé dans la communication, secteur qui ne lui plaisait guère, elle a découvert ces pédagogies à l’occasion d’une conférence sur la classe accompagnée donnée par Alan Coughlin.

Elle applique ce qu’elle a appris avec l’appui d’un collègue plus aguerri. « Je vois que les élèves sont contents et avancent, mais je perçois des limites. Les activités sont les mêmes pour que tous les copains travaillent ensemble, il y a des élèves qui vont très vite et d’autres qui peinent. »

Elle poursuit progressivement son exploration, échangeant avec d’autres enseignants, lisant, regardant les pratiques en primaire et secondaire pour les adapter pour les cours de langues. Une collègue lui parle du tutorat, elle se forme avant de le mettre en place dans ses classes. Elle puise dans les ouvrages de Sylvain Connac des idées pour développer l’autonomie et la coopération.

Se former et former les élèves à la coopération

Petit à petit, elle construit son dispositif de pédagogie coopérative, mais lorsqu’elle arrive à Madagascar, il lui semble nécessaire de l’enrichir pour l’adapter au contexte local. « J’utilisais déjà la feuille de route, j’ai rajouté le plan de travail et les ceintures de compétences. » Elle continue de lire ‒ Fernand Oury était au programme de son été ‒, de se former avec des webinaires ou des conférences et d’échanger avec d’autres enseignants.

En début d’année, elle forme ses élèves à la coopération avec des petits jeux « pour qu’ils voient que l’union fait la force ». Elle leur explique qu’ils travailleront ainsi ensemble tout au long de l’année. Dans sa salle de cours, sont installés une bibliothèque et des petits bancs pour discuter. Elle commence toujours les heures de vie de classe par une météo des émotions où l’anonymat des post-it favorise l’expression, permet de dire si le temps personnel est au beau fixe ou non.

Lorsqu’ils sont au travail, elle les observe, les accompagne si besoin. Elle instaure dès la rentrée une relation forte de confiance. Elle veille à poser un cadre afin « qu’il n’y ait pas la place pour faire n’importe quoi. Les élèves en sont reconnaissants car, pour certains, le cadre est faible à la maison. »

Exigence et ambition pour les élèves

Elle se dit exigeante, leur montre qu’elle a de l’ambition pour eux, les invite à s’imaginer un avenir et à l’atteindre en faisant abstraction d’un contexte à priori peu favorable. « Dans mon rapport avec eux, je ne me sens ni mère, ni tante, ni amie, en revanche nous partageons un profond lien d’affection, les élèves et moi. Ils sont la raison pour laquelle je donne le meilleur de moi-même au quotidien. Je me sens éducatrice en les amenant à réfléchir sur eux-mêmes et comment ils sont avec les autres, à avancer seuls mais en groupe. »

Elle se régale d’une vie de classe facile où le respect est de mise. « En France, j’ai travaillé dans des établissements citadins accueillant des enfants de milieux plutôt aisés. La gestion de classe empiétait beaucoup sur le temps de cours. Ici, c’est facile. On voit que les élèves sont heureux d’être là. C’est magique, le métier a tout son sens. »

Monique Royer

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