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Les écoles en Asie sont-elles l’avenir de l’éducation ?

« Dans les pays asiatiques, on obtient de très bons résultats scolaires : ça marche, parce qu’on n’hésite pas à avoir recours au par cœur et à la discipline et on respecte les maitres. Peut-être nous montrent-ils la voie ? »

Qu’on soit d’accord ou non avec cette addiction, force est de constater que beaucoup d’États du monde ont pris l’habitude, depuis quelques années, d’attacher une importance considérable à leur rang dans les classements internationaux des performances de leurs systèmes éducatifs, dont PISA est le plus connu d’un large public. On entend alors opposer le courage de ceux qui se sont mis en état de « PISA choc » (on cite l’Allemagne, mais aussi la Pologne), c’est-à-dire qui ont entrepris véritablement de se réformer à la suite des informations qu’ils ont tirées de ces enquêtes, à l’inaction de ceux qui se contenteraient de se lamenter.

« Alors que les jeunes Coréens, surdiplômés, sont désormais confrontés au chômage, le pays commence à se pencher sur ce qui se cache derrière les bonnes notes de ses élèves. Conscient que le système éducatif public a atteint ses limites, le ministre de l’Education promet de ne plus regarder seulement les résultats et de donner la priorité au « bonheur ». La promotion des filières professionnelles, jusqu’ici largement dénigrées, est également au programme. Enfin, dès l’an prochain, un « semestre libre » sera instauré au collège, pour que les élèves se consacrent aux matières artistiques ou sportives. »

Libération, 24 avril 2015, « La Corée fait classes à part ».

Ce qui est toutefois étonnant c’est que dans les premières enquêtes PISA, on voyait le groupe des pays scandinaves, avec en tête la Finlande, galoper en haut de classement, pour l’efficacité aussi bien que l’équité de leurs systèmes. Les Finlandais n’ont à l’origine pas été les moins surpris de cette place, puis, de fait, beaucoup de chercheurs et de responsables se sont mis à étudier ces systèmes pour mettre à jour des caractéristiques qui ont été commentées à l’étranger, France comprise : une vraie école de base regroupant l’ancienne école élémentaire et l’ancien secondaire inférieur, un traitement précoce des difficultés d’apprentissage dans le cadre de la classe, à la suite d’une puissante formation des enseignants, une quasi-absence d’évaluations sommatives avant le fin de scolarité obligatoire, etc.

Puis le jeu s’est compliqué : des pays asiatiques sont venus le perturber et montrent, malgré des niveaux de développement encore très disparates (le Vietnam en développement comparé aux riches Hong Kong et Shanghai), des succès impressionnants à qui mesure les performances de leurs élèves.
Le problème est qu’on n’a encore guère étudié ces systèmes pour savoir s’il y a lieu de s’inspirer d’eux ni ce que cela signifierait…

Quelques éléments peuvent toutefois nous permettre de prendre une distance critique et d’amorcer une réflexion, ce qu’a tenté, suite à un colloque comparatiste, la Revue internationale d’éducation de Sèvres dans son numéro « L’Éducation en Asie » (n° 68, avril 2015). On doit considérer les réalités scolaires de l’Extrême-Asie avec autant d’esprit critique que d’intérêt.

De quelle « Asie » parle-t-on ?

Il y a plusieurs « Asies », dont l’Asie indianisée, ou l’Asie musulmane : nous ne parlons là clairement ici que de l’Asie extrême, qui a été marquée profondément par la pensée de Confucius (VIe siècle avant J-C), et par toute l’organisation éducative mise en place dans cette mouvance. Il s’agit de la Chine, du Vietnam, de la Corée et, diversement, du Japon. L’ordre sur terre, seule préoccupation dans des systèmes sans transcendance, est assuré notamment selon le cadre impérial par ceux qui sont recrutés par des concours extrêmement sélectifs mais aussi relativement « démocratiques », avec les guillemets qu’appellent l’anachronisme de l’usage de ce concept. Pouvoir, savoir, position du maître, tout cet héritage a incontestablement marqué ces sociétés, malgré les influences, selon les périodes, coloniales ou non, des modèles ou idéologies d’éducation venant d’Occident.

Ces pays ont des systèmes éducatifs qui fonctionnent, qui scolarisent massivement une population nombreuse, et qui décernent des diplômes qui jouent un rôle majeur, encore que très différents des modèles occidentaux, dans la sélection de leurs élites. Toutefois, un pays comme le Vietnam, ou la Chine, dans sa diversité territoriale, sont modestes dans la description de leur « état » scolaire : les responsables n’hésitent pas à parler par exemple des difficultés considérables à scolariser les enfants des campagnes, ou des minorités, ou ceux qui ont suivi leurs parents dans un exode rural récent vers des villes où le niveau de performances scolaires est élevé.

On pourrait mentionner aussi le fait que l’enseignement officiel est concurrencé par des écoles privées à temps plein, et souvent des écoles étrangères, qui montrent l’insatisfaction des familles, l’obsession de la réussite, mais aussi le relatif désarroi des autorités publiques face à un modèle scolaire compétitif déjà mondialisé.

Quant aux résultats dans PISA de ces pays, il faut aussi les prendre avec des précautions : parfois on n’évalue qu’une région, comme Shanghai, où se concentre depuis longtemps richesse et établissements de prestige. Mais on entend aussi des doutes exprimés par des natifs : les zones rurales ont-elles été incluses dans l’échantillon ? Les résultats sont-ils fiables ? La culture du test permanent comme c’est le cas en Corée ne vient-elle pas pervertir une prise d’information qui se fait par échantillon, et pour une fois sans enjeu pour les élèves, dans le cadre de PISA ?

Essor des cours de soutien privés

Ces pays sont par ailleurs extrêmement marqués à la fois par une tradition et par un essor récent de ce que le chercheur Mark Bray a appelé l’« école de l’ombre », c’est-à-dire les cours privés de soutien payants du soir. Bien connus de ceux qui observent depuis longtemps le fonctionnement de l’éducation au Japon, ils se sont tellement développés que Mark Bray nous donne à craindre que si l’histoire de l’éducation dans le monde au XXe siècle a surtout été celle du développement de la scolarisation publique, le XXIe soit au contraire celui d’un véritable projet d’«usurpation de l’enseignement pour tous » par l’école du soutien scolaire privé (voir ma note de lecture du dernier ouvrage de Bray dans le n° 73 de la Revue internationale d’éducation).

Alors oui, les journées de travail de jeunes élèves jusqu’à minuit, les internats où l’accès aux chambres est impossible avant une heure du matin, le stress immense de jeunes élèves qui disent qu’ils sont privés d’enfance, les taux de suicide élevés, ce ne sont pas des légendes. Non plus que le coût mal calculé d’une école qui semble efficiente, tout simplement parce qu’on n’y inclut pas les dépenses de l’éducation privée par les familles. L’auteur de ce billet s’est même récemment fait expliquer que bien des enfants coréens auraient déjà « fait le programme » au jour de la rentrée, les professeurs s’appuyant là-dessus pour consacrer immédiatement leurs séances à des exercices et tests divers : cet exemple montrerait d’ailleurs une des significations pédagogiques que peut facilement prendre le concept, non plus de classe, mais d’école inversée, si l’on est trop naïf !

Ces pays ne sont pourtant pas que cela : l’école primaire du Japon est particulièrement bienveillante et protégée de la « concourite » qui arrive plus tard dans les scolarités. L’apprentissage du groupe et du travail collectif est sans doute un aspect intéressant de ce qui se passe dans certaines écoles asiatiques.

La fonction de la mémoire

De la même façon, le rôle de la mémoire, valorisé et induit largement, dans le cadre de la Chine, mais aussi du Japon, par le système d’écriture, ne devrait-il pas nous faire réfléchir ? Sommes-nous certains que nos écoles françaises sont au clair sur la fonction de la mémoire et la libération, par des automatismes de procédure, à laquelle elle donne accès ? Le mépris de la mémoire caractéristique de nos pays ne devrait-il pas être reconsidéré, en particulier en entendant des pédagogues de la sphère confucéenne nous dire que la mémoire est là pour libérer, une fois son travail fait, du temps pour la pensée ? Il en va de même pour le fait de « copier », que condamne sans appel notre romantisme atavique, sans qu’on réfléchisse assez à la fonction qui peut être la sienne dans les apprentissages.

Il convient donc d’être vis-à-vis de l’éducation dans ces pays à la fois critique et curieux, sans considérer qu’il y aurait un « modèle » reproductible sur l’éducation qui viendrait d’Extrême-Orient. On peut s’en étonner, le souhaiter, peut-être même l’attendre…

Roger-François Gauthier
Inspecteur général de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche


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