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Pierre Delion : «Il faut être un groupe, une constellation…»

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Pierre Delion est pédopsychiatre, professeur des universités. Sa carrière en psychiatrie institutionnelle lui a permis nombre de rencontres avec des enseignants et des pédagogues. Il nous en parle dans cet entretien.
Vous avez longtemps travaillé avec Jean et Fernand Oury. Comment ces rencontres ont-elles forgé votre pratique ?

J’ai connu Jean Oury lorsque j’étais interne en psychiatrie, une révélation pour moi par la qualité de sa pratique singulière. Jean venait de succéder au père Lacan à Saint-Anne. J’ai participé fidèlement à ses séminaires. Assez vite, j’ai animé un groupe d’analyse professionnelle que Fernand Oury a fréquenté puis coanimé. Il y avait aussi bien des enseignants que des équipes de psychiatrie. Quelqu’un racontait l’histoire de son service ou de son école, une matière clinique extraordinaire, car il y avait toujours des choses inattendues. Cela mettait à l’épreuve les concepts de la psychiatrie et de la pédagogie institutionnelles. Ce qui intéressait Fernand, c’était que quelqu’un arrive à transformer la manière dont fonctionnait sa classe. Quand il voyait cela, il était heureux. Ce travail a fondé une profonde amitié.

J’ai conservé des liens de travail formidables avec beaucoup d’instituteurs. J’ai changé leur métier, mais ils ont aussi changé le mien. Si le psychiatre n’a pas fait un tour dans la classe pour voir ce qui se passe, il ne comprend pas grand-chose et n’aidera pas l’instituteur. Toutes ces rencontres m’ont obligé à m’intéresser aux vibrations de l’enfant. Pour qu’il accepte qu’on lui donne des choses, il faut qu’il en fasse symboliquement la demande, en bonne et due forme. Et c’est par ce qui l’intéresse qu’on va l’amener à retenir ce qui ne l’intéresse pas, mais dont il va faire l’expérience. C’est un détour très intéressant et c’est un des premiers piliers qui fondent l’institution sur le plan logique. Le deuxième, c’est le soin des patients psychotiques et autistes qui est très différent de celui des névrotiques. Avec eux, on ne peut pas soigner seul. Il faut être un groupe, une constellation, et pas, comme disait Oury, « un tas de personnes », en rapport d’agglutination, de clonage ou d’emprise.

Chacun doit y avoir une fonction.

Oui, une vraie fonction qui n’est pas vécue par les autres comme étant « il est plus intelligent que moi » ou « qu’est-ce qu’il est con celui-là ». Ce groupe-là finit par devenir l’institution dans laquelle les rapports sont complémentaires, pas comme dans les groupes narcissiques d’aujourd’hui : c’est l’avis du chef qui compte, et les autres sont là pour dire « oui chef, bien chef ! » et rien ne change. Alors que ce dont il est question, ce sont des groupes où les différences permettent d’accueillir l’enfant.

À mon avis, c’est le gros problème de l’école actuelle qui n’institue pas l’équipe officiellement. On condescend à donner une heure de réunion, mais c’est souvent considéré comme du temps perdu. C’est pourtant le fondement d’un groupe qui s’occupe d’apprendre ou de soigner. Le groupe récupère tout un tas de matériaux qui, quelquefois, sont comme des diamants, mais qui sont pris dans des conglomérats de déchets tellement toxiques qu’on peut ne jamais y voir les pépites. Le groupe doit être capable de faire un tri pour pouvoir mettre à jour les potentialités pédagogiques ou soignantes ; c’est un outil fonctionnel incontournable. Les services qui n’ont pas ces groupes-là mettent à distance les patients, qui deviennent des objets.

Vous décrivez une salle des professeurs idéale !

Oui, mais dans les salles de professeurs que je connais, on ne parle presque jamais des trucs qui vont bien. C’est un lieu de décharge où la psyché humaine, soumise à des tensions face à des gamins difficiles à tenir, a comme premier recours archaïque de mettre à distance pour se défendre. Si on ne traite pas cela, ça amène du clivage dans les groupes et l’équipe pédagogique n’arrive jamais. Quand est-ce que l’Éducation nationale va se décider à faire de véritables réunions d’équipes pédagogiques ? Celles que vous vivez sont essentiellement des réunions managériales, règlementaires. On ne peut pas y dire « je n’y arrive pas », car c’est avouer qu’on est nul ! C’est pareil dans les services de psychiatrie et les groupes de supervision. Souvent, on se contente de prescrire des médicaments. Si on ne cherche pas à penser le sens de ce qui arrive aux gens en souffrance, je ne sais pas à quoi on sert.

On a l’impression d’une attaque généralisée contre les choses de l’humain.

J’ai été épouvanté d’entendre François Fillon parler des « pédagogues prétentieux » en parlant, entre autres, de ­Philippe Meirieu, que je connais bien. Le témoignage des enseignants vient se corréler à celui des soignants, des juges pour enfants et de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse). Tous les gens de la fédération humaine sont en train de dire la même chose : on nous amène vers un terrain où il ne faut pas penser, car ça fait souffrir. Mais le problème est qu’après, les enseignants ne savent pas quoi en faire, parce que les neuroscientifiques ne savent pas non plus quoi en faire ! J’essaye de montrer que les neurosciences sont utiles pour comprendre ce qui se passe, mais que cela n’est pas suffisant. Il ne faut pas condamner la neuroscience, mais l’articuler avec la clinique et la psychopathologie freudienne. Ces pistes sont vraiment essentielles.

Propos recueillis par Jean-Charles Léon

article paru dans notre numéro 536, Eduquer aux médias et à l’information, coordonné par Emilie Kochert,  mars 2017.

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