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« S’élever à la hauteur de leurs sentiments »

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L’art est un vecteur d’appropriation et de compréhension des droits humains. Tout en appréhendant les champs de questionnements artistiques transversaux sur « l’artiste et la société » et la place de « l’engagement artistique spontané ou documenté dans les débats du monde », les élèves peuvent appréhender, s’approprier et traduire les principes qui fondent la Déclaration des droits de l’enfant. Comment inscrire le travail sur texte de la CIDE (Convention internationale des droits de l’enfant) dans un cadre pédagogique problématisé et articulé avec des œuvres ou des démarches artistiques ?

Entrer dans une problématique plastique

À l’occasion de la Journée internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 2018, les élèves de 1re ont travaillé cette thématique et développé une pratique singulière et sensible. La problématique était la traduction plastique de chacun des dix principes de la Déclaration des droits de l’enfant de 1959. Les élèves ont eu à donner du sens au texte, élargir un questionnement centré sur l’individu à une problématique universelle. Ils ont, à cette occasion, découvert les écrits de Janusz Korczak, notamment Le droit de l’enfant au respect et Quand je redeviendrai petit. Ces textes ont inspiré la rédaction de la CIDE, mais restent méconnus et peu travaillés.

L’approche plastique doit permettre de traduire visuellement et graphiquement le sens porté par le texte.

Les projets des élèves, très variés, attestent une volonté de traduire la force, le poids des mots par l’image.

Le principe premier est de réaliser un dessin où chacun existe dans le monde avec les autres. L’apesanteur apparente fait écho au mouvement de la Terre, sur laquelle chacun peut évoluer en liberté.
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Le second principe, est une traduction plastique où le contraste des couleurs permet de rendre plus forts les mots, afin de faire prendre conscience de l’importance de la liberté et de la 
dignité.
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Le troisième principe est une peinture de grand format ; le bracelet de naissance est, pour les élèves qui l’ont réalisé, un droit, mais également notre premier signe d’identité au monde. Avoir un nom et une naissance, c’est être reconnu au monde.
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Le quatrième principe est traduit par une vision idéalisée d’ouverture vers un espace de liberté et de droits. En effet, comme un passage, une porte est ouverte vers un espace de sécurité et de sérénité pour y grandir.
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Le principe cinq renvoie à l’image de ce qui peut advenir si celui-ci n’est pas respecté ou si les droits sont entravés. Replié sur lui-même, l’enfant disparait dans le lavis gris, qui traduit sa souffrance que personne ne voit. Les traits se confondent. Si l’eau continue d’affluer, pleurs et matières, la figure disparait.
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Le sixième principe est une mise en scène permettant de comprendre que si l’enfant est isolé, il est tenu à l’écart du monde sans pouvoir s’y épanouir.
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Le septième principe réaffirme la place centrale de l’éducation comme vecteur d’une égalité des chances pour
se construire en tant qu’individu par le prisme
d’une culture générale et commune. Dans cette
 proposition graphique, l’élève place l’enseignant comme protecteur et garant de l’accès aux savoirs et au développement personnel, à l’acquisition et à la mise en œuvre des compétences travaillées.
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Le caractère protecteur est identifiable 
par le truchement du huitième principe, où l’incarnation est celle de la figure héroïque. L’enfant dans l’obscurité est protégé par le superhéros qui, par le regard, anticipe tout danger à venir.
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Enfin, concernant les derniers principes, la figure de l’enfant réaffirme l’importance et la vigilance de l’adulte quant à leur protection. Elle se traduit graphiquement par des images qui peuvent sembler obsolètes, mais qui existent toujours. Les élèves souhaitent que les yeux ne soient pas fermés sur ce qui ne devrait plus subsister.
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Rencontrer des œuvres

Les artistes nous interrogent et traduisent le regard qu’ils portent sur le monde. Ils révèlent et dénoncent certains faits qui vont à l’encontre des droits humains et nous renvoient à notre propre responsabilité.

Par exemple, Ai Weiwei, dans ses œuvres, traduit artistiquement le contexte de vie dans lequel nous évoluons. Dans le documentaire de 2017 Human Flow, il filme les conditions de vie inhumaines des migrants qui traversent les routes, abandonnent leurs territoires pour survivre.

Prune Nourry dénonce le sort réservé aux petites filles en Chine lors de la sélection des enfants, dans son œuvre la plus paradigmatique intitulée Terracotta Daughters. Elle est constituée de 108 sculptures uniques réalisées avec l’aide des artisans de Xi’an à partir des portraits de huit petites orphelines. Elle pose la question du droit de naitre et d’être une fille.

Francis Alÿs parcourt le monde et interroge les frontières politiques. Dans l’œuvre The Green Line, « Sometimes doing something poetic can become political and sometimes doing something political can become poetic », l’artiste arpente Jérusalem et traverse la ville du sud au nord en tenant à la main un pot de peinture verte troué les 4 et 5 juin 2004, afin de matérialiser la frontière aujourd’hui gommée. La frontière comme espace entredeux, qui interroge les droits humains et les contraintes imposées par les limites des territoires.

La pratique artistique et plastique permet de traduire les émotions et expressions de chacun, dans un principe de liberté et de respect. Elle vise à l’émancipation, à l’autonomie et aux droits de tous à exister et être au monde. À travers leur pratique artistique qui offre au regard du spectateur leur questionnement personnel, les élèves nous aident à nous « élever à la hauteur de leurs sentiments ».

Marie Rousseau
Professeure d’arts plastiques, académie de Rennes